Les déchets sont-ils une source d’énergie renouvelable ?

L'énergie issue des déchets est considérée comme partiellement renouvelable. Dans cet article paru sur le blog Isonomia, Mike Brown questionne ce statut.

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Cet article est une traduction de l’article de Mike Brown « Is waste a source of renewable energy? » pour Isonomia.

A chaque fois que vous vous intéressez à l’énergie issue de l’incinération, vous vous retrouvez immanquablement confronté à l’expression « énergie renouvelable ». Vince Cable a encore utilisé ce terme pour décrire un nouvel incinérateur à Lincolnshire (Angleterre) la semaine dernière. Sur le site internet d’entreprises comme Viridor, Energos, SITA, des villes de Glasgow à Londres, ou de la Green Investment Bank, qui s’est engagée à financer plusieurs projets d’installations de « valorisation énergétique » – l’incinération est systématiquement présentée dans des termes généralement réservés aux formes d’énergie telles que le vent, les courants marins et la géothermie.

Je suppose que cette communication est à peine surprenante – les commerçiaux veulent vendre des incinérateurs; une ville qui en achète un veut s’assurer que les habitants seront d’accord pour dire qu’il s’agit d’une bonne idée; et la Green Investment Bank ne porterait pas bien son nom si elle ne se concentrait pas sur l’énergie renouvelable. Cependant, Eunomia fait depuis longtemps valoir qu’il est contre ce point de vue, qui constitue une méprise à la fois de la science et de la politique.

N’en croyez pas un mot

Clairement, en un sens, les déchets sont « renouvelables ». L’Oxford English Dictionnary définit ce mot comme tout ce qui est « capable de se reconstituer et qui n’est pas appauvri par son utilisation” – comme nous créons toujours plus de déchets chaque jour, à moins que nous devenions réellement ambitieux concernant nos objectifs de recyclage, nous allons continuellement reconstituer notre stock de déchets combustibles et pour encore longtemps. C’est une interprétation légèrement plus lugubre du mot « renouvelable », mais je suspecte que ce soit celle que de nombreux promoteurs de l’incinération ont en tête.

Cependant, il y a une question plus fondamentale que je voudrais aborder.

Pour qu’un incinérateur produise de l’énergie renouvelable au vrai sens du terme, il doit répondre à certains critères établis dans les définitions officielles et les politiques publiques en matière d’énergie renouvelable. La Directive EnR de la Commission européennes définit une « énergie issue de sources renouvelables » comme incluant seulement des sources non-fossiles, précisément « éolien, solaire, aérothermie, géothermie, hydrothermie et énergie marine, hydroélectricité, biomasse, biogaz issu de décharge et du traitement des eaux usées ». En ce sens, une quantité considérable de matériaux contenus dans nos déchets n’est pas renouvelable. Dans son récent document « L’énergie issue des déchets : un guide pour le débat », le Ministère de l’écologie britannique reconnaît cette définition, en ajoutant que :

 » L’énergie issue des déchets résiduels est seulement partiellement renouvelable en raison de la présence de carbone fossile dans les déchets, et seule la contribution de l’énergie issue de la fraction biogénique est comptée pour atteindre les objectifs d’énergie renouvelables (et seulement cette partie est éligible aux incitations financières réservées aux renouvelables)« .

Les déchets contiennent des matériaux dérivés du pétrole, comme les plastiques. Cependant, ils contiennent aussi des matériaux d’origine biogénique, comme le papier, le carton et les déchets alimentaires. Bien qu’il soit plus écologiquement (et souvent économiquement) préférable de les recycler, ils sont sans doute autant renouvelables que toute autre forme de biomasse. Ceci étant dit, beaucoup des matériaux d’origine biogénique que l’on peut trouver dans le flux de déchets résiduels, comme la nourriture, le papier, le carton et les textiles naturels, sont issus d’une agriculture intensive – monoculture forestière, champs de coton et autres « déserts écologiques ». Les écosystèmes desquels ces matériaux sont issus ne pourraient pas survivre en l’absence d’intervention humaine, et sans l’apport d’énergie issue de ressources fossiles. Que l’on considère ces matériaux comme renouvelable est donc plus que discutable. Cependant, même en leur accordant un tel statut, l’affirmation selon laquelle l’énergie issue des déchets serait renouvelable est problématique.

