31 mai 2021
Moïra Tourneur

Le lobby du papier-carton vent debout contre l’obligation de réemployable en restauration rapide

Après Copacel il y a quelques mois, c’est au tour de Revipac de vanter les vertus écologiques des emballages à usage unique en papier-carton à grand renfort d’analyses de cycle de vie. Une manière à peine voilée de remettre en cause l’obligation de vaisselle réemployable qui s’appliquera à la restauration sur place à partir de 2023.

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NB du 26 août 2021 : le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’obligation de vaisselle réemployable en restauration sur place en réponse à la demande du secteur de l’emballage papier-carton. Retrouvez sa décision et ses implications en fin d’article.

Une étude financée par l’industrie du papier-carton pour mettre en valeur ses produits

Les emballages à usage unique en papier-carton en restauration rapide, “meilleurs pour l’environnement que la vaisselle réutilisable” ? C’est en tous cas ce qu’une étude réalisée par le cabinet danois Ramboll pour le compte de l’Alliance européenne de l’emballage papier (EPPA en anglais) publiée début 2021 entend prouver. 

L’étude complète n’étant vraisemblablement pas accessible au grand public, il faut se contenter du résumé analytique disponible sur le site de l’EPPA afin de découvrir les principales conclusions. Si le résumé s’attache à rassurer quant à l’indépendance critique de l’étude, cette dernière n’en reste pas moins financée par et réalisée pour le lobby du papier-carton ; on peut donc légitimement se poser la question de son indépendance et de sa pleine objectivité – en témoigne la mise en page du document qui use et abuse de la couleur verte pour mettre en valeur les bénéfices environnementaux “significatifs” du papier-carton. 

Sans accès au détail des raisonnements qui auront permis d’aboutir aux conclusions exposées dans le résumé, on ne peut que s’arrêter sur les hypothèses de départ qui sont prises :

L’étude considère ainsi que les emballages papier-carton proviennent uniquement de papier vierge issu de forêts européennes gérées durablement ; la reforestation qui fait suite à la coupe d’arbres nécessaire à la fabrication du papier contribuerait de son côté à l’absorption de CO2.

Le raisonnement, s’il n’est pas intrinsèquement faux, reste néanmoins très simpliste et simplifié : la coupe d’arbres peut être bénéfique pour le climat lorsqu’elle permet de prendre le relai de matériaux moins vertueux que le bois. En revanche, elle peut aussi causer des perturbations certaines sur la biodiversité, les sols et le climat, de même qu’il faudra un certain temps à l’arbre planté pour pousser et être en capacité d’absorber pleinement le CO2.

Plus d’infos sur le site de FNE

Les emballages ne seraient réemployés que 100 fois, du fait des risques de dégradations, casse, salissures et vols.

Ce taux de réemploi apparaît particulièrement faible : la durée de vie d’un emballage réemployable ne serait donc que de 2 mois et demi en comptant 2 utilisations par jour … Même en prenant en compte les vols, etc., ce postulat de départ semble très discutable.

Le scénario privilégié quant aux emballages réemployables est celui d’emballages en polypropylène, soit en plastique.

La répartition avec les autres matériaux réemployables (verre, inox, céramique) n’est malheureusement pas très claire dans le seul résumé analytique.

Le mirage du parfait recyclage des emballages en papier-carton

Pourtant utilisée par la grande majorité des restaurants qui servent sur place, la vaisselle réemployable serait donc, d’après l’industrie du papier-carton, moins écologique que les emballages à usage unique en papier-carton. Pourtant, comme l’expliquait Zero Waste France au moment des débats relatifs à la loi économie circulaire fin 2019, la restauration rapide produit en France plus de 180 000 tonnes d’emballages par an. A elle seule, la chaîne leader du secteur McDonald’s est responsable de la production de plus de 115 tonnes de déchets d’emballages par jour en France, soit 1 kg d’emballages … chaque seconde ! Ce sont autant de ressources qui sont consommées pour une durée de vie extrêmement limitée dans le temps, alors même que leur fabrication a requis une certaine consommation d’eau et d’énergie, provoqué des émissions de gaz à effet de serre lors de leur production et transport, et entraîné une pression sur la biodiversité, qu’ils soient en plastique ou en papier-carton. En 2013, McDonald’s reconnaissait par ailleurs que ses emballages, pourtant déjà majoritairement cartonnés, représentaient 22 % de l’impact environnemental global de la chaîne, et donc le poste le plus émetteur de gaz à effet de serre de ses restaurants.

L’évaluation de l’impact environnemental d’un produit dépend indéniablement des hypothèses de départ qui sont prises. Ainsi, dans le cas de l’étude réalisée par Ramboll, le nombre de réutilisations de la vaisselle réemployable est particulièrement bas, alors même que c’est l’un des paramètres qui fait varier le plus l’impact environnemental.

De même, le résumé analytique ne manque pas d’insister sur la recyclabilité “complète et effective” du papier-carton qui en fait un exemple parfait d’économie circulaire … ce qui est oublier que “recyclable” ne veut pas dire “effectivement recyclé”. En effet, beaucoup d’enseignes de la restauration rapide n’ont toujours pas correctement mis en place le tri cinq flux, pourtant obligatoire depuis 2016. Cette défaillance est d’ailleurs bien connue des services de l’administration : en 2018, le Ministère de la transition écologique avait constaté, suite à une enquête menée dans 50 établissements, qu’aucun ne recyclait ses déchets – qui ont donc a fortiori terminés en incinérateur, tout recyclables qu’ils étaient. 

Le choix des mots a un sens : le recyclage n’est pas de la réutilisation !

Les communications de l’industrie papier-carton sur le sujet sont par ailleurs l’occasion d’arguments fallacieux que Zero Waste France ne peut cautionner. Lorsque la fédération Revipac compare le recyclage à de la “réutilisation” de matière, elle fait un grossier amalgame alors même que ces deux procédés sont dotés de définitions bien différentes dans le droit français et européen. En effet, la réutilisation est une nouvelle utilisation de produits ou matières pris tels quels, alors que le recyclage implique un processus de valorisation de la matière, passant par un retraitement et n’aboutissant pas à un produit de même nature et de même usage. Là où la réutilisation permet de donner une nouvelle vie à un produit, le recyclage est un procédé industriel qui permet la récupération d’une partie seulement de la matière et n’est pas exempt de pollutions. Plus que la “réutilisation” de la matière, c’est la réutilisation d’un produit qui va réellement permettre de diminuer son impact environnemental en “rentabilisant” le coût écologique de sa production.

Une nouvelle tentative à peine dissimulée pour revenir sur les réglementations

Cette étude du lobby du papier-carton et la communication qui est faite autour sont révélatrices des pratiques des secteurs pour mettre en valeur leurs industries, à rebours des évolutions législatives elles-mêmes représentatives des attentes citoyennes. Ainsi, en invoquant cette étude, les fédérations françaises de l’industrie du papier-carton Copacel comme Revipac remettent en question l’obligation de vaisselle réemployable pour la restauration sur place votée au Parlement en 2019 dans le cadre de la loi économie circulaire. Comme le lobby du plastique avant elles, elles ne manquent pas par