Grands discours et promesses creuses : plongée dans l’accord de Paris sur le climat
Samedi 12 décembre en fin de journée, l’Accord de Paris sur le climat a été adopté par les 195 pays qui ont négocié durant deux semaines au Bourget dans le cadre de la COP21. Réaction et analyse de Zero Waste France et de son réseau international GAIA.
Immédiatement après l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat dans le cadre de la COP21, de nombreuses déclarations ont afflué dans les médias et sur les réseaux sociaux, souvent accompagnées du hashtag #wemadehistory (“nous sommes rentrés dans l’Histoire”). Avoir obtenu un accord approuvé par 195 pays dans les délais impartis pour cette conférence climatique est en effet remarquable, notamment après l’échec de Copenhague. Cependant, la nécessité d’un consensus global a mené à un texte qui, s’il affiche des objectifs à première vue ambitieux, n’est pas contraignant et ne permettra certainement pas à lui seul de maintenir le réchauffement climatique en-deçà de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels.
Un objectif visiblement ambitieux, oui mais…
C’est pourtant l’objectif que se sont fixés les signataires du texte, allant même jusqu’à décider de poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5°C. Mais atteindre cet objectif supposerait de baisser les gaz à effet de serre de 70 à 95 % d’ici 2050, en stoppant notamment le recours aux énergies fossiles d’ici à 2030… On est bien loin de l’ambition des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (les INDCs) pris par 176 pays sur 195 avant le début des négociations qui, même s’ils étaient tous remplis, entraîneraient une hausse de 3°C. Mais bien sûr, ces engagements ne sont pas contraignants, et en particulier pour les pays riches historiquement responsables des changements climatiques. Nouveauté de cet accord, les pays devront dès 2023, et tous les 5 ans à partir de là, se réunir pour discuter d’engagements plus ambitieux, sans que cela ne garantisse bien sûr une ambition effective in fine. Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’entre maintenant et 2020, aucun effort supplémentaire n’a été consenti par les États. Or, selon les chercheurs du GIEC, les dix – et même les cinq – prochaines années sont cruciales pour limiter le dérèglement du climat. Beaucoup de scientifiques considèrent même que la course contre la montre des 2°c est perdue d’avance.
Des financements ridiculement insuffisants
Concernant les financements nécessaires à l’atténuation des émissions et l’adaptation aux changements climatiques qui devraient transiter des pays historiquement les plus émetteurs vers les pays du Sud, principales victimes des effets déjà palpables des changements climatiques, l’Accord de Paris ne prévoit pas de fonds supplémentaires par rapport aux 100 milliards annuels d’ici à 2020 promis à Copenhague en 2009, et fait même de la levée de fonds un “effort global”. A l’aide de calculs farfelus [1] les pays annoncent déjà donner 62 milliards de dollars par an et que les nouvelles promesses (UK, France, Allemagne et Japon notamment) faites à Paris pourrait porter ce chiffre à 94 milliards (plutôt 82 selon Oxfam). En réalité, seulement 2 milliards de dollars annuels sont actuellement dédiés aux fonds climat et un maximum de 20 milliards de dollars par an est dédié à la finance climat, si l’on adopte une définition plus large. Alors que les besoins estimés seraient supérieurs à 800 milliards de dollars annuels. Comparé aux 5300 milliards de dollars par an de subventions directes et indirectes que les gouvernements du monde accordent aux énergies fossiles, le manque d’engagement financier des pays riches, qui concentrent 10% de la population mondiale pour 60% des émissions de GES totales, apparaît indécent.
