Le rôle des collectivités locales dans la lutte contre le plastique à usage unique
Face aux impacts croissants du plastique, les collectivités locales disposent de leviers essentiels pour réduire les plastiques à usage unique, tels que la commande publique, le soutien aux systèmes de consigne et la sensibilisation. Retour d'expérience des collectivités accompagnées par Zero Waste France dans le projet ERIC.
Une lutte contre la production de plastique devenue indispensable
La production de plastique, omniprésente dans notre quotidien (emballages, textiles, objets divers), connaît une croissance exponentielle. L’utilisation mondiale de plastiques devrait tripler entre 2019 et 2060, passant de 460 millions de tonnes à 1 321 millions de tonnes si aucune action significative n’est menée. Cette prolifération massive contribue à une crise environnementale, sanitaire et sociale sans précédent. De l’extraction des ressources fossiles nécessaires à sa production jusqu’à sa gestion en fin de vie, le plastique génère des pollutions importantes, des émissions de gaz à effet de serre, des maladies et des atteintes à la santé humaine qui pourraient être évitées.
Face à cette situation alarmante, il est indispensable que l’ensemble des acteurs politiques et économiques prennent des mesures pour freiner la production et la consommation de plastique. Un changement de paradigme global s’impose pour réduire véritablement cette pollution et protéger notre environnement ainsi que notre santé.
Dans ce contexte, la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), promulguée le 10 février 2020, marque une étape décisive dans la lutte contre le plastique en France. Ce texte, premier à viser une transformation profonde de nos modes de production et de consommation, fixe des objectifs ambitieux en matière de réduction des déchets et de préservation des ressources naturelles, de la biodiversité et du climat. La loi AGEC se distingue notamment par son objectif majeur : elle prévoit l’élimination progressive des emballages plastiques à usage unique d’ici 2040, traçant ainsi une feuille de route claire vers une « déplastification » de la société française.
Si dans cette transition, les entreprises mettant sur le marché des produits à usage unique sont les premières à devoir revoir leurs pratiques, les collectivités locales, qui sont elles les premières impactées par la croissance des déchets plastiques à gérer, ont également un rôle central à jouer. En effet, elles peuvent déployer des actions concrètes et efficaces contre l’usage du plastique à usage unique sur leur territoire. Qu’il s’agisse de l’intégration de critères exigeants dans la commande publique, de la promotion d’alternatives réemployables lors d’événements locaux, du soutien aux acteurs et initiatives de réemploi ou encore de campagnes de sensibilisation citoyenne, leur capacité à appliquer les mesures de la loi AGEC et à aller au-delà de ses exigences, fait des collectivités des acteurs indispensable de l’élimination du plastique jetable à l’horizon 2040. Leur contribution permet à la fois de traduire les grands objectifs nationaux en mesures pratiques, adaptées aux réalités locales, et de mobiliser l’ensemble des acteurs clés des territoires – citoyen·nes, société civile, commerçants, et entreprises, dans la transition vers le réemploi.
Adopter un plan de lutte contre le plastique à usage unique
A l’échelle locale, les Programmes locaux de prévention des déchets ménagers et assimilés (PLPDMA), qui proposent des actions de réduction des déchets et de développement des alternatives (réemploi, réparation…) sont l’un des outils qui peuvent permettre aux collectivités de lutter contre le plastique à usage unique.
Pour aller plus loin, les collectivités – communes ou intercommuanlités – peuvent aussi adopter un plan d’action spécifique à la lutte contre le plastique à usage unique, voté par leur organe délibérant, qui peut être intégré au PLPDMA et venir le renforcer. Un tel plan vise à cibler le flux de déchets plastiques à travers diverses actions que nous allons étayer plus bas. En intégrant ces stratégies dans leur PLPDMA, les collectivités locales se dotent ainsi d’outils opérationnels pour agir efficacement contre le plastique à usage unique.
Un exemple pertinent de cette démarche est le projet européen ERIC (« Elevating Reuse In Cities »), piloté par Zero Waste Europe dans 10 pays de l’UE en lien avec des organisations nationales. En France ce projet est mis en œuvre par Zero Waste France, en collaboration avec trois collectivités engagées : la métropole de Lyon, la ville de Bordeaux et la métropole de Nantes. Ce projet, inscrit dans le programme « Zero Waste Cities », accompagne actuellement une trentaine de collectivités européennes dans l’élaboration de plans zéro plastique à usage unique, visant à réduire leur usage et les impacts associés. Les actions adoptées et mises en œuvre par les villes participantes au sein de ces plans varient dans leur conception, mais s’organisent autour de trois grands secteurs clés : les événements, les espaces et bâtiments publics, ainsi qu’un secteur transversal, la commande publique. Ce projet a permis d’aboutir à l’adoption de “plans zéro plastique” très concrets au sein des trois collectivités françaises participantes, comprenant des mesures claires de promotion du réemploi sur l’ensemble du territoire.
