Développer le réemploi : un enjeu pour les territoires
Ce qu’il faut comprendre lorsqu’on parle de réemploi
L’Union européenne définit le réemploi comme le fait d’utiliser de nouveau des objets ou leurs éléments pour un même usage que celui pour lequel ils ont été conçus.
Le guide « Putting second-hand first to create local jobs » de Zero Waste Europe (en anglais), reprend cette définition de manière large, en englobant aussi la réutilisation (le cas où l’objet est remis en circulation pour un usage différent de celui pour lequel il a été conçu et après que l’objet ait acquis le statut de déchet). Les activités de réparation, de contrôle, de nettoyage ou de récupération de ces produits avant remise en circulation, sont souvent intégrées à la notion de réemploi, ou peuvent être comprises dans le terme de préparation au réemploi.
Lire le guide de Zero Waste EuropeLes bénéfices environnementaux du réemploi
Le réemploi a pour effet principal d’allonger la durée de vie des objets et a donc des retombées environnementales, à la fois à travers la réduction du volume de déchets incinérés ou mis en décharge, mais aussi et surtout à travers la réduction de la consommation de matières premières pour fabriquer des produits neufs. Par exemple, selon l’ADEME, il faut compter 8 000 litre d’eau et 32 kg de matières premières pour la fabrication d’un jean, et 184 kg de matières premières pour la fabrication d’un smartphone.
Dans de grandes dimensions, le réemploi pourrait aussi participer à atteindre la neutralité carbone. Selon une estimation de RREUSE, réseau international des entreprises sociales du réemploi, les activités de ses membres ont permis d’étendre la durée de vie de 214 500 tonnes d’objet grâce au réemploi, et auraient ainsi compensé les émissions annuelles de CO2 de plus de 107 000 citoyen·nes européen·nes.
Les bénéfices sociaux et économiques du réemploi
Le guide de Zero Waste Europe souligne surtout que les impacts des politiques de réemploi sont plus larges que les seuls bénéfices environnementaux, et sont aussi sociaux et économiques pour les territoires :
- Selon un des dernier rapports de GAIA, ONG internationale soutenant les démarches zero waste, la réparation crée 200 fois plus d’emplois que l’incinération et la mise en décharge. Plus précisément, pour 10 000 tonnes d’objets réparés, 404 emplois sont créés dans les filières de réparation, là où l’incinération ou la mise en décharge de 10 000 tonnes de déchets en crée respectivement 1,7 et 1,8. Pour le réemploi en général, ces chiffres sont donc supérieurs, bien que GAIA ne soit pas parvenue à une estimation précise. A titre d’exemple, l’association les Cycles-Re, qui en partenariat avec l’ADEME a créé des ateliers de réemploi et de re-fabrication de vélos destinés à former des personnes éloignées de l’emploi, a ainsi créé 15 postes pour 1 200 vélos collectés et 650 vélos re-fabriqués dans la ville de Toulouse.
- De la même façon, RREUSE rapportait récemment que les entreprises sociales du secteur du réemploi créent en moyenne 70 emplois pour 1 000 tonnes de produits collectés, allant jusqu’à 140 emplois pour 1 000 tonnes dans certains cas.
- L’ouverture de ces nouveaux postes offre souvent des possibilités de formation à des personnes peu qualifiées, ou qui ne peuvent accéder au marché du travail, et participe ainsi à une meilleure inclusion sociale sur le territoire.
- Finalement, le guide souligne que le réemploi peut aussi permettre de réduire le budget dédié à la gestion des déchets. Ces économies peuvent permettre à la collectivité de rediriger des budgets vers les structures sociales, éducatives ou de santé du territoire. Le guide met en avant un exemple en Flandres, où avec un seul emploi créé dans une entreprise sociale, la collectivité a bénéficié d’une économie net de 14 500 € par an.
4 actions clés pour développer le réemploi au niveau local
Même s’il souligne l’importance d’adapter les stratégies de réemploi aux contextes locaux, le guide de Zero Waste Europe met en avant quatre actions clés, nécessaires à la mise en place d’une politique de réemploi à l’échelle d’un territoire.
1. Se fixer des objectifs ambitieux de réemploi
Le guide insiste sur les compétences de législations locales que peuvent utiliser les collectivités européennes pour développer le réemploi. En France, les collectivités n’exercent pas ces compétences au niveau local, mais peuvent en revanche adopter des objectifs de réemploi dans différents outils à leur disposition, comme les PLPDMA (Programmes locaux de prévention des déchets ménagers et assimilés). Elles peuvent notamment fixer dans ces programmes des objectifs ambitieux de réemploi en fonction des types de déchets produits et collectés localement (jouets, textiles, appareils électroniques, appareils de télécommunication, meubles…).