Le rôle des certificats d’oli

Le but des incitations financières sur les renouvelables semble être d’amener l’énergie issue des déchets plus ou moins au même niveau que les autres formes d’énergie issues de ressources biogéniques. En pratique, seuls les incinérateurs combinant chaleur et électricité et les technologies avancées de transformation (gazéification et pyrolyse) sont éligibles à des subventions sous forme de certificats d’obligation d’achat d’énergies renouvelables (Renewables Obligation Certificates en Anglais, ou ROCs), actuellement au taux d’1 et 2 ROCs par MWh respectivement, et seulement pour l’énergie issue de la part biomasse.

A moins que des mesures spécifiques soient décidées concernant les éléments renouvelables de l’énergie issue d’une installation de valorisation énergétique (combinant chaleur et énergie), 50% de l’énergie qu’elle produit est éligible aux ROCs. Ces technologies vont dans le futur être soumises aux Contracts for Difference (CfD) pour les énergies renouvelables, qui vont donc partiellement confirmer leur statut d’énergie renouvelable dans les années à venir. La chaleur produite par une unité de valorisation énergétique peut également recevoir des subventions via les incitations à la chaleur renouvelable (Renewable Heat Incentive en Anglais).

Cepenant, il n’y a pas de place dans les ROCs ou les CfD pour les incinérateurs qui ne produisent que de l’électricité, ce qui représente la grande majorité de ceux que nous avons construit au Royaume-Uni. Cela ne bouleverse pas l’équité avec la biomasse, étant donné que la production d’électricité issue de la seule biomasse est également exclue du nouveau système de CfD.

Donc les politiques et pratiques gouvernementales traitent l’énergie issue des déchets au mieux comme « semi-renouvelable », mais qui ne mérite d’être subventionnée que lorsqu’elle produit de la chaleur utile en addition de l’électricité. Le système de subvention considère donc la plupart de notre infrastructure de production d’énergie à partir de déchets moins productive en énergie renouvelable que le biogaz de décharge par exemple, qui se qualifie pour 0,2 ROCs per MWh pour les sites fermés. Bien qu’une part supposée biogénique de l’énergie issue des déchets continue à être comptée pour l’atteinte des objectifs d’EnR, la caractéristique « renouvelable » de l’incinération est loin d’être reconnue.

Une énergie vraiment verte ?

Cependant, on peut se poser la question de savoir si les usines d’incinération avec récupération méritent leur place dans le champ des énergies renouvelables. L’incinération n’est pas une forme très performante de production d’énergie. Un incinérateur a seulement besoin d’atteindre une efficacité énergétique de 25,5% pour être considéré comme une installation R1 (valorisation). Le centre de recherche du Ministère de l’écologie britannique a calculé que l’efficacité maximale que peut atteindre un incinérateur ne produisant que de l’électricité se situe aux alentours de 33%.

Le même rapport a mis en évidence qu’un incinérateur doit atteindre « une efficacité de conversion supérieure à 33% » pour émettre moins de CO2 par MWh d’énergie utile produite qu’une centrale à gaz moderne. Si l’on inclut le carbone biogénique dans ce calcul, ce taux serait porté à 83%. Donc, toutes les installations d’incinération en cogénération émettent plus de CO2 par MWh d’énergie produite que ne le ferait une centrale à gaz, et beaucoup plus de CO2 au total. Tout ça ne m’apparaît pas très vert.

