L’huile de palme n’est pas un biocarburant: quand la jurisprudence protège l’environnement
Par une décision du 11 octobre 2019, le Conseil Constitutionnel a validé l'exclusion de l'huile de palme du régime fiscal favorable applicable aux biocarburants : une décision rassurante rappelant la marge de manœuvre laissée aux pouvoirs législatif et exécutif dans leur prise de décision.
Largement reprise dans la presse, cette décision nous donne l’occasion de faire le point sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière environnementale, et ce qu’elles traduisent en matière de gestion des déchets. Décryptage par Zero Waste France.
Une confirmation logique de la position du législateur au regard de l’impact environnemental de l’huile de palme
La décision du Conseil constitutionnel est un revers pour Total. En effet, l’entreprise pétrolière avait transmis en juillet dernier une question prioritaire de constitutionnalité contre l’amendement contenu dans la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019. Cet amendement visait à exclure l’huile de palme du régime fiscal favorable aux biocarburants.
La question était donc de savoir si le législateur pouvait exclure l’huile de palme dudit régime fiscal applicable aux biocarburants, sans constituer une différence de traitement injustifiée entre les carburants à base d’huile de palme et ceux issus d’autres plantes oléagineuses. A cette interrogation, le Conseil constitutionnel a répondu par la positive, en considérant que cette exclusion n’était pas contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Cela constitue une victoire en matière de lutte contre l’augmentation des émissions indirectes de gaz à effet de serre, trop peu souvent prises en compte dans la réglementation. En outre, le Conseil a su analyser techniquement les impacts négatifs de l’huile de palme, en retenant que celle-ci « se singularise par la forte croissance et l’importante extension de la surface mondiale consacrée à sa production, en particulier sur des terres riches en carbone, ce qui entraîne la déforestation et l’assèchement des tourbières ».
Outre l’impact environnemental de la culture et de l’exploitation de l’huile de palme, ce considérant met en exergue la possibilité offerte au pouvoir législatif, sur la base de « critères objectifs et rationnels« , de ne pas faire droit aux revendications et fausses solutions proposées par les grandes industries. Sur fond de « liberté d’entreprendre », cette décision renforce plus largement l’idée que le pouvoir législatif dispose d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision », que le Conseil constitutionnel peut contrôler mais seulement s’il s’avère que cette appréciation est « manifestement inadéquate au regard de l’objectif d’intérêt général de protection de l’environnement ».
Liberté d’entreprendre et intérêt général : le rôle prépondérant du critère de proportionnalité
Bien souvent (trop souvent?), la liberté d’entreprendre, considérée comme une liberté fondamentale au sens du droit constitutionnel français, est l’arme juridique principalement utilisée par les acteurs économiques et politiques afin de contester des normes réglementaires ou législatives protectrices de l’environnement.
A cet égard, on peut citer la décision du Conseil constitutionnel du 25 octobre 2018 relative à la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous, dite loi “Egalim”. Le texte avait été transmis pour contrôle au Conseil constitutionnel par les sénateurs, qui considéraient que cette loi, au regard notamment des interdictions relatives aux ustensiles plastiques jetables qu’elle contenait, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
Les Sages n’ont toutefois pas eu la même interprétation. Dans un premier temps ils ont rappelé le cadre juridique inhérent à cette situation, avant d’en faire, dans un second temps, une application concrète : « Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. […] D’autre part, le législateur a exclu du champ de l’interdiction les ustensiles réutilisables ainsi que les ustensiles jetables qui sont « compostables en compostage domestique » et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées. En déterminant ainsi la portée de l’interdiction de mise à disposition qu’il édictait, le législateur a apporté à la liberté d’entreprendre une restriction en lien avec l’objectif qu’il poursuivait ».
Dans cette décision, on constate clairement le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, à savoir la balance des intérêts entre liberté d’entreprendre et objectif d’intérêt général poursuivi. Par ailleurs, le caractère proportionné de l’atteinte à la liberté d’entreprendre au regard du but poursuivi, est en l’espèce un critère déterminant dans la prise de décisions des Sages.