Toutefois la plupart des collectivités fixent uniquement des objectifs chiffrés globaux en termes de réduction des déchets. Le réemploi, qui apparaît comme un moyen d’atteindre ces objectifs de réduction, ne bénéficie toutefois pas d’objectifs chiffrés. Même les PLPDMA les plus ambitieux en matière de réemploi oublient de mentionner des objectifs chiffrés. Par exemple, la communauté d’agglomération Mauges Communauté en Maine-et-Loire, engagée en 2019 dans un nouveau programme d’économie circulaire, fixe dans son PLPDMA un plan d’action pour développer le réemploi prévoyant:
- la promotion du réemploi et de l’upcycling auprès des particuliers ;
- la mise en place d’un groupe de travail sur la création d’une matériauthèque ;
- une concertation auprès des acteurs du réemploi du territoire ;
- l’inclusion de l’upcycling dans des événements existants
- sans mentionner pour ces différentes actions les objectifs chiffrés visés : nombre de sessions de sensibilisation ou d’événements d’upcycling, nombre de matériaux visés dans la matériauthèque, etc.
De la même façon, le PLPDMA du Syndicat Mixte Cyclad en Charente-Maritime, conjugue ses objectifs de réduction des déchets avec le développement du réemploi, à travers l’installation de zones de réemploi en déchèterie, le soutien au développement de recycleries et de boutiques solidaires, et en travaillant avec des acteurs du réemploi par exemple pour le réemploi ou la transformation de meubles en bois. Ces actions ambitieuses n’ont toutefois pas fait l’objet d’objectifs chiffrés.
2. Introduire du réemploi dans les marchés publics
En France, depuis le décret n° 2021-254 du 9 mars 2021 issu de la loi anti-gaspillage (AGEC) , il est devenu obligatoire pour les commandes publiques de l’Etat, des collectivités territoriales, et des groupements de collectivités de comprendre une part de biens issus du réemploi, de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées. Le décret prévoit par exemple que les achats de téléphone, de meubles ou d’ordinateurs, doivent pour 20% provenir du réemploi, et pour 20% de filières de recyclage. Si ce décret pourrait être largement plus ambitieux en matière de réemploi et devrait privilégier la réduction et le réemploi au recyclage en application de la hiérarchie des modes de traitement des déchets , il a le mérite de donner un premier cadre à la commande publique, jusque là inexistant.
Partant du constat que 14% du PIB en Europe est utilisé par les collectivités pour l’achat public, le guide de Zero Waste Europe met en avant le levier potentiel que sont les critères environnementaux et sociaux dans la passation de marchés publics. Selon Zero Waste Europe, 55% de ces procédures en Europe ne prennent pas en compte les bénéfices sociaux et environnementaux dans l’attribution d’un marché public, et se limitent au critère du prix le plus bas. Le guide encourage ainsi les agents publics à utiliser les outils développés par la Commission européenne pour aider à conclure les marchés publics sur la base de critères environnementaux et sociaux que sont les guides “Les critères de l’UE en matière de marchés publics écologiques” et “Les marchés publics circulaires”. De cette manière, les entreprises cherchant à respecter la hiérarchie des modes de traitement des déchets peuvent être favorisées dans l’attribution d’un marché public.
Un marché de restauration collective généralisant l’usage des contenants inertes réutilisables – le cas de l’Eurométropole de Strasbourg
En 2017, suite à des mobilisations de parents d’élèves contre les emballages dans les cantines et les risques liés aux monomères de polyéthylène (un des plastiques les plus courants, notamment dans l’agroalimentaire) considérés comme perturbateurs endocriniens, l’Eurométropole de Strasbourg a modifié le cahier des charges relatif au marché de la restauration collective, pour y ajouter des critères liés à l’utilisation de contenants en inox. Entre 2017 et 2019 une première phase du marché prévoyait que 50% des convives en restauration scolaire (écoles primaires) et 20% des convives de petite enfance (écoles maternelles) devaient être servi·es dans des contenants en inox. A partir de 2019 et 2021, une deuxième phase de marché s’est ouverte où l’utilisation de contenant en inox devait concerner 100% des convives.
Lire l’article de l’ADEME3. Développer les zones de réemploi
Pour aller plus loin, développer les zones de réemploi, par exemple en déchèterie, permet d’éviter que les objets déposés n’acquièrent le statut de déchets. Ils peuvent ainsi être récupérés directement par des particuliers, et pas uniquement par des associations agréées en partenariat avec la collectivité en charge de la collecte.
L’exemple du SMICVAL market, ou « le supermarché inversé »
Le SMICVAL market est probablement l’exemple le plus abouti d’incitation au réemploi en France. Dans des locaux modernes financés par le syndicat chargé de la collecte, et avec des agents formés pour guider les utilisateur·trices, le SMICVAL market est un “supermarché inversé”.porté et géré par le syndicat chargé de la collecte des déchets. C’est-à-dire que les habitants peuvent amener des objets et des matériaux et en récupérer gratuitement, dans un préau des matériaux et une maison des objets, ressemblant davantage à un magasin qu’à une déchèterie. Lancé en 2017, ce système d’échange gratuit d’objets et de matériaux est porté et géré par le syndicat chargé de la collecte des déchets et a connu un vif succès puisqu’en moyenne ce sont 1 000 tonnes de produits par an qui y sont déposés puis récupérés directement par les habitant·es.
