L’industrie plastique, grande gagnante du Tour de France !
Cette année, l’équipe favorite du Tour de France sera sponsorisée par le plus gros producteur de plastique vierge, INEOS. Pour Zero Waste France, cette participation d'un géant de la pétrochimie à un événement sportif majeur est un signal catastrophique, alors même que la conscience citoyenne autour de la pollution plastique progresse.
Cette année, l’équipe favorite du Tour de France, qui compte dans ses rangs le maillot jaune de l’édition précédente Geraint Thomas, sera sponsorisée par l’entreprise INEOS. Inconnue en France, cette entreprise leader de la pétrochimie est le plus gros producteur de plastique vierge en Europe. Très controversée pour ses activités de fracturation hydraulique au Royaume Uni, l’entreprise a développé en Europe des activités de transformation du gaz de schiste en plastique et est accusée d’importantes pollutions aux particules de plastique à proximité de ses usines en Ecosse et en Belgique.
Symptomatique des liens entre pétrochimie et production plastique, l’exemple d’INEOS illustre comment le boom de l’extraction du gaz de schiste aux Etats-Unis a offert à l’industrie de la plasturgie une opportunité pour augmenter sa production à faible coût, menant à l’augmentation exponentielle des déchets plastiques que l’on connaît.
Des liens étroits entre l’industrie du plastique et la pétrochimie
Depuis le milieu des années 2000, le secteur des énergies fossiles connaît un nouveau boom avec le développement de nouvelles techniques d’extraction de pétrole et de gaz à partir des roches de schiste ou d’argile, principalement aux États-Unis.
Qu’est-ce que le gaz de schiste ?
Le gaz de schiste est un gaz naturel retenu à grande profondeur dans des roches. C’est un gaz dit non conventionnel. Pour l’extraire, il faut fracturer la roche, en injectant de grandes quantités d’eau et de produits chimiques, à forte pression.
Celui-ci représente une véritable opportunité économique puisque l’exploitation du gaz de schiste permet d’augmenter les ressources pétrolières et gazières d’un pays. Les États-Unis, qui possèdent d’importantes ressources en gaz de schiste, sont ainsi devenus le premier producteur mondial, devant la Russie et l’Arabie Saoudite. La production de gaz de schiste a été multipliée par 13 entre 2006 et 2012 aux Etats-Unis.
Mais l’exploitation de ce gaz est extrêmement controversée du fait des impacts environnementaux qu’elle provoque :
- Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le gaz de schiste détruit les écosystèmes et est susceptible de contaminer les sols, l’air et les nappes phréatiques.
- Dans l’Etat de l’Oklahoma, 900 séismes ont été recensés en 2015 alors que l’Etat n’avait pas d’antécédents sismiques avant les débuts d’exploitation du gaz de schiste.
- En Pennsylvanie, des nappes phréatiques situées jusqu’à un kilomètre autour des points de forage ont été polluées au méthane
- Le méthane, un gaz libéré lors de l’extraction du gaz de schiste est 72 fois plus puissant que le CO2 en potentiel de réchauffement climatique.
L’arrivée de quantités importantes sur le marché a tiré les prix vers le bas (le coût des matières premières comme le gaz naturel et le pétrole a diminué de près de moitié au cours de la dernière décennie).
Ce boom dans le secteur des énergies fossiles a été une aubaine pour la plasturgie. En effet le gaz naturel contient de l’éthane, un hydrocarbure qui peut être transformé en éthylène, puis par polymérisation en polyéthylène (PET), une matière plastique très commune. Du fait d’une concurrence internationale accrue sur le marché du pétrole brut, l’industrie européenne s’est tournée vers des matières premières peu chères, telles que le gaz de schiste américain, pour produire du plastique à bas prix, notamment le plastique à usage unique des emballages (secteur qui absorbe 40% du plastique produit en Europe).
INEOS, une production plastique en roue libre !
Le groupe britannique INEOS est le symbole de ce boom de la production plastique permise par le gaz de schiste. Producteur européen principal des deux matières utilisées pour produire le plastique, à savoir l’éthylène et le propylène, l’entreprise a produit en 2016 à l’échelle mondiale près de 10 millions de tonnes de plastique. Le groupe est également le premier à avoir importé en Europe du gaz de schiste issu de la fracturation hydraulique aux Etats-Unis.
