Déchets du BTP : un potentiel de réduction des émissions de GES sous-exploité
C'est un fait : les déchets du BTP contribuent de manière non-négligeables aux émissions de Gaz à Effet de Serre. Pourtant, il existe des solutions pour réduire ces émissions : éco-conception, le réemploi de matériaux de construction, recyclage. Mais ces dernières sont encore trop peu développées et mises en place.
A quatre mois de la COP21 et alors que des objectifs de rénovation thermique des bâtiments, de construction de nouveaux logements et des grands projets tels que le Grand Paris doivent être réalisés, Zero Waste France revient sur l’impact climatique de la gestion des déchets du bâtiment et des travaux publics (BTP). En effet, derrière le poids colossal que représentent ces déchets (70% des 345 millions de tonnes de déchets produits en France chaque année), se cache un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre sous-estimé.
Une contribution non négligeable aux émissions de l’industrie et du transport
Les déchets du BTP sont rarement incinérés et lorsqu’ils sont enfouis, leur décomposition (qui peut être source de pollution pour les sols) n’entraîne pas l’émission de biogaz comme pour d’autres types de déchets [1]. A première vue, ils contribuent donc peu aux émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des déchets [2]. Pourtant, ils ont un impact significatif en termes d’émissions de GES dès lors que l’on appréhende le cycle de vie complet des matières devenues déchets.
En 2012, 389 millions de tonnes de matériaux de construction sont utilisées en France, soit 50% des matières mobilisées par la consommation [3]. Or, avant que ces matériaux ne soient employés sur des chantiers, il aura fallu extraire, puis transporter et transformer les matières premières dont ils sont issus et enfin fabriquer puis distribuer ces matériaux, autant d’étapes très émettrices de GES, notamment en raison de la quantité importante d’énergie qu’elles nécessitent.
Dans le cas de certains matériaux tels que le ciment et l’acier, c’est le processus même de fabrication qui génère le plus de GES. A titre d’exemple, malgré des efforts menés par ces industries, la production d’une tonne de clinker (ndlr. constituant du ciment qui résulte de la cuisson d’un mélange de silice, d’oxyde de fer et de chaux) émet 0,89 tonne de CO2 [4] et chaque tonne d’acier produite génère l’émission de 1,32 tonnes de CO2. Un travail de prévention, incluant une réflexion approfondie sur les gaspillages et usages de ces matériaux apparaît alors comme une priorité. Ensuite, l’alternative à la matière première vierge doit être envisagée. Ainsi, quand l’utilisation de matières biosourcées n’est pas possible, le réemploi, la réutilisation et le recyclage nécessitent être encouragés. Or pour ce faire, une évolution des normes sera indispensable [5]. En effet, certaines normes freinent le développement de projets tels que Recybéton [6], qui a validé techniquement la possibilité de faire du béton à partir de granulats d’ancien béton.
Enfin, à chaque étape de leur cycle de vie, ces matières premières et matériaux sont transportés sur de longues distances, encore majoritairement par camions contribuant aux émissions de GES du secteur des transports. En effet, la part de la route dans le transport de matériaux de construction français terrestre était encore de 78,9% en 2012[7]. Le bilan GES de leur transport est d’autant plus important qu’il s’agit de matériaux très denses donc lourds à transporter et volumineux.
L’éco-conception : une des clés de la réduction de ces émissions
Néanmoins, des solutions existent. La première d’entre elles consiste à réfléchir à la fin de vie des constructions dès leur conception. En effet, l’éco-conception dans le secteur du BTP ne se limite pas à un travail sur la consommation énergétique des bâtiments, il s’agit également, en amont du chantier, d’anticiper le vieillissement de l’édifice en choisissant des techniques d’assemblage réversibles ainsi que des matériaux de qualité, sélectionnés pour leur durabilité et leur potentiel de réemploi dans des constructions futures, de réutilisation et de recyclage. Enfin, la rénovation doit être préférée à la reconstruction.
Une organisation du chantier prenant en compte la production de déchets.
Le temps du chantier constitue également un moment clé dans la prévention de la production de déchets du BTP car cette dénomination ne désigne pas uniquement les déchets issus de démolitions, mais aussi ceux des chantiers de construction ou de rénovation. Réduire la quantité des déchets pendant le chantier contribue ainsi à réduire les émissions de GES.
