Leviers incitatifs
Fiscalité locale et nationale, modulations des prix des produits... La généralisation du zéro déchet suppose d'adapter les signaux économiques envoyés aux entreprises, aux collectivités et aux citoyen·nes afin d'encourager les comportements vertueux et de sanctionner à l'inverse les traitements polluants.
Augmenter le coût des traitements les plus polluants
Le recours à des modes de traitement des déchets polluants et non durables est encore massif en France. Chaque année, 17,5 millions de tonnes sont envoyées en décharge, et près de 12,6 millions de tonnes sont incinérées [1]. Malgré le coût des investissements et du fonctionnement, ces modes de traitement sont encore trop bon marché pour permettre un basculement massif vers la prévention et le recyclage des déchets. L’Ademe l’avait déjà pointé en 2017 dans un comparatif entre différents États : l’élimination des déchets demeure trop peu chère en France pour vraiment encourager à la prévention et au recyclage.
L’un des leviers possibles est celui de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), taxe qui frappe chaque tonne de déchets envoyée en décharge ou en incinération (voir le Code des douanes). La réforme de la TGAP a été adoptée en France dans la loi de Finances 2019, mettant en place une hausse progressive jusqu’en 2025 de la fiscalité applicable aux décharges et aux usines d’incinération. Cette hausse, commencée en 2021, touche également les usines d’incinération faisant de la valorisation énergétique, décision importante et cohérente à l’heure où certaines collectivités et industriels du secteur considèrent à tort l’incinération comme une technologie “circulaire”. Le signal envoyé aux collectivités locales, aux entreprises productrices de déchets et aux exploitants de décharges et d’incinérateurs est donc très clair : il est temps d’investir dans les solutions durables permettant la réduction des déchets à la source, le tri et le recyclage.
La Commission Européenne a elle aussi envoyé un signal fort en avril 2021, en excluant l’incinération de sa taxonomie verte, registre qui définit les domaines dans lesquels les investissements sont considérés comme durables et qui flèche ainsi les financements européens vers certains secteurs clés.
Zero Waste France souligne le niveau d’ambition de ces réformes et espère qu’elle sera suivie d’un véritable changement de paradigme de la part des acteurs du traitement des déchets. Il s’agit là d’une occasion majeure de reconsidérer la nécessité urgente de réduire les déchets en mettant en place des politiques efficaces de prévention, la fiscalité écologique étant avant tout un vecteur d’action.
Encourager la prévention des déchets et le geste de tri
Au-delà d’agir sur le coût des modes de traitement les plus polluants, il est tout autant fondamental d’accompagner les comportements vertueux par des incitations fiscales et des modulations de taxes (au niveau local ou national). Ces modulations peuvent concerner certains modes de consommation (réparation, achat d’objets réutilisables, etc) ou plus globalement consister en une politique publique locale (tarification incitative des usager·ères, etc.).
Localement, développer la tarification incitative
La loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 prévoit qu’en 2025, 25 millions de Français·es devraient être concernés par une tarification incitative des déchets (8 millions d’habitant·es en bénéficient déjà à l’heure actuelle). Il s’agit d’un mode de facturation dans lequel une partie du service payé par les usagers est indexé sur la quantité de déchets produite (mesurée en masse, volume, nombre de levées, etc.). De nombreuses études prouvent les résultats probants de cette tarification en matière de réduction à la source, l’amélioration des taux de collecte des déchets recyclables, la meilleure captation en déchèterie, et surtout la forte baisse des ordures ménagères résiduelles à incinérer ou mettre en décharge. Couplée à la gestion séparée des biodéchets et à un programme ambitieux de prévention, une telle tarification incitative est un levier majeur pour la mise en place d’une stratégie locale tendant vers le zéro déchet.
