Le livre qui dévoile les travers du tout-recyclage
Cet article livre un résumé du livre "Recyclage, le grand enfumage : comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable", écrit par Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France et publié aux éditions Rue de l’échiquier.
Synopsis
« Recyclage, le grand enfumage – Comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable » alerte sur les limites, les écueils et même les dangers d’une politique du tout-recyclage. Celle-ci peut en effet encourager et alimenter un système fondé sur le jetable et l’usage unique, et in fine accentuer le problème des déchets et de la surconsommation, plutôt que d’aider à le résoudre. Le livre décrypte et dénonce aussi l’instrumentalisation du recyclage et de l’économie circulaire à des fins de greenwashing, de marketing et de lobbying. L’auteure et l’association Zero Waste France affirment qu’il faut avant tout en finir avec l’ère du jetable, et donner au recyclage sa juste place, celle d’une ultime étape permettant de récupérer la matière d’objets arrivés réellement en fin de vie, après une utilisation pouvant être prolongée par le réemploi ou la réparation.
Questions-Réponses
Pourquoi ce livre ?
A l’origine de ce livre, il y a plusieurs observations faites dans le cadre de l’activité militante de Zero Waste France depuis la fin des années 1990, parmi lesquelles :
- le constat répété que la hiérarchie de traitement des déchets, qui veut que la priorité soit donnée à la réduction des déchets à la source, n’est tout simplement pas appliquée. Bien que ce principe figure dans la législation française et européenne, il est balayé par des logiques économiques et industrielles qui continuent de privilégier le « traitement » des déchets (par recyclage au mieux, mais encore trop souvent par l’incinération ou la mise en décharge) à l’évitement des déchets.
- le constat, plus récent, que le recyclage est devenu l’argument n°1 de l’industrie du jetable, et des secteurs dépendants du jetable, pour justifier leur modèle.
- le constat, enfin, que les campagnes de communication sur l’importance du « geste de tri » ont été tellement omniprésentes ces 30 dernières années, que celui-ci est désormais considéré comme l’éco-geste par excellence. Et, surtout, qu’il est considéré comme « suffisant » dans l’imaginaire collectif.
Face à ces constats, la position historique de Zero Waste France consistant à rappeler les insuffisances du recyclage est apparue trop mesurée. Flore Berlingen a proposé de la faire évoluer, au travers de ce livre, vers un message d’alerte plus radical.
Est-ce un livre contre le recyclage ?
Non. Le livre ne critique pas le recyclage en tant que tel, mais le fait de chercher à recycler des objets ou emballages dont l’utilité sociale ne justifie pas les impacts (sociaux et environnementaux) négatifs. Dans une société dans laquelle la parenthèse du jetable aura été refermée, le recyclage restera indispensable pour faire le meilleur usage des objets arrivés réellement en fin de vie.
La politique du « tout-recyclage » est critiquée, pour ses effets contre-productifs (encourager ou pérenniser une surconsommation de ressources) et lénifiants. Elle empêche en effet de se poser les bonnes questions : quelles sont les priorités de notre société en termes d’utilisation et de partage des ressources ?
Est-ce un livre franco-français ?
Non. Bien que la partie concernant la gouvernance des filières de responsabilité élargie du producteur traite d’exemples français, une partie de l’analyse pourrait être transposée à d’autres contextes. Dans le reste de l’ouvrage, les exemples et les références citées sont aussi bien français qu’internationaux. Les problèmes identifiés ne sont pas spécifiquement français, ils tiennent au contraire à un modèle de production aujourd’hui globalisé.
Résumé du livre
La première partie du livre reprend et synthétise les limites du recyclage, en tant qu’ensemble de techniques d’une part, et en tant que système organisé, d’autre part.
- Limites techniques/physiques du recyclage : d’un matériau à l’autre, les possibilités de recyclage diffèrent, et la dégradation inhérente au processus de recyclage est plus ou moins importante. Cependant, quel que soit le matériau, le recyclage entraîne des pertes, des consommations et des rejets. Il ne peut être présenté comme une activité intrinsèquement bénéfique du point de vue environnemental, comme c’est trop souvent le cas, et le « recyclage à l’infini » est également un mythe à déconstruire.
- Critique du fonctionnement des filières de recyclage en France : la gouvernance des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), dans laquelle ces derniers gardent la main sur des décisions stratégiques (application d’éco-modulations sur les contributions, financements de R&D, communication grand public) a pour conséquence une moindre efficacité, mais aussi des actions contradictoires avec l’objectif de réduction des déchets.
« Le recyclage est devenu un argument de vente pour des objets à usage unique ou à courte durée de vie, en contradiction complète avec les objectifs de réduction des déchets. Des moyens humains et financiers considérables sont déployés à tenter d’élaborer des procédés de recyclage qui resteront imparfaits, pour des emballages ou objets qui ne devraient même pas exister. » (Flore Berlingen)
Une deuxième partie décrypte ensuite l’instrumentalisation du recyclage, à des fins de greenwashing, de marketing et de lobbying pour éviter toute réglementation contraignante concernant l’usage du jetable ou la fin de vie des produits.
- Le recyclage comme alibi du jetable, voire comme argument de vente : face à un public de plus en plus préoccupé par l’impact environnemental des déchets (plastiques en particulier), la recyclabilité (théorique ou effective) est utilisée comme une justification et comme un écran de fumée. L’instrumentalisation du recyclage passe par des opérations de communication typiques du greenwashing, et parfois par un support direct à la vente (ex. bons d’achats offerts en échange de vêtements rapportés à des grandes enseignes de la fast fashion).
- La stratégie des engagements volontaires et des effets d’annonce : l’argument du recyclage est mis au service de stratégies de lobbying, au travers de plans d’actions « volontaires » mis en avant par les entreprises et visant à se substituer à des trajectoires définies de manière plus démocratique par la législation et qui seraient plus ambitieuses, contraignantes et collectives.
La troisième partie du livre remonte à la source de ces écueils, en observant comment le modèle industriel et économique du recyclage entretient la surconsommation.
- Parallélisme entre l’industrie du recyclage et l’économie linéaire : bien qu’il soit associé à l’économie circulaire, et donc souvent présenté en opposition à l’économie linéaire, la majorité des activités de recyclage relève des mêmes logiques industrielles et économiques (exploitation d’un gisement, rémunération de l’activité au volume traité, recherche de volumes croissants et d’économies d’échelles…)
- Le recyclage comme débouché d’une surproduction : à l’instar de l’obsolescence programmée, on peut voir le recyclage comme le nouveau débouché d’une surproduction caractéristique du capitalisme, et qui tient aussi au caractère productiviste de notre économie.
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage présente quelques-unes des propositions de Zero Waste France pour, d’une part sortir de l’ère du jetable et d’autre part améliorer le recyclage :
- quotas de réemploi obligatoires et progressifs,
- relative standardisation des emballages,
- soutiens au secteur de la réparation,
- refonte des filières REP
Recyclage, le grand enfumage : comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable
Flore Berlingen, Editions Rue de l’échiquier, disponible en librairies et en version numérique, 13 euros.
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