Incinérateur d’Ivry-Paris XIII : les émissions de dioxines ne sont pas contrôlées comme elles devraient l’être
Une étude de l’ONG Toxicowatch a mis en évidence que les appareils de contrôle de dioxines émises par l’incinérateur, censés fonctionner 24h/24, n’auraient pas effectué de prélèvements pendant près de 7 000 heures en deux ans. Zero Waste France s’alarme de l’inaction publique face à la dangerosité démontrée des dioxines sur la santé.
Un trop grand nombre d’heures de défaillance des équipements de mesure
Le Collectif 3R, groupe local Zero Waste engagé dans la lutte contre la reconstruction de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII a obtenu du SYCTOM les données détaillées des capteurs situés à l’intérieur des cheminées de l’incinérateur. Ces données ont été analysées par l’ONG néerlandaise Toxicowatch, spécialisée dans l’analyse toxicologique des polluants, dans une nouvelle étude qui montre que les capteurs n’ont pas effectué de prélèvements pendant 6 936 heures, soit l’équivalent de 289 jours, au cours des années 2020 et 2021.
“La surveillance des dioxines devrait avoir lieu en permanence”, Abel Arkenbout, directeur de Toxicowatch.
Les dioxines, composés chimiques classés cancérogènes par le Centre international de recherche contre le cancer, peuvent se former en quelques secondes, lorsque la température de combustion, à l’intérieur du four de l’incinérateur, est insuffisante (moins de 850 degrés). Comme le précise Abel Arkenbout, toxicologue et directeur de ToxicoWatch, dans l’enquête révélée par Le Monde [1] : “Un nombre aussi élevé d’heures de défaillance de l’équipement de mesure indique que la combustion n’a pas été optimale en permanence. La probabilité d’émission de grandes quantités de dioxines est donc très élevée.”
Lire l’étude de ToxicowatchL’ONG Toxicowatch avait déjà publié en février 2022 une étude mettant en évidence des teneurs importantes de dioxines dans les œufs de poules élevées en plein air sur les communes situées autour de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII. Depuis, l’Agence régionale de santé (ARS) recommande de ne pas consommer d’œufs issus de poulaillers domestiques dans toute l’Ile-de-France.
Quels impacts réels de l’incinération sur la santé ?
Polluants organiques persistants dans l’environnement, les dioxines sont produites lors des procédés de combustion. Listées comme composés chimiques les plus préoccupants par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elles s’accumulent dans la chaîne alimentaire, en particulier les viandes, poissons, œufs et produits laitiers.
Abel Arkenbout, auteur du rapport de ToxicoWatch, précise que “La valeur limite européenne pour les dioxines n’a pas été révisée depuis plus de 33 ans alors que les preuves scientifiques s’accumulent sur leur nocivité”. Il cite l’exemple des Pays-Bas, où un moratoire est en vigueur depuis 2009 sur l’incinération des déchets : une limite dix fois plus stricte d’émission de dioxines a été fixée pour l’incinérateur construit en 2011 à Harlingen. “Si cette valeur limite avait été appliquée à l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, celui-ci aurait été en infraction durant presque toute la période de 2020 à 2021” selon le directeur de Toxicowatch.
Cette étude pose une nouvelle fois la question des impacts sanitaires directs des installations d’incinération. Loin de n’émettre que des particules d’eau, les fumées d’incinération sont chargées de particules fines que l’on ne peut trouver qu’en les cherchant et en les mesurant. C’est alors que les études alternatives menées par des ONG montrent les failles possibles dans le contrôle des émissions par les autorités, et surtout les dangers d’une autosurveillance par les exploitants eux-mêmes.
L’Europe en surcapacité d’incinération
Cette étude est publiée à l’heure où l’ONG Zero Waste Europe publie son rapport “Enough is enough : the case for a moratoire on incineration” qui met en lumière la surcapacité des pays de l’Union Européenne (UE) en matière d’incinération des déchets.
De 2004 à 2020, la capacité d’incinération des déchets a connu une augmentation constante au sein de l’Union Européenne, d’environ 8 millions de tonnes supplémentaires par an. En 2020, les pays de l’UE ont atteint la capacité d’incinérer 200 millions de tonnes de déchets. Dans les faits, ce sont 140 millions de tonnes de déchets qui ont été gérées par les installations d’incinération cette même année. Soit une surcapacité de 60 millions de tonnes de déchets, qui continue d’augmenter chaque année.
Lire le rapport de Zero Waste EuropeLe rapport de Zero Waste Europe tire le signal d’alarme : cette surcapacité d’incinération est en opposition complète avec les objectifs de réduction des déchets et de valorisation matière (notamment des biodéchets) prévus par le Code de l’environnement et la réglementation européenne. Janek Vahk, responsable de la politique zéro pollution chez Zero Waste Europe, déclare : “Il est temps d’instaurer un moratoire sur l’incinération.” Même si elle est depuis 2021 exclue du registre des investissements “verts” de l’Union Européenne, l’incinération bénéficie toujours d’une position privilégiée au sein de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Le rapport de Zero Waste Europe insiste donc sur le besoin urgent de traiter l’incinération et la mise en décharge sur le même niveau, afin de favoriser des pratiques de réduction et de gestion des déchets plus durables.
Comme le précise l’Ademe depuis 2017, la France n’a plus besoin de nouvelles capacités d’incinération au regard de la priorité devant être donnée à la réduction des déchets. Malgré ces recommandations, les projets de reconstruction ou d’agrandissement d’incinérateurs existants continuent d’émerger et d’engloutir des milliards d’euros d’argent public, qui ne financent donc pas la prévention des déchets. Mobilisés depuis 25 ans dans la lutte contre l’incinération, Zero Waste France et ses groupes locaux continuent à lutter localement contre ces projets inutiles et polluants.
[1] Le Monde, A l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, les dioxines ne sont pas contrôles « 24h sur 24 et 365 jours par an », Stéphane Mandard, novembre 2023.