En janvier 2019, INEOS a annoncé un investissement de 3 milliards d’euros dans une nouvelle usine basée à Anvers, afin de produire 1 million de tonnes d’éthylène par an. Cet investissement est totalement à contre-courant des mobilisations de la société civile pour lutter contre le plastique puisqu’il implique une hausse de la production plastique dans les prochaines années.
Le PDG d’INEOS, Jim Ratcliffe, a par ailleurs adressé en février 2019 une lettre ouverte à Jean-Paul Juncker, le Président de la Commission européenne, pour lui demander d’assouplir les taxes environnementales européennes en échange de son investissement record pour une nouvelle usine de production de plastique à Anvers.
Des implantations responsables de nombreuses pollutions
- 4 usines belges d’INEOS ont émis à elles-seules 2,6 millions de tonnes de CO2 ainsi que d’autres polluants, entre 2011 et 2015. L’air de la Belgique, et particulièrement d’Anvers, est l’un des plus pollués au monde. Cela est dû aux installations portuaires et aux clusters pétrochimiques. L’industrie chimique a causé 42 % des émissions totales du pays en 2016, dont 45 % causées spécifiquement par l’industrie pétrochimique.
- Le site de Grangemouth en Écosse a reçu plusieurs avertissements des autorités écossaises du fait d’émissions trop fortes, d’accidents (fuite de pétrole et de gaz, libération de substances toxiques dans l’atmosphère etc.) et d’infractions aux réglementations. Élue entreprise la plus polluante du pays en 2019 par l’Agence de Protection de l’environnement écossaise, la raffinerie d’INEOS à Grangemouth a émis 1,6 millions de tonnes de CO2. En 2017, cette raffinerie a accidentellement libéré dans l’atmosphère 370 kg de tétrachloroéthylène, un composé toxique et polluant. Par sécurité, les routes ont dû être barrées et les enfants se sont vus interdits de sortie.
- INEOS et ses firmes étaient responsables de presque 10% des émissions de gaz à effet de serre de l’Ecosse en 2017.
- Près des usines présentes en Ecosse, Norvège et Italie, INEOS a reconnu que son industrie était la source de pollution plastique, sous forme de pastilles de plastique issues de son activité de fabrication. En mai 2018, 450 000 pastilles de plastique ont été retrouvées sur une plage écossaise. 73 % des littoraux britanniques sont aujourd’hui pollués par du plastique, principalement sous forme de pastilles.
- Les usines d’INEOS ont fait l’objet de nombreux accidents : des fuites (pétrole en Norvège, naphta en France, acide chlorydrique en Italie), des incendies (Belgique, France, Norvège) et la libération de gaz toxiques, tels que le trifluorure de bore, dans une usine en Belgique, ce qui a provoqué l’hospitalisation de plusieurs travailleurs.
Une volonté de verdir son image via le sport
Entreprise très contestée au Royaume Uni en raison de ses activités de fracturation hydraulique et des pollutions aux micro-plastiques, INEOS investit depuis quelques années dans des compétitions sportives et finance le sport amateur pour redorer son image.
Le groupe a ainsi sponsorisé le programme “Daily Mile”, une initiative qui vise à encourager les écoles primaires britanniques à faire courir les élèves 15 minutes par jour. Ce sponsoring a provoqué de vives oppositions par le réseau d’étudiants pour le climat au Royaume Uni (UK Student Climate Network) ainsi que par plusieurs écoles primaires qui ont souligné que les activités d’INEOS compromettent le bien-être et la survie des générations futures. En mai 2019, le syndicat des salariés de l’Education Nationale du Royaume Uni a voté contre le sponsoring d’INEOS du programme “Daily Mile”.
L’entreprise INEOS a également racheté le club de football de Lausanne, et sponsorisé, en 2018, la Coupe de l’Amérique, une compétition nautique internationale. En 2019, c’est au tour du Tour de France cycliste d’être associé à l’image d’INEOS.
Les choses évoluent cependant : en mai, l’entreprise pétrolière et gazière Total (également sponsor du Tour de France) a annoncé renoncer à être partenaire des Jeux Olympiques de Paris 2024, du fait des réticences de la maire de Paris, qui a réclamé des Jeux exemplaires sur le plan environnemental.
Espérons qu’à l’avenir, les grands événements sportifs ne pourront plus faire l’impasse sur les grandes thématiques environnementales.
Mobilisons-nous !