De plus, parce qu’elle ne contient pas autant d’énergie que les carburants classiques, globalement, l’énergie disponible dans les déchets résiduels est faible. En utilisant les chiffres d’un collègue, j’ai calculé que l’on doit brûler environ 10 millions de tonnes de déchets pour générer 1% de notre besoin énergétique national.

Ce sont les ressources biogéniques contenues dans les déchets résiduels qui donnent à l’incinération son prestige renouvelable, et la plus grande partie est constituée de déchets alimentaires. Elle est généralement comprise entre 30% et 40% de la masse totale, bien que la quantité varie selon le taux de collecte pour recyclage dans chaque région donnée. Alors que le papier, le carton et les textiles peuvent relativement bien brûler, 70% ou plus des déchets alimentaires sont composés d’eau.

Ne tolérez pas volontier ces carburants

Ces déchets ne sont pas incinérés parce qu’ils constituent un bon carburant (vous pouvez tester chez vous : essayez de mettre le feu à de la salade ou à un yaourt périmé) mais parce que cela permet garder un coût d’incinération attractif. Brûler de la nourriture nécessite une quantité considérable d’énergie pour permettre la combustion, et le gain énergétique net est bas. Les estimations varient entre 3 et 5GJ/tonne, comparées aux environ 10GJ/tonne des déchets ménagers en entier, et aux plus de 25GJ/tonne des plastiques. Les déchets alimentaires, la principale composante biogénique et donc « renouvelable » des déchets résiduels, est difficile à incinérer et produit peu d’énergie.

Les recherches du Ministère de l’écologie britannique (Defra) citées ci-dessus incluent quelques tableaux utiles montrant la contribution de chaque matériau, contenant du carbone biogénique ou fossile, au potentiel énergétique global des déchets. Apparemment, ces calculs seraient basés sur une caractérisation des déchets qui date de 2006, bien que ce soit difficile à vérifier car incorrectement référencé. La caractérisation montre que les déchets alimentaires constituent 31% du carburant : ensuite, même en supposant généreusement qu’ils produisent 5GJ/tonne, ils contribuent à seulement 15% du potentiel énergétique des déchets résiduels. En revanche, le plastique constitue 13% du carburant mais contribue à 32% de la production énergétique. Selon une composition plus récente produite pour Defra, les plastiques représentent maintenant environ 25% des déchets résiduels collectés chez les ménages, et fourniraient plus de la moitié de l’énergie des déchets qui en sont issus.

Le mythe selon lequel l’incinération est une source d’ « énergie renouvelable » est dangereux, et il faut la rejeter avant que de l’argent public soit gaspillé dans les incinérateurs. Nous pouvons peut-être comptabiliser une partie de l’énergie produite par l’incinération pour les objectifs de production d’énergie renouvelable, mais les systèmes de ROCs et de CfD reconnaissent déjà que la majorité des incinérateurs britanniques ne produisent pas une énergie significativement renouvelable. Cependant, Defra, le Ministère britannique de l’énergie et du changement climatique et la Green investment bank, c’est-à-dire tous ceux qui continuent à soutenir et subventionner l’incinération, doivent se souvenir que l’incinération sans cogénération produit plus de CO2 fossile par MWh (et beaucoup plus de CO2 total) qu’une centrale à gaz. Pour mettre la logique de mon argument dans ses termes les plus frappants : dans la mesure où les déchets sont renouvelables, l’incinération génère très peu d’énergie ; dans la mesure où l’incinération produit de l’énergie, très peu est renouvelable.

(1) Renewables Obligation Certificates (ROCs) en Anglais. Le Royaume-Uni a mis en place ce système de certificats depuis 2002, qui permet de savoir comment l’électricité a été produite, qui l’a produit et qui l’a utilisée. Les fournisseurs d’électricité certifiés sont obligés de produire une partie de l’énergie qu’ils vendent à partir de sources d’énergie renouvelables comme le soleil ou l’éolien. Cette quantité est déterminée chaque année, et augmente d’année en année.

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