Révision du marché carbone européen : il est urgent d’y inclure les incinérateurs !

Qu’est-ce que le marché carbone européen ?

Le système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE), aussi appelé marché carbone européen, a pour objectif de limiter les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de l’Union européenne, en reposant sur un principe de plafonnement et d’échange des droits d’émission. Ainsi, les installations appartenant aux secteurs couverts par le système doivent respecter un plafond d’émissions de gaz à effet de serre ; dans la limite de ce plafond, les installations peuvent recevoir ou échanger entre elles des quotas d’émissions. À la fin de l’année, chaque installation doit avoir suffisamment de quotas pour couvrir intégralement ses émissions, sous peine de s’exposer à de lourdes amendes. Une installation ayant réduit ses émissions peut conserver l’excédent de quotas pour couvrir ses besoins futurs, ou bien les vendre à une autre installation qui en a besoin.

Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a proposé une révision de la directive SEQE, en vue d’y inclure de nouveaux secteurs d’activité économique pour assurer une Europe neutre en carbone d’ici 2050. Cette révision persiste à exclure du marché les unités d’incinération des ordures ménagères, sauf volonté expresse des Etats membres.

Mais bonne nouvelle ! Le 17 mai 2022, la commission ENVI (environnement, santé publique et sécurité alimentaire) du Parlement européen a proposé d’inclure l’incinération des déchets municipaux dans le marché carbone européen, à partir de 2026. Si cette échéance est démesurément tardive au regard de l’urgence climatique et de l’empreinte carbone des incinérateurs, c’est toutefois un espoir de reconnaissance de l’incinération comme activité polluante, dont les coûts carbone doivent être assumés par les industriels du secteur. Zero Waste France espère que le Parlement européen soutiendra la position de la commission ENVI lors de son prochain vote en juin en soutenant l’inclusion des incinérateurs dans le SEQE.

Pourquoi faut-il inclure les émissions des incinérateurs dans le marché carbone ?

Le 7 octobre 2021, Zero Waste Europe a publié une étude, réalisée par le cabinet européen CE Delft, qui apporte des chiffres quant aux nombreux bénéfices tant environnementaux qu’économiques et sociaux résultant d’une inclusion de l’incinération dans le marché carbone européen.

L’incitation des entreprises à la réduction de leurs déchets

Si les incinérateurs sont inclus dans le marché carbone, le recours à l’incinération sera de facto plus cher, et les entreprises seront donc incitées financièrement à réduire leurs tonnages incinérés – ce qui découragera également la construction de nouvelles installations. D’après l’étude, cette inclusion générerait pour les entreprises entre 8 et 25% de réduction de leurs déchets, et entre 0.2 et 5% pour les ménages. Il s’agit d’inciter les acteurs du marché à mieux gérer leurs déchets, et en particulier à détourner des ordures résiduelles les matériaux valorisables comme les déchets organiques, les plastiques et les textiles, permettant de réaliser des économies de quotas carbone mais également de réduire les émissions. L’inclusion du secteur dans le marché carbone permettrait donc finalement de respecter la hiérarchie des modes de traitement des déchets prévue par le code de l’environnement, favorisant la prévention des déchets, le réemploi puis le recyclage au détriment de l’incinération.

Une réduction des émissions de CO2 produites par les incinérateurs

D’après l’étude, l’inclusion de l’incinération dans le SEQE pourrait réduire les émissions de CO2, jusqu’à 8,8 millions de tonnes par an en 2030, principalement du fait de la réduction des déchets commerciaux et industriels. A titre d’exemple, la Suède, qui a volontairement inclus les émissions de ses incinérateurs d’ordures ménagères dans le marché carbone européen, a observé une réduction de ses émissions carbone liées aux incinérateurs de l’ordre de 33 000 tonnes par an, soit 75% des émissions du secteur.

Cette réduction est essentielle compte tenu de l’impact climatique avéré de l’incinération. En effet, les incinérateurs ont un coût environnemental élevé de par la toxicité des mâchefers, résidus imbrûlés qui représentent entre 20 et 25% du tonnage de déchets entrants, ainsi que des résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères classés dangereux, équivalant environ à 3% du tonnage entrant, et de par leurs stockages. Pourtant, leurs impacts sont souvent sous-évalués au regard de la prétendue “valorisation énergétique” issue de l’incinération – alors même que l’électricité générée par les incinérateurs est deux fois plus chargée en carbone que la moyenne du réseau électrique de l’Union européenne, d’après l’Agence européenne de l’environnement.

Une création de milliers d’emplois supplémentaires

Les activités de réemploi, de compostage et de recyclage nécessitant plus de main-d’œuvre que l’incinération des déchets, l’inclusion de l’incinération dans le marché carbone pourrait entraîner la création de 6 800 emplois supplémentaires en 2022, et jusqu’à plus de 21 000 emplois en 2030.

Dans le respect du principe “pollueur-payeur”, consacré par le droit de l’Union européenne et le droit français, il est donc urgent que le secteur de l’incinération paye pour les pollutions qu’il génère, au même titre que d’autres secteurs industriels déjà concernés par le marché carbone. Zero Waste France espère vivement que le Parlement européen soutiendra l’inclusion des incinérateurs dans le SEQE lors de son prochain vote en juin 2022.