Le texte reconnaît l’importance des pertes et dommages (“loss and damage”) aux pays déjà affectés par les changements climatiques (typhons, sécheresses, raz-de-marée, tsunamis, etc.), mais sans leur offrir de droits aux compensations financières ni de protection juridique particulière. Ce sont notamment les États-Unis qui ont fermé la porte à ces discussions, suivis discrètement par d’autres pays développés, en échange de la carotte d’un engagement sur un objectif de 1,5°C (bien entendu non contraignant)…
Un objectif pervers de « Net Zéro »
Limiter le réchauffement à 2°C reviendrait à laisser dans le sol 80% des réserves de carburants fossiles actuellement connues. Évoquée dans les versions intermédiaires du texte, cette question ne figure dans l’accord final que sous la forme d’un engagement vague à atteindre “un équilibre entre les émissions anthropiques par source et leur absorption par des puits de carbone dans la deuxième moitié du siècle” entre 2050 et 2100. C’est le fameux objectif de “net zéro”, qu’il faudrait pour les experts de l’ONU atteindre dès 2070. Autrement dit, les pollueurs ont la possibilité de continuer à polluer comme avant si, dans le même temps, ils compensent en investissant dans la captation du carbone (entretien des forêts et reforestation, ou d’autres techniques coûteuses), bien entendu dans les pays en développement et bien entendu avec le risque d’exproprier ou de malmener des populations locales.
L’Accord de Paris prévoit que ces pratiques puissent continuer à être monétarisées sur un marché carbone, grâce à la création d’un mécanisme remplaçant le mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto, et répondant au doux nom de “mécanisme pour contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et soutenir le développement durable” (MCAEGESSDD?). La naissance de ce nouveau mécanisme de marché carbone devrait donner lieu à une bataille féroce à la prochaine COP à Marrakech.
Et les déchets dans tout ça ?
C’est la manière dont ce mécanisme, et la finance climat en général, va servir à financer des projets de gestion de déchets dans les pays en développement qui intéresse plus particulièrement Zero Waste France et son réseau international GAIA. Le texte ne fait bien sûr pas référence aux déchets comme composante du problème et de la solution. Mais la finance climat sert, depuis l’adoption du Protocole de Kyoto, à financer des grands projets d’incinérateurs ou de “viabilisation” de décharges dans les pays en développement, là ou les moyens devraient être mis sur la collecte et la séparation à la source des déchets pour recyclage et compostage. Nos multinationales européennes vont aujourd’hui vendre des incinérateurs dans des pays où le flux de déchets est composé à plus de 80% de matière organique (et donc principalement d’eau) ou privatisent des décharges pour les “viabiliser”, coupant l’accès aux matières premières qu’elles contiennent pour les recycleurs informels. Avec ces pratiques, ils génèrent des crédits carbone achetés par les pollueurs du Nord pour continuer leur “business as usual”. Suez et Veolia défendent ainsi depuis des années leur part du gâteau au sein des négociations, pour vendre leurs fausses solutions comme des outils de réduction des émissions GES. Cette année à Paris, les deux multinationales ont été particulièrement présentes, allant même jusqu’à être partenaires de la COP, une belle occasion de faire du greenwashing à grande échelle! L’enjeu des suites de cet accord en matière de gestion des déchets sera donc de faire en sorte que le rôle d’atténuation des changements climatiques de la prévention, du recyclage et du compostage soit reconnu à sa juste valeur pour que la finance climat serve à financer des programmes en la matière dans les PED plutôt que des infrastructures inutiles et polluantes qui bloquent tout développement de gestion des déchets durable dans ces pays. Le rapport publié par Zero Waste Europe, Zero Waste France et ACR+ en octobre dernier viendra en appui de ce travail, qui risque d’être de longue haleine.
Au final, cet accord est loin d’être suffisant pour nous empêcher d’aller dans le mur. Mais en marge des négociations, la société civile a démontré sa vigueur et son inventivité, et s’est positionnée plus que jamais comme porteuse des vraies solutions aux changements climatiques. Cette influence combinée du texte et de la médiatisation des vraies solutions semblent déjà donner un signal aux investisseurs puisque que 48 heures après l’accord de Paris, Peabody, le géant américain du charbon, avait déjà perdu 13 % de sa valeur boursière…
[1] Comme inclure l’argent envoyé par les migrants travaillant dans des pays développés dans leur pays d’origine.