On pourrait également citer la décision du Conseil constitutionnel de 2013, relative à l’interdiction de la fracturation hydraulique pour la recherche et l’exploitation de gaz de schiste: “qu’en interdisant le recours à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche pour l’ensemble des recherches et exploitations d’hydrocarbures, lesquelles sont soumises à un régime d’autorisation administrative, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général de protection de l’environnement ; que la restriction ainsi apportée tant à la recherche qu’à l’exploitation des hydrocarbures, qui résulte de l’article 1er de la loi du 13 juillet 2011, ne revêt pas, en l’état des connaissances et des techniques, un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi »
Là encore, on perçoit clairement la balance des intérêts faite par la juridiction suprême, qui recherche si l’atteinte à la liberté d’entreprendre (l’interdiction de la fracturation hydraulique pour les gaz de schistes) n’est pas disproportionnée compte-tenu de l’objectif d’intérêt général poursuivi (protection de l’environnement). Les Sages répondaient là aussi par la positive, en considérant que le pouvoir législatif avait la possibilité de prononcer de telles interdictions.
Plus récemment, la décision n°2019-823 du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020 relative à l’interdiction de produire, stocker et/ou faire circuler certains produits phytopharmaceutiques illustre à nouveau cette balance des intérêts entre liberté d’entreprendre et protection de l’environnement.
En l’espèce, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) était posée par l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe Bayer, Syngenta, BASF et tous les fabricants de produits phytosanitaires implantés en France.
Selon ces derniers, “l’interdiction d’exportation […] de certains produits phytopharmaceutiques […] serait, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises productrices ou exportatrices, contraire à la liberté d’entreprendre”. (extrait de la décision)
Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré qu’au regard des atteintes à la santé et l’environnement que provoque ce type de produits, l’interdiction mise en place est justifiée:
“En faisant ainsi obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l’environnement et quand bien même, en dehors de l’Union européenne, la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d’être autorisées, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement poursuivis.“
En conséquence, l’interdiction de produire, stocker et/ou faire circuler des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne, a été déclaré conforme à la Constitution.
La juridiction suprême en profite pour ériger la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, en objectif de valeur constitutionnelle.
A nouveau, et de manière récurrente désormais, le Conseil constitutionnel se pose en garant de la protection de l’environnement.
Un contre-exemple néanmoins, avec une censure par le Conseil Constitutionnel d’une loi qui donnait la compétence, de façon générale, au Gouvernement pour fixer les conditions dans lesquelles « certaines constructions nouvelles doivent comporter une quantité minimale de matériaux en bois ». Il semble que le Conseil se soit fondé sur une habilitation trop large et insuffisamment cadrée par le pouvoir législatif, pour prononcer l’annulation de cette mesure. Un rappel important donc de la nécessaire précision formelle de la loi dans ses implications, ainsi que dans ses motivations.
La liberté d’entreprendre n’empêche pas l’encadrement voire l’interdiction de certaines technologies
La mise sur le marché de nouvelles technologies ne s’accompagne pas toujours d’un progrès pour l’environnement, ce qui n’échappe pas non plus au secteur de la gestion des déchets. Qu’il s’agisse de matériaux problématiques, de techniques de traitement des déchets tel que le tri mécano-biologique ou de produits à l’utilité plus que relative, cette décision du Conseil constitutionnel renforce ainsi une jurisprudence validant les mesures fortes prises par le Parlement, jusqu’à l’interdiction, pour réguler la technologie et les entreprises.
Un pouvoir similaire est de plus en plus régulièrement reconnu au Gouvernement par les juridictions (voir not. la décision du Conseil d’Etat sur la vaisselle jetable n°2018-771 DC du 25 octobre 2018 relative à l’interdiction de produits en plastique jetable, ainsi que les affaires relatives à la reprise des déchets du BTP). Plus largement, cela renforce l’idée que le pouvoir, législatif comme exécutif, a la faculté, sous certaines conditions de précision et de critères objectifs et rationnels justifiant les mesures envisagées, de prendre des mesures fortes allant jusqu’à l’interdiction.
Zero Waste France salue donc cette décision « huile de palme » qui consolide une jurisprudence protégeant les dispositions législatives (et le cas échéant réglementaires) protectrices de l’environnement.