#3 – Déchets abandonnés : qui est responsable ?
Le 15 septembre 2018 se déroulera une grande opération de collecte de déchets abandonnés dans la nature, le World CleanUp Day. Zero Waste France publie à cette occasion une série de quatre articles, pour prendre du recul et décrypter les enjeux liés à ces déchets parfois qualifiés de “sauvages”.
L’incivisme est souvent cité comme le responsable numéro un des déchets retrouvés dans la nature. Bien sûr, à l’origine du déchet abandonné, il y a souvent un geste volontaire, et donc un comportement individuel incivique. Mais la question de la responsabilité dans le phénomène des déchets sauvages ne peut être réduite à la seule lutte contre l’incivisme. Les choix stratégiques de grandes entreprises (avoir recours à l’usage unique, créer des “mini-formats”, mettre sur le marché des emballages jetables dans des pays sans système de gestion des déchets…) influencent également de manière considérable les quantités de déchets produites et rejetées dans la nature. De plus, les solutions qui pourraient permettre de résoudre le problème à la source (réduction du plastique, consigne pour réutilisation, interdiction des petits formats…) sont souvent âprement combattues par ces mêmes entreprises, ajoutant à la responsabilité “directe” dans le phénomène, une responsabilité dans l’inaction politique en la matière.
Poser la question de la responsabilité c’est aussi s’interroger sur qui doit payer ? Le débat est relancé cette année avec la proposition de directive pour lutter contre le plastique à usage unique présentée par la Commission européenne. Celle-ci prévoit notamment que les marques mettant sur le marché certains produits régulièrement retrouvés dans la nature (mégôts, protections hygiéniques, contenants de vente à emporter…) contribuent au coût de nettoyage de ces déchets dans la nature.
En effet, au-delà du coût environnemental, qui reste difficile à évaluer, les déchets abandonnés ont un coût financier plus direct pour certains acteurs. Les collectivités (et donc les contribuables) financent par exemple le nettoyage ou le ramassage régulier des mégots et autres déchets dans certaines zones sensibles ou touristiques. Les pêcheurs et les activités dépendant de la mer peuvent également enregistrer des pertes dues aux déchets abandonnés. Autres victimes plus inattendues : les agriculteurs, qui voient certaines de leurs bêtes se blesser ou mourir à la suite de l’ingestion de déchets. Une étude néerlandaise a ainsi évalué qu’entre 11 000 et 13 000 bêtes étaient blessées chaque année au Pays Bas du fait de déchets abandonnés et entre 3 000 et 4000 d’entre elles en mourraient, résultant en une perte totale de 10,8 à 16,6 millions d’euros par an au total pour les agriculteurs.
Sur le papier, la proposition européenne de faire contribuer les entreprises au coût de nettoyage de leurs déchets est une simple extension du principe de responsabilité élargie du producteur, déjà en vigueur dans toute l’Europe. Celui-ci prévoit que les marques contribuent au coût de traitement des produits qu’elles mettent sur le marché, une fois ceux-ci devenus “déchets”. En réalité, ce qui se joue dans cette mesure est aussi la reconnaissance formelle de la responsabilité des entreprises elle-même dans la problématique des déchets abandonnés, et conséquemment le rôle qu’elles peuvent jouer dans la prévention du phénomène. Sans surprise, cette proposition européenne est largement combattue à Bruxelles. Pas moins de 68 grandes fédérations professionnelles et représentants d’intérêt d’entreprises ont signé en août une note de position commune, soulignant entre autre que les déchets sauvages étaient avant tout causés par l’incivisme et le manque de sensibilisation citoyenne et que les entreprises faisaient déjà suffisamment pour lutter contre le problème, en finançant par exemple des opérations de nettoyage.