Découvrir le SMICVAL MarketLe guide de Zero Waste Europe insiste également sur les modalités de mise en œuvre de ces zones de réemploi, systèmes de collecte ou points de dépôts dédiés. Il souligne que ces points ou zones doivent être adaptés au contexte de la collectivité. Par exemple en milieu rural, l’enjeu sera de mettre en place des points de dépôts communs à plusieurs communes d’un territoire. A l’inverse, dans un contexte urbain, le porte-à-porte peut sembler plus approprié. De même, le système de collecte peut être adapté en fonction de la taille du produit destiné au réemploi ;par exemple pour les articles électroniques, il apparaît qu’un lieu de dépôt facilement accessible est plus adapté que le porte-à-porte, et inversement pour les meubles.
Zero Waste Europe souligne aussi qu’un point de dépôt bien conçu permet d’inciter les ménages au réemploi plutôt qu’au recyclage en faisant apparaître le réemploi comme la priorité : par exemple, en faisant en sorte que les particuliers doivent traverser la zone de réemploi avant d’accéder à la zone de dépôt des déchets. Le guide insiste aussi sur la nécessaire formation du personnel capable d’identifier les produits adaptés au réemploi, de définir leur valeur sur le marché de la seconde main, et d’assurer la préparation nécessaire à leur réemploi (nettoyage, réparation et contrôle de l’objet).
Prioritiser et faciliter – le parti pris de Het Goed aux Pays Bas pour encourager le réemploi.
L’entreprise sociale Het Goed a mis en place un système de points de collecte en partenariat avec la société de gestion des déchets de la région de Nimègue, ainsi qu’un service de porte à porte. Les points de collecte sont organisés de telle sorte que pour jeter leurs déchets, les citoyen·nes traversent d’abord le point de collecte destiné au réemploi, géré par l’entreprise sociale, incitant ainsi à faire du réemploi une priorité. Les objets collectés sont ensuite revendus par Het Goed dans 27 points de ventes à travers les Pays Bas, et ce qui ne peut être vendu est retourné pour recyclage.
Voir la vidéo de présentation de Het Goed4. Favoriser la création d’une culture du réemploi
Une politique de réemploi efficace à l’échelle d’une collectivité est conditionnée par l’implication des usager·ères dans le circuit de réemploi. Il est donc nécessaire pour les collectivités d’allouer des moyens pour sensibiliser à l’importance du réemploi et informer sur la manière d’y participer.
Le guide de Zero Waste Europe invite ainsi les collectivité à soutenir les initiatives locales permettant de créer du lien social autour du réemploi, par exemple en combinant des événement festifs ou des lieux de sorties (cafés etc…) aux centres de réemploi. Par exemple, organiser des ateliers de réemploi ou de réparation dans les lieux publics, ou soutenir des porteurs de projet de réemploi (soutien financier ou logistique, aide à la communication, mise à disposition de locaux…).
La collectivité peut mutualiser des objets pour l’usage de différents acteurs du territoire (associations, clubs sportifs, administration, écoles…), et ainsi faciliter et inciter au réemploi. Par exemple, créer et gérer un stock de matériel pour l’événementiel, lui-même potentiellement issu de réemploi (mobilier, vaisselle réutilisable…) et inciter directement les acteurs du territoire à utiliser ces services (en conditionnant une autorisation d’occupation de l’espace public, par exemple).
Apprendre à réparer pour moins jeter
A Barcelone l’entreprise Solidança Treball, en partenariat avec l’Agence des déchets catalane, a mis en place des systèmes de camions de réparation, DidalTruck pour les textiles et Reparatruck pour les petits objets électroniques et les vélos. Conçu comme un service public gratuit grâce aux subventions de l’Agence des déchets catalane, les citoyen·nes ont accès à tous les outils ainsi qu’à un personnel formé pour les accompagner dans la réparation de leurs objets ou vêtements. Ce service étant mobile, il peut aussi rejoindre des zones rurales et toucher un maximum de personnes, apprenant ainsi à réparer leurs bien et de fait, d’éviter qu’ils deviennent rapidement des déchets. Ce type d’initiative permet de sensibiliser les habitants à l’importance de favoriser la réparation et le réemploi, et de faciliter cette démarche.
Découvrir Solidança TreballPour encourager le développement des filières de réemploi sur les territoires, l’ADEME propose des aides, auxquelles peuvent prétendre les collectivités territoriales, qui permettent de financer jusqu’à 70% des études de faisabilité de projets d’installation de collecte, de remise en état ou de réparation d’objets ou de matériaux (création de recycleries, de ressourceries, développement d’ateliers de réparation etc).