Abandon illégal de mâchefers d’incinération : la justice démêle un trafic en Ile-de-France

Les mâchefers, résidus d'incinération des déchets ménagers, constituent des déchets bien encombrants pour les industriels. Levée de voile grâce à une décision de justice récente qui permet de comprendre le montage des trafics illégaux.

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Par un jugement du 4 juillet 2017, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné plusieurs sociétés impliquées dans le dépôt illégal de 30 788 tonnes de mâchefer, à l’été 2012, sur un terrain agricole situé à Saint-Cyr-sur-Morin (77). L’occasion, en particulier grâce à une enquête policière permettant de tracer les relations financières croisées, de démêler le fonctionnement bien rôdé de ce trafic, organisé pour réduire les coûts au mépris de la réglementation environnementale.

NB : ce jugement a été frappé d’appel par les parties. Il y a lieu de considérer, en application de la présomption d’innocence, que les personnes condamnées sont présumées innocentes jusqu’au prononcé éventuel de nouvelles condamnations en appel.

Les incinérateurs font disparaître tous les déchets, non ?

Faux !

Les mâchefers d’incinération (aussi appelés « MIDND ») sont des résidus issus de la combustion des déchets dans les incinérateurs (« le déchet du déchet »). Environ 20% des tonnages entrants ressortent des usines sous cette forme, résidus dont l’industrie de l’incinération se vante peu auprès du grand public.

A l’échelle de la France, ce sont environ 2.7 millions de tonnes qui sont produites chaque année (chiffres pour 2014) pour environ 14 millions de tonnes incinérées dans les 126 usines en fonctionnement. Le problème : il faut bien en faire quelque chose ! En l’occurrence, les mâchefers étaient issus de la plateforme d’Isles Les Meldeuses, aujourd’hui fermée, qui gérait à l’époque 270 000 tonnes de mâchefers issus des usines de Créteil, Bonneuil et Ivry sur Seine.

Que fait-on des mâchefers ?

Les mâchefers sont d’abord envoyés vers des plateformes de « maturation », parfois implantées à proximité immédiate des incinérateurs, parfois construites de façon indépendante. Ils y sont stockés pendant quelques mois et arrosés afin de les décharger en polluants et les stabiliser. La réglementation, depuis un arrêté de 2011, soumet leur usage, en technique routière (remblais dans le BTP), au respect de seuils de divers polluants.

S’ils ne respectent pas ces seuils, les mâchefers ne sont pas « valorisables » et doivent être envoyés en décharge « classique » (plus ou moins 300 000 tonnes chaque année), et ainsi payer le prix fort pour leur élimination (entre 80€ et 100€ la tonne, en fonction des prix du marché). Dans tous les cas, la gestion des mâchefers alourdit le « modèle économique », déjà très onéreux, de l’incinération et en particulier lorsqu’ils ne peuvent pas être utilisés en technique routière, puisque les exploitants d’usines doivent payer pour leur prise en charge par des prestataires.

Il arrive que les gestionnaires de mâchefers, afin d’éviter de payer cher pour leur élimination, préfèrent rémunérer certains repreneurs pour les utiliser dans leurs travaux (lorsque les normes sont respectées) ou, parfois et comme dans cette affaire, les stocker sur des terrains en méconnaissance de la réglementation environnementale.

C’est dire le désespoir de l’industrie de l’incinération et de la gestion des mâchefers, qui cherche une valeur ajoutée à des matériaux qui n’en ont aucune, et surtout tente de donner une bonne réputation à ses résidus à grand renfort de communiqué de presse, de guides ou de plaquettes publicitaires

L’affaire de Saint-Cyr

L’intrigue est à la fois simple dans sa réalisation, et complexe dans ses aspects financiers.

En 2012 et à l’occasion de travaux sur des chemins communaux, une première société, « RTR groupe environnement », a signé un contrat pour l’occupation d’une parcelle d’un particulier (moyennant loyer), aux fins de nettoyage de la parcelle, décapage et remblaiement avec des terres spécifiées « non inertes non polluantes ». Jusque-là, rien à signaler.

Cette société a ensuite contracté avec une deuxième société, un transporteur dénommé « VITRANS », lui mettant ce terrain à disposition.

Cette société « VITRANS » a quant à elle contracté avec une troisième société, la « CIDEME » (filiale de TIRU, elle-même filiale d’EDF), spécialisée dans la gestion des mâchefers, et lui a commandé des mâchefers.

L’enquête démontrera que, bien que VITRANS ait officiellement payé une somme pour l’achat des mâchefers (environ 120 000€), c’est surtout la CIDEME qui paiera un montant bien plus important, pour ce qui s’avère être une reprise bien arrangeante de 30 788 tonnes de mâchefers trop pollués (pour environ 437 000€ !). Bien plus arrangeante que de devoir payer plus de trois millions d’euros pour leur envoi en décharge.

C’est pourtant ce qui aurait dû être fait puisque l’enquête a démontré que les mâchefers n’avaient pas été utilisés dans les travaux routiers mais simplement enfouis dans un terrain à usage agricole, ce que savaient parfaitement les exploitants de l’époque au regard des e-mails échangés entre eux.

Lors des travaux, le caractère « douteux » de ces matières n’a pas manqué d’alerter immédiatement les riverains, qui ont constaté leur apparence bien éloignée de « terres non polluées », ainsi que des écoulements grisâtres le long de la parcelle.

Voilà un cas qui, bien que n’étant pas systématique dans le milieu, illustre une difficulté criante et récurrente de l’industrie de l’incinération, qui a bien du mal à écouler ses résidus, encombrants, onéreux et polluants. Non contente de transformer la nature en décharge, elle a bien du mal à donner corps à son slogan de « zéro mise en décharge », pourtant inévitable après incinération des déchets.

Zero Waste France constate pourtant régulièrement les velléités de ce lobby d’assouplir la réglementation en vigueur, tout comme les demandes de faire sortir du statut de déchet les mâchefers d’incinération. Cette affaire démontre que cela est parfaitement inacceptable.

Le jugement est en attente d’anonymisation sur demande de la société TIRU – il sera publié prochainement.

Les condamnations (appel du jugement en cours)

Les condamnations prononcées (jugement frappé d’appel par toutes les parties à l’exception de RTR à l’encontre de laquelle le jugement est définitif – ces parties sont présumées innocentes jusqu’à l’arrêt d’appel) :

RTR groupe environnement :

  • tromperie, par personne morale, sur la nature, la qualité, l’origine ou la quantité d’une marchandise (amende de 50 000€)
  • Exploitation non autorisée, par personne morale, d’une installation classée pour la protection de l’environnement (1 500€)

Le directeur d’exploitation de VITRAS :

  • condamné avec sursis pour tromperie
  • abandon ou dépôt illégal de déchets par producteur ou détenteur de déchets

SAS VITRANS :

  • tromperie, par personne morale, sur la nature, la qualité, l’origine ou la quantité d’une marchandise
  • abandon ou dépôt illégal de déchets par personne morale productrice ou détentrice de déchets (amende de 100 000€)

CIDEME : abandon ou dépôt illégal de déchets par personne morale productrice ou détentrice de déchets (200 000€).

Le tribunal a par ailleurs condamné à titre de peine complémentaire la société VITRANS et la société CIDEME à remettre le site en état le site, ce qui signifie qu’elles devront enlever à leurs frais les 30 000 tonnes de mâchefers entreposés sur ce terrain et les remplacer par de la terre végétale.

Quelques extraits croustillants du jugement :

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