Entretien avec le climatologue Hervé Le Treut
Les problématiques des déchets et du changement climatique sont souvent traitées séparément dans la réflexion politique, or elles sont étroitement liées. Hervé Le Treut, climatologue et membre de l'Académie des sciences, nous éclaire sur ces liens.
“Entre les déchets et le changement climatique, la frontière n’est pas étanche”
Il y a un décalage dans les esprits entre les pollutions associées à la gestion des déchets et le changement climatique qui reste une problématique spécifique. En effet, ce dernier n’a pas un impact direct sur la santé, il a surtout un impact global sur la planète, dont il change le bilan radiatif [inventaire de l’énergie reçue et perdue par le système climatique de la Terre, ndlr], alors que le mot « pollution » est associé à des impacts souvent plus directs et locaux. La variété des émissions de gaz et de résidus et la complexité des enjeux liés au secteur des déchets rendent également difficile la compréhension de ces liens.
Néanmoins, les problématiques des déchets et du changement climatique communiquent d’une manière forte : le domaine des déchets contribue directement et indirectement à l’effet de serre. La frontière n’est pas étanche.
“Contribution majeure” des déchets aux émissions de gaz à effet de serre
Le premier point est le traitement même des déchets. Les décharges sont une source importante d’émanations de gaz à effet de serre (GES), notamment de méthane qui est le deuxième GES le plus important. Il a un potentiel de réchauffement environ 20 fois supérieur au CO2, ce qui signifie qu’une tonne de méthane émise dans l’atmophère équivaut à 20 tonnes de CO2. L’incinération, quant à elle, est à l’origine d’émissions de CO2 qui s’ajoutent à d’autres pollutions notamment aux métaux lourds. Enfin, la collecte et le transport des déchets contribuent également aux émissions de GES.
A ces émissions, il faut ajouter celles des produits avant qu’ils ne deviennent des déchets (extraction et transport des matières premières, fabrication, diffusion et utilisation des produits…). Quand on pense « déchets », on pense immédiatement « gaspillage » et qui dit « gaspillage » dit gaspillage d’énergie en termes de production, d’emballages inutiles, de transport de marchandises sur des distances très grandes, de non-consommation de produits etc. Cette problématique de surconsommation et de gaspillage est une contribution majeure au changement climatique.
La captation du méthane des décharges : “une réparation imparfaite”
D’une manière générale, étant donné le potentiel de réchauffement du méthane, il est important de le récupérer au lieu de le laisser s’échapper. Cela se fait dans certains pays et dans certains contextes. Cela dit, nous avons du mal à bien quantifier les différentes sources de méthane car elles sont très variées. De plus, l’énergie récupérée dans les décharges n’est qu’une partie de l’énergie que l’on a dépensée pour produire ces déchets dont certains sont inutiles. On peut alors parler de « réparation imparfaite ». Dans tous les cas c’est en amont qu’il faut éviter de produire ces déchets et trier à la source pour ne pas mettre en décharge des déchets biodégradables qui en se décomposant laisseront échapper du méthane.
La démarche Zero waste, “première étape indispensable” dans la lutte contre le réchauffement climatique
Ce type de démarche visant à limiter le recours aux ressources naturelles a sa place dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, quelle que soit la manière dont on suit les filières de production, on s’aperçoit que la surproduction inutile est toujours au centre de la problématique climat. Viser une certaine sobriété dans la production est donc primordial.
Même si cela ne suffira pas et devra se doubler d’une transition vers les énergies renouvelables, mieux utiliser ce dont on dispose en termes de ressources est une partie importante du chemin qui doit être parcourue. Prévenir la production de déchets et mieux les valoriser est donc une première étape indispensable dans la lutte contre le changement climatique.