Métropole de Lyon
La Métropole de Lyon a mis en place un plan d’actions structuré autour de 4 axes principaux : réduire l’utilisation de produits plastiques à usage unique, développer le réemploi sur les sites et espaces publics de la Métropole, préserver les milieux naturels et le cycle de l’eau de la pollution plastique, et tendre vers un territoire zéro plastique. Ces axes sont déclinés en 7 objectifs et accompagnés de 30 actions concrètes visant à réduire l’impact du plastique sur le territoire.
Métropole de Nantes
En 2022, la Métropole de Nantes a élaboré un plan d’actions en partenariat avec le WWF France. Par la suite, la Métropole a intégré le projet ERIC, dans le cadre duquel nous les avons accompagnés dans la mise en œuvre de plusieurs initiatives. Celles-ci incluent la communication autour du plan zéro plastique sur le territoire, la suppression des plastiques à usage unique dans la commande publique, ainsi que le développement du réemploi à l’échelle locale.
Ville de Bordeaux
La Ville de Bordeaux a élaboré un plan d’actions structuré autour de 3 axes principaux, eux-mêmes déclinés en 5 objectifs. Ces objectifs sont accompagnés de 15 actions concrètes visant à : réduire les plastiques à usage unique, promouvoir le réemploi sur le territoire et tendre vers un objectif de territoire zéro plastique.
Organisation d’événements publics zéro plastique
Les événements publics tels que les festivals, les marchés, les foires ou encore les événements sportifs locaux génèrent souvent une grande quantité de déchets d’emballages à usage unique. En tant qu’organisatrices ou facilitatrices de tels événements, les collectivités locales ont la capacité d’adopter des politiques ambitieuses pour suspendre l’utilisation de ces produits et promouvoir ou même rendre obligatoire l’utilisation d’alternatives réemployables pour la vente de boissons ou la vente de nourriture à emporter.
Une des premières mesures qu’une collectivité peut prendre est de systématiser l’utilisation de la consigne lors de ces événements. Des gobelets, bouteilles, assiettes et autres ustensiles réemployables peuvent être proposés contre une consigne remboursable. Ce système, déjà largement éprouvé dans de nombreux événements de grande ampleur à travers l’Europe, permet de réduire drastiquement les déchets tout en incitant les participants à adopter des comportements responsables. De plus, ces articles consignés sont réutilisés pour d’autres manifestations, diminuant ainsi leur impact environnemental sur le long terme, notamment en réduisant l’empreinte carbone liée à leur fabrication.
Les collectivités peuvent également soutenir les organisateurs en leur fournissant les ressources nécessaires pour mettre en place ces solutions, comme des kits d’organisation « zéro plastique » ou des plateformes de mutualisation des contenants réemployables. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la gestion des déchets après leur production, il s’agit ici de changer de perspective, en se concentrant sur des actions préventives plus efficaces sur le long terme, venant changer les pratiques habituelles de consommation des participants.
La ville de Bordeaux a engagé des réflexions pour renforcer l’usage de la vaisselle réemployable dans l’événementiel interne en mettant à disposition son propre kit de vaisselle. Par ailleurs, elle a mis en place de la vaisselle en inox pour le portage à domicile des séniors. De son côté, la ville de Lyon propose aux organisateurs d’événements sur son territoire le prêt d’un kit de vaisselle réemployable. Quant à la métropole de Rouen, elle a déjà fait appel à des opérateurs de consigne pour leurs événements en interne et ont fait une première expérience en 2023 lors de l’Armada avec des stands en vaisselle consignée. La métropole Rouen Normandie a financé l’expérimentation de la consigne de contenants alimentaires en partenariat avec l’association « La Consigne Havraise » auprès de 6 foodtrucks volontaires qui ont proposé de la vaisselle en verre consignée en échange d’une consigne. Résultat, ce sont 3770 emballages consignés qui ont été utilisés, soit 40 kilos d’emballages en plastique évités.
La commande publique comme levier d’action
La commande publique constitue un levier majeur pour réduire l’usage des plastiques à usage unique et démocratiser l’usage d’alternatives réemployables. En tant que grands donneurs d’ordre, les collectivités locales peuvent influencer le marché en intégrant des critères environnementaux exigeants dans leurs appels d’offres et contrats. Elles ont par exemple la possibilité de modifier les cahiers des charges d’occupation du domaine public afin d’interdire les emballages à usage unique sur les marchés de plein vent et les marchés couverts. Gérés par les communes ou les intercommunalités, ces marchés peuvent devenir des exemples de durabilité. En collaborant avec les traiteurs présents sur ces marchés, la collectivité peut imposer l’absence de contenants jetables.
