#4 – Nettoyer les plages… et l’image des entreprises !
Le 15 septembre 2018 se déroulera une grande opération de collecte de déchets abandonnés dans la nature, le World CleanUp Day. Zero Waste France publie à cette occasion une série de quatre articles, pour prendre du recul et décrypter les enjeux liés à ces déchets parfois qualifiés de “sauvages”.
La pratique des opérations de ramassage de déchets sur les plages ou d’autres milieux naturels est ancienne. Elle est au coeur du projet associatif d’organisations nationales ou européennes (comme Surfrider Foundation, fondée en 1990), ou régionales et locales (comme Mer-Terre, fondée en 2000 en Région PACA) car elle permet de simultanément sensibiliser, documenter, et agir sur le terrain.
Plus récemment, des initiatives individuelles, parfois largement relayées sur les réseaux sociaux (Run Eco Team, par exemple), ont relancé la dynamique et attiré un nouveau public, au-delà des militants écologistes. “Action salutaire ou militantisme gadget ?” s’interrogent les médias, face à l’engouement de ces initiatives. Pour Zero Waste France, le questionnement porte surtout sur les sponsors et soutiens de certains de ces projets.
Le soutien du groupe TIRU (filiale de Dalkia au sein du groupe EDF) au projet Run Eco Team a ainsi permis la création d’une application destinée à motiver les “ploggeurs” – les joggeurs qui profitent de leur course pour ramasser des déchets – en faisant défiler un compteur de l’énergie potentiellement produite en brûlant les déchets ramassés. On comprend bien l’intérêt pour TIRU, qui cherche à redorer le blason de l’incinération des déchets, sa principale activité. Le message, lui, est complètement contradictoire avec toutes les campagnes de sensibilisation sur la réduction des déchets, le tri et le recyclage ! De la même manière, un discours décourageant – et inexact – sur les alternatives est véhiculé par Plastic Odyssey : “Changer nos modes de consommation, arrêter l’utilisation de produits emballés et choisir des alternatives durables (bioplastiques, emballages comestibles…). Toutes ces transformations sont nécessaires mais demandent beaucoup de temps.” Des propos moins étonnants si l’on prête attention aux partenaires principaux du projet (parmi lesquels on trouve Veolia) et à l’objectif du projet : “démontrer le potentiel des déchets plastique” en développant notamment une technologie de pyrolyse du plastique.
L’intérêt des entreprises pour ces ramassages bénévoles n’est pas nouveau lui non plus (les opérations “Nettoyons la nature !” des Centres Leclerc ont démarré en 1997) mais il s’exprime plus fortement depuis que la problématique des déchets plastiques dans les océans s’affiche en une des médias. Certaines marques n’hésitent pas à en faire une pierre angulaire de leur stratégie RSE, à grand renfort de communication : Procter & Gamble se réjouit ainsi en 2017 de la participation de “milliers de bénévoles” à la collecte de déchets sur les plages, pour la fabrication d’une série limitée de bouteilles de shampoings en plastique partiellement (25% seulement) recyclé. Une opération tout à fait éphémère, limitée à la France, avec un surcoût pour les consommateurs… et pourtant récompensée par les Nations Unies.
Le géant Henkel a lui aussi récemment annoncé une initiative du même genre, reposant sur le travail de bénévoles le long du Danube, tandis que Coca-Cola en appelle aux “Litter Heroes” avec Keep Britain Tidy, aux côtés de MacDonalds, KFC et de nombreuses autres enseignes de l’agro-alimentaire et de la distribution.
Il est normal que les grandes enseignes responsables de la mise sur le marché des produits et emballages jetables participent au financement de la gestion des déchets qui en résultent. Leur influence sur les campagnes de sensibilisation du public peut toutefois résulter en un énorme écueil : celui de laisser croire que l’omniprésence du plastique dans notre environnement n’est que le résultat d’une mauvaise gestion et d’incivilités et peut donc être résolu sans jamais remettre en question le règne du jetable.