En améliorant la qualité [8] sur les chantiers : une partie des déchets produits sur les chantiers correspond à des erreurs de qualité et serait dont évitable. Améliorer la qualité permettrait d’une part, de diminuer d’autant les émissions de CO2 liées à la phase de production et de transport des matériaux mais aussi diminuerait le nombre de camions nécessaires à l’acheminement des matières premières et au transport des déchets vers les installations de stockage ou de valorisation.
Le développement de synergies entre chantiers, réfléchies au niveau local, s’avère également une piste intéressante. Les ressources inutilisées de l’un deviendraient les matériaux de construction de l’autre, contribuant ainsi à limiter gaspillages et production de déchets. Dans cette optique, on observe l’émergence de plateformes en ligne visant, par exemple, à mettre en relation des chantiers ayant des déblais et d’autres nécessitant des remblais [9] ou encore à revendre à proximité des surplus de béton avant qu’ils ne deviennent des déchets [10].
Des émissions de GES évitées via le réemploi de matériaux de construction
Le réemploi constitue un autre outil à fort potentiel de réduction des émissions de CO2 du secteur de la construction. Il consiste à utiliser à nouveau un matériau récupéré après une déconstruction minutieuse et avant que celui-ci ne devienne un déchet.
Là aussi, des plateformes en ligne émergent et constituent une opportunité pour se faire rencontrer l’offre et la demande. C’est notamment le cas d’Opalis.be [11] qui permet aux particuliers, entrepreneurs et architectes demandeurs de matériaux de réemploi de se renseigner sur ceux-ci et d’en localiser l’offre.
Ces démarches visant à utiliser jusqu’au bout les potentialités d’un matériau, bien qu’encore marginales, contribuent à réduire les émissions de GES des déchets du BTP. En effet, en plus de préserver l’énergie grise des matériaux et d’éviter les émissions liées à la fabrication de matériaux neufs, le travail de déconstruction qui précède le réemploi est plus consommateur en main d’œuvre qu’en énergie et donc moins émetteur de GES que la démolition. Enfin, dans la mesure où il s’effectue in situ ou dans des chantiers proches géographiquement, il contribue à réduire les émissions de GES liées à la logistique d’acheminement de matériaux neufs et d’évacuation des déchets.
Certains matériaux sont traditionnellement réemployés comme les briques dont le réemploi d’éviter l’émissions de 0,2 à 0,8 kgCO2 par kg de briques [12]. Cependant, des matériaux plus contemporains comme les faux-plafonds, les modules de cloisons vitrées, les portes, les revêtements de sol ou encore de luminaires peuvent également être orientés vers des filières de réemploi. Le collectif belge Rotor s’est lancé dans cette activité au travers de sa filiale Rotor Deconstruction [13]. A l’occasion d’un chantier de rénovation de bureaux [14], 25 tonnes de matières ont ainsi été déviées vers des filières de réemploi permettant d’éviter l’émission de 53 tonnes de CO2 par rapport à l’utilisation de matériaux neufs, ce qui équivaut à 8,9 fois le tour de la Terre en voiture.
Recyclage : des chiffres trompeurs et un potentiel sous-exploité
Même s’il émet plus de GES que le réemploi car une partie de l’énergie grise du matériau est perdue et que des GES sont émis lors de l’opération de transformation, le recyclage présente un bénéfice climatique dans la mesure où les matières recyclées sont amenées à remplacer des matières premières vierges dans la fabrication de nouveaux matériaux. Ainsi, recycler un kilogramme d’’aluminium permet d’éviter l’émissions de dix kilogrammes de CO2 [15].
Or, pour certains matériaux tels que les plastiques, plâtres ou isolants, des filières de recyclage existent mais faute de tri efficace et parfois de connaissance de ces filières par les maîtres d’ouvrage, elles restent peu développées et ces déchets continuent à être envoyés en décharge.