De plus, les collectivités peuvent privilégier des fournisseurs proposant des solutions sans plastique dans les marchés publics, comme l’obligation de l’utilisation de contenants réemployables ou consignés en inox pour le transport et le stockage des repas et des boissons, dans la restauration collective. Depuis 2019, la métropole de Nice a entrepris une démarche de suppression de certains plastiques à usage unique dans ses marchés publics. Conformément à la loi AGEC, elle encourage l’adoption d’alternatives durables et offre un soutien concret aux acheteurs publics, notamment par le biais de formations et d’un espace de ressources dédié. Un critère spécifique a par exemple été intégré pour privilégier l’utilisation de couverts et de vaisselles réemployables dans les marchés de traiteurs, notamment pour la Régie des Palais Acropolis/Nikaia.
Les collectivités locales peuvent également opter pour l’achat direct de fontaines d’eau, évitant ainsi le recours aux bouteilles en plastique. Par exemple, la métropole Rouen Normandie a engagé un marché public de 45 000 € pour l’acquisition de quatre fontaines, mises à disposition gratuitement pour les organisateurs d’événements sur son territoire. De plus, un investissement de 13 302 € a été consacré à l’installation d’une fontaine permanente devant le Pavillon des Transitions, incitant ainsi à l’utilisation de gourdes dans les espaces publics. Ces initiatives illustrent l’engagement des collectivités envers des solutions durables et la promotion de comportements écoresponsables.
De nombreuses actions à engager pour réduire le plastique à usage unique dans la commande publique sont inscrites dans le guide “Une administration parisienne sans plastique à usage unique en 2024” de la Ville de Paris.
Soutien aux acteurs économiques locaux du réemploi
Pour favoriser le réemploi sur leur territoire, les collectivités peuvent adopter une approche intégrée en amorçant l’implantation d’acteurs associatifs spécialisés dans ce domaine. Il est tout d’abord crucial de mettre en réseau ces acteurs avec les services de la collectivité – tels que l’économie circulaire, la prévention des déchets, ou encore l’animation territoriale – pour créer des synergies. Les collectivités peuvent également prévoir des subventions spécifiques ou des appels à projets (AMI) pour soutenir ces initiatives. La mise à disposition de locaux ou de matériel pour les associations peut grandement faciliter leur activité. Enfin, établir des liens avec des incubateurs d’innovation sociale et de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) permettra de dynamiser le développement des projets de réemploi, tout en renforçant le tissu économique local. Ces actions combinées contribueront à une dynamique de réemploi pérenne et innovante sur le territoire.
Par ailleurs, de plus en plus de restaurants et cafés adoptent des systèmes de consigne (notamment en verre) pour les boissons, plats à emporter ou livrés. Des campagnes de communication valorisant les commerces offrant des solutions réemployables et/ou acceptant les propres contenants de leurs client.es permettent de sensibiliser les consommateur·ices, tout en renforçant la visibilité de ces établissements.
La ville de Fontenay-sous-Bois offre un service de portage de repas à domicile via son Centre Communal d’Action Sociale (CCAS). Dans le but de se conformer à la législation, la municipalité a remplacé les barquettes en plastique jetables par des contenants en inox adaptés au micro-ondes. Parallèlement, la ville de Bordeaux a conclu un marché avec un prestataire pour le portage de repas à domicile, avec pour objectif de transitionner vers des contenants réemployables en inox.
Sensibilisation et éducation à l’environnement
Les collectivités locales jouent un rôle essentiel dans l’éducation et la sensibilisation des citoyens à la réduction des déchets et à la prévention de la pollution plastique. Elles peuvent mettre en place des campagnes d’information et des actions pédagogiques à travers divers formats : supports visuels (affiches, bannières, signalétique), stands d’information lors d’événements publics, ou ateliers pratiques pour apprendre à adopter des gestes écoresponsables. En plaçant la prévention au cœur de ces initiatives, elles changent la dynamique en inversant le discours traditionnel du tri sélectif pour promouvoir la réduction à la source, en incitant les citoyens à limiter leur production de déchets dès l’achat.
Dans cette démarche, les collectivités peuvent orienter leur communication vers des actions concrètes. Plutôt que de se limiter à rappeler l’importance du tri, elles peuvent encourager des pratiques simples et accessibles, telles que privilégier les produits en vrac, utiliser des contenants réemployables et éviter les articles suremballés. En diffusant ces messages dans l’espace public, les collectivités contribuent à une réduction directe de la consommation de plastique tout en facilitant l’adoption d’alternatives durables, intégrées dans une démarche globale de réemploi. La métropole de Nantes a ainsi lancé une réflexion sur sa communication, avec l’objectif de créer des infographies illustrant l’impact du plastique tout au long de son cycle de vie.
Les collectivités locales, grâce à leurs compétences et à leur proximité avec les citoyen·nes, jouent un rôle central dans la lutte contre les plastiques à usage unique. Le développement de la consigne pour réemploi représente une alternative solide et écologiquement viable face à la prolifération des déchets plastiques. À travers une approche collective, impliquant citoyen·nes, entreprises et pouvoirs publics, une transition vers une économie circulaire, devient une réalité tangible et accessible à tous·tes.