Décharges : comment réduire une source majeure de gaz à effet de serre ?
En France, près de 75% des émissions de gaz à effet de serre du secteur des déchets proviennent des décharges. Zero Waste France alerte face au méthane encore généré par la décomposition des biodéchets toujours présents dans les ordures ménagères résiduelles.
Dans un contexte où la COP29 qui s’est tenue fin novembre 2024 a réaffirmé l’objectif de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C [1] par rapport aux niveaux pré-industriels, la réduction des émissions de méthane s’impose comme un levier fondamental. Grâce à sa durée de vie courte dans l’atmosphère (environ 12 ans), une réduction rapide de ce gaz pourrait avoir des effets bénéfiques sur le climat visibles dès les prochaines décennies. Cependant, la gestion des déchets en France révèle de nombreux paradoxes et défis qu’il est urgent de résoudre.
Quel est l’impact des décharges sur l’environnement ?
Le méthane est le deuxième gaz à effet de serre qui contribue le plus au changement climatique après le CO2 (dioxyde de carbone). Dans les décharges, également appelées centres d’enfouissement, centres de stockage ou ISDND (installation de stockage des déchets non dangereux), la décomposition anaérobie (sans oxygène) des biodéchets, c’est-à-dire les déchets organiques tels que les restes de repas, épluchures, etc., produit massivement du méthane qui contribue fortement au changement climatique, notamment lorsqu’il s’échappe dans l’atmosphère à cause de systèmes de captage inefficaces ou inexistants.
Par ailleurs, un autre problème environnemental majeur se pose en raison de la formation de lixiviats dans les décharges. Ces derniers sont des liquides extrêmement polluants produits sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation des biodéchets en centre d’enfouissement (ces derniers étant composés à plus de 75% d’eau). Lorsqu’ils traversent les biodéchets, riches en matières organiques, ces jus se chargent d’éléments en décomposition, de substances chimiques, de métaux lourds, et de micro-organismes que contiennent les déchets mis en décharge. Si leur gestion n’est pas rigoureuse, ils peuvent infiltrer les sols et contaminer les nappes phréatiques ou les cours d’eau voisins. La pollution ainsi engendrée affecte la qualité de l’eau potable et des écosystèmes aquatiques, représentant une menace pour la biodiversité et la santé humaine.
Réduire la part des biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles (OMR) constitue donc une priorité pour limiter le double fardeau environnemental que représentent les émissions de méthane et la production de lixiviats.
Mise en décharge : la France peut-elle encore rattraper son retard ?
En France, malgré les engagements fixés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) visant à réduire de 50 % les déchets enfouis d’ici 2025 par rapport à 2010, les chiffres de 2023 montrent que 14 millions de tonnes de déchets ont encore été mis en décharge. Cette situation met en évidence que la cible de la LTECV, fixée à 9,73 millions de tonnes d’ici 2025, semble hors d’atteinte sans la mise en place de mesures contraignantes. Par ailleurs, on dénombre encore 178 décharges – ou centres d’enfouissement, ou ISDND (…) – sur le territoire français fin 2024. Il est important de rappeler que l’enfouissement constitue le dernier maillon de la hiérarchie des modes de traitement des déchets, privilégiant en premier lieu la prévention et le réemploi, puis le recyclage et enfin l’incinération et l’enfouissement.
Les limites des systèmes de captage actuels
En théorie, dans une décharge, chaque casier recevant des biodéchets doit être équipé d’un dispositif de collecte du biogaz afin de limiter les émissions de méthane dans l’atmosphère. Cependant, en pratique, ces dispositifs sont souvent insuffisants, avec des taux de captage variant entre 80 % et 90 %, ce qui laisse une quantité significative de méthane s’échapper. De plus, de nombreux sites anciens, non équipés ou mal entretenus, échappent totalement à toute régulation.
La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), qui fixe des objectifs pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, mise sur le captage et la valorisation du méthane des décharges. Cependant, ces scénarios ont été critiqués par des scientifiques pour leur sous-estimation flagrante de l’impact réel du méthane sur le réchauffement climatique. Selon certain·es expert·es, si ces émissions ne sont pas mieux prises en compte, la contribution de la France au réchauffement climatique pourrait être 51 % supérieure aux prévisions officielles d’ici 2050. [2]
Sortir les biodéchets de nos poubelles : une solution à portée de main
En 2021, selon l’enquête collecte de l’ADEME, 24 % des ordures ménagères résiduelles (OMR) ont été directement orientées vers un centre d’enfouissement sans aucun traitement ou tri préalable, en dépit de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Cette situation illustre un paradoxe énergétique et environnemental majeur : les biodéchets, qui représentent près d’un tiers des déchets de nos poubelles ménagères selon la campagne de caractérisation MODECOM de l’ADEME, continuent d’être massivement enfouis, où ils produisent du méthane et des lixiviats. Ce modèle linéaire, « produire-consommer-jeter », gaspille une ressource précieuse et aggrave les émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, tout n’est pas perdu. Malgré le retard dans l’atteinte de l’objectif de réduction de 50 % des déchets enfouis d’ici 2025, prévu par la LTECV, une solution essentielle demeure : sortir les biodéchets de nos poubelles.