Par ailleurs, les chiffres de « recyclage » d’environ 50% affichés par le secteur et l’objectif européen de 70% de recyclage d’ici 2020 transposé par la loi de transition énergétique [16] masquent ce faible développement de la valorisation matière car ils incluent l’utilisation de déchets du BTP dans la réalisation de remblais, d’assises de chaussées ou de réaménagement de carrières. Ces opérations représentent des volumes importants (environ 50% des déchets inertes) [17] et permettent de remplir les objectifs sans encourager les formes de valorisation matière qui préservent davantage les propriétés des matériaux [18]. De plus, elles peuvent venir masquer une réalité toute autre : des déchets « inertes » de tout type (chargés de plomb, cadmium, zinc..) déversés pour servir de remblais ou dans les carrières, sans être soumis par ailleurs aux mêmes contrôles que ceux appliqués aux installations de stockage
Conclusion : Une révolution de la prévention et valorisation des déchets du BTP à impulser
L’impact climatique des déchets du BTP n’est donc pas négligeable et s’ajoute à leurs impacts environnementaux, sociaux et économiques. S’il n’y a pas de solution unique, les potentiels de réduction de ces émissions de GES sont tangibles et on observe un foisonnement d’idées favorisé par le développement de nouvelles technologies. Néanmoins, une révolution dans la manière de penser le secteur du BTP ainsi qu’une réelle volonté politique (encouragement des initiatives, utilisation du levier de la commande publique, évolution des réglementations et des normes, incitations au réemploi et à l’utilisation de matières premières secondaires, rénovation plutôt que démolition…) seront nécessaires pour développer ces actions encore aujourd’hui balbutiantes. Dans le secteur du BTP comme ailleurs, c’est la solution du « zéro déchet, zéro gaspillage » qui doit s’imposer. Nous devons penser les villes comme les carrières de demain.
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[1] En installations de stockage des déchets inertes (ISDI), en installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND) ( bois plastiques, plâtres, isolants..) et en installation de stockage de déchets dangereux (ISDD).
[2] Les émissions de GES du secteur des déchets sont en grande majorité constituées d’émissions de méthane des décharges et de CO2 de l’incinération.
[3] ADEME, chiffres clés 2015
[4] La fabrication de ciment est responsable de 2,7% des émissions de CO2 mondiales. Site internet du Sénat http://www.senat.fr/rap/r98-346/r98-34611.html
[5] Des normes autorisent l’utilisation de matériaux validés scientifiquement dont leurs propriétés ont été prouvées empiriquement. Or ces normes ont été élaborées à l’origine pour des matériaux neufs, l’utilisation de matériaux réemployés et certains recyclés requière donc l’évolution de ces normes.
[6] http://www.pnrecybeton.fr/
[7] Contre 15,4% pour le rail et 5,7% pour le fluvial en 2012. Source : Commissariat général au développement durable – Service de l’observation et des statistiques, Les comptes des transports en 2012 – M2 Le transport intérieur routier de marchandises, juillet 2013
[8] A titre d’exemple, le projet REVALO soutenu par l’ADEME prône une “qualité intégrée, qui vise à réduire à la source les déchets de production issus de la phase Gros Œuvre des bâtiments en construction en appliquant des techniques de contrôle qualité en phase production, limitant les erreurs donc les reprises fortement génératrices de déchets” source : http://optigede.ademe.fr/dechets-batiment-prevention .
[9] http://www.soldating.fr/
[10]http://www.optigede.ademe.fr/fiche/reutilisation-des-surplus-de-beton-site-internet-de-mise-en-relation-kyyplecom
[11] http://opalis.be/
[12] WRAP, Reclaimed building products guide, mai 2008, p18
[13] http://rotordeconstruction.tumblr.com/
[14] Remise à nu de 7 étages du bâtiment “Triomphe I” en mai 2013
[15] FNADE, Le secteur des déchets et son rôle dans la lutte contre le changement climatique, p7
[16] La directive cadre sur les déchets 2008/98/CE du 19 novembre 2008 fixe un objectif de 70% de réemploi, recyclage ou valorisation matière des déchets de la construction et de la démolition d’ici 2020. L’article 19 de la loi de Transition énergétique pour une croissance verte transpose cet objectif en droit français.
[17] ADEME
[18] Les matériaux dits inertes sont en effet mélangés et concassés pour réaliser ces opérations.
Sources
*ADEME, Déchets chiffres clés 2015
*Commissariat Général au Développement Durable, Chiffres clés du transport, édition 2015, mars 2015
*WRAP, Reclaimed building products guide, mai 2008
*Thornton Kay, Salvo Llp Jonathan Essex, BioRegional, Pushing reuse : Towards a low‐carbon construction industry, 2007
*Assises de l’économie circulaire, Atelier 7 : Recyclage, réemploi et réutilisation des matériaux et des déchets du BTP, 16 juin 2015, Paris
*Journée régionale « Le PREDEC : Vers une économie circulaire des matériaux/déchets du BTP », 25 juin 2015, Paris