Favoriser la réparation et le réemploi
De nombreux emplois pourraient être créés dans le secteur de la réparation et du réemploi, tout en contribuant à l’allongement de la durée de vie des produits. Pourtant, ces secteurs peinent à se développer voire connaissent une période de crise à l’heure actuelle, alors même qu’ils sont un dispositif clé dans une transition vers une économie réellement circulaire. Prix élevés de certaines opérations de réparation par rapport au prix du bien, difficulté du secteur du réemploi à trouver du foncier et embaucher, etc. Autant de constats pour lesquels il existe pourtant des solutions… Pour y remédier, Zero Waste France préconise l’application d’un taux de TVA réduit sur les opérations de réparation, et la mobilisation massive de financements en provenance des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) vers le réemploi. Un taux de TVA réduit pourrait également être mis en œuvre en faveur des collectivités ayant mis en place une tarification incitative, ou collectant séparément les déchets organiques.
Inciter à l’éco-conception des produits
De nombreux produits sont aujourd’hui conçus sans que leur fin de vie ait été prise en compte : emballages multi-matériaux, équipements électroniques non réparables, meubles fragiles ou non recyclables, perturbateurs de tri dans les textiles, usages de produits chimiques dangereux… Autant d’exemples parfois bien connus du grand public dans lesquels la responsabilité des producteurs de ces produits est évidente, tant l’absence d’éco-conception est flagrante. Les industriels doivent passer à l’action !
Plusieurs outils sont d’ores et déjà à disposition mais sous-utilisés, tels que le système des bonus / malus dans les filières de « responsabilité élargie des producteurs » (REP). De nombreux produits sont concernés par une filière REP tel que les emballages, les meubles, les textiles, les piles, etc. Les producteurs de ces biens versent un montant pour chaque produit mis sur le marché (une « éco-contribution ») à un éco-organisme dont ils sont membres. Mais ces éco-organismes freinent aujourd’hui la mise en place de bonus / malus sur des critères d’éco-conception des produits. Si quelques bonus sont parfois mis en place, les malus sont en général rejetés alors même que des problèmes d’éco-conception sont clairement identifiés dans chaque filière. Zero Waste France préconise donc le développement massif d’éco-contributions modulées en fonction de la conception des produits, en incluant des malus substantiels. Un affichage spécifique pourrait le cas échéant informer les consommateurs sur les produits bénéficient d’un bonus, ou ciblés par un malus.
Le zéro déchet à l’échelle d’un territoire : des économies à réaliser !
Les collectivités locales craignent parfois qu’une politique zéro déchet ne soit plus coûteuse que le statu quo. Si certaines initiatives peuvent constituer un surcoût d’investissement temporaire, en réalité l’engagement dans une politique zéro déchet au niveau local est l’occasion de repenser l’organisation du service public, notamment par la substitution des collectes avec moins de tournées pour les ordures ménagères, et de réaliser des économies. A l’heure où l’augmentation de la TGAP se fait chaque année sentir, chaque tonne non envoyée à l’incinération ni mise en décharge mais évitée en amont, a son importance sur le plan budgétaire. S’il est complexe de continuer à payer des investissements de long terme dans des équipements (de type incinération) tout en investissant dans la prévention, il est central de le faire le plus tôt possible, les coûts de ces traitements polluants n’allant faire qu’augmenter dans le temps.
Sur le terrain, les collectivités locales dont le ratio d’ordures ménagères résiduelles par habitant est le plus faible ont des coûts globalement inférieurs aux autres collectivités. En effet, les ordures ménagères résiduelles représentent 40% des tonnages gérés mais 60% des coûts : leur réduction constitue une économie substantielle dès lors que ces déchets sont détournés de la mise en décharge ou de l’incinération. En outre, la hausse des taux de recyclage augmente également les soutiens reçus de la part des filières de responsabilité élargie des producteurs (comme pour les emballages par exemple) et découle sur une proportion réduite de la part des taxes locales dans le financement du service public.
Dans son référentiel national des coûts pour 2014 publié en 2017, l’Ademe a consacré un chapitre entier aux collectivités dont les ratios d’ordures ménagères résiduelles par habitant sont faibles (inférieurs à 135 kg), et a comparé leurs coûts aux autres collectivités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la démarche zéro déchet (colonne de gauche pour chaque catégorie) est gagnante au niveau budgétaire et la facture par habitant est plus faible que pour les autres !
[1] Ademe, Chiffres clés 2020, chiffres de 2016.
Territoires Zero Waste
Zero Waste France propose un programme pour accompagner les collectivités locales à mettre en œuvre une politique ambitieuse de réduction des déchets sur leur territoire.
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