La loi AGEC, entrée en vigueur le 31 décembre 2023, oblige désormais les collectivités à mettre à disposition de leurs administré·es une solution de tri à la source des biodéchets. Cette généralisation effective du tri à la source représente un levier clé pour limiter l’enfouissement et valoriser ces déchets de manière productive :
- Par le compostage, pour générer des fertilisants naturels qui enrichissent les sols agricoles.
- Par la méthanisation, pour produire du biogaz qui remplace les énergies fossiles.
Malgré tout, en juillet 2024, seulement 40 % de la population française avait accès à une solution de tri à la source. En valorisant les biodéchets par méthanisation ou compostage, il serait pourtant possible de réduire significativement la quantité de déchets orientés vers les centres d’enfouissement tout en favorisant la transition écologique et énergétique.
Les solutions pour réduire les émissions de méthane des décharges
Pour limiter les émissions de méthane des décharges, plusieurs solutions sont à notre disposition. Voici quelques mesures clés qui existent pour réduire significativement la quantité de biodéchets enfouis et favoriser leur valorisation, tout en minimisant l’impact environnemental des décharges :
Généraliser le tri à la source des biodéchets sur le territoire
La loi AGEC oblige depuis le 1er janvier 2024 toutes les collectivités à proposer une solution de tri à la source des biodéchets, mais seulement 40 % de la population [3] bénéficie actuellement d’un tel service. Pour que cette mesure soit efficace, il est nécessaire de :
- Déployer des solutions de tri à la source des biodéchets sur tout le territoire (collecte séparée et/ou gestion de proximité).
- Sensibiliser massivement les habitant·es pour les encourager à participer au tri à la source des biodéchets.
- Fixer des objectifs chiffrés progressifs de réduction. Zero Waste France recommande de réduire les biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles à 39 kg par habitant en 2026, puis à 15 kg d’ici 2035.
Lutter contre le gaspillage alimentaire
En 2023, selon l’ADEME, 10 millions de tonnes de pertes et de gaspillage alimentaire ont été observées en France, soit l’équivalent de 150 kg par habitant·e chaque année. Parmi ce gaspillage, la production et la transformation représentent à elles seules 80 kg, soit plus de la moitié. Il est donc essentiel de réduire le gaspillage à chaque étape de la chaîne de valeur – de la production à la consommation – et pas seulement au niveau des ménages, afin de diminuer la quantité de biodéchets générés et envoyés à l’enfouissement.
Renforcer la réglementation sur les décharges
Les plafonds actuels de la réglementation sur le suivi et la réduction des émissions des décharges, qui autorisent jusqu’à 30 % de biodéchets enfouis, sont trop élevés. Réduire ce seuil et imposer des contrôles dans les décharges plus stricts sur la composition des déchets enfouis est essentiel pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Optimiser les systèmes de captage de méthane
Bien que le captage dans les installations de stockage ne soit pas une solution miracle, il reste indispensable pour les sites existants et anciens. Le méthane capté peut être transformé en énergie, réduisant ainsi la dépendance aux énergies fossiles.
En somme, la réduction des émissions de méthane demeure un enjeu crucial dans le secteur du traitement des déchets. Pour y parvenir, il est impératif de doter les collectivités des moyens humains et financiers nécessaires afin qu’elles puissent enfin sortir les biodéchets de la poubelle grise, évitant ainsi leur incinération ou leur enfouissement, deux pratiques aux impacts environnementaux majeurs. Cependant, les choix budgétaires des gouvernements successifs suscitent de vives inquiétudes. La réduction drastique du Fonds Vert, pourtant essentiel pour financer le tri à la source des biodéchets, compromet gravement les avancées attendues dans ce domaine et met en péril l’atteinte des objectifs prévus par la loi.
Sources
[1] United Nations Climate Change, “COP29 : La conférence des Nations Unis sur le climat convient de tripler le financement aux pays en développement pour protéger les vies et les moyens de subsistance”, novembre 2024
[2] Global Chance, “Le méthane, important angle mort de la stratégie nationale bas carbone française”, mars 2019
[3] Ouest-France, “Environ 40% des Français ont désormais accès à une solution de tri des biodéchets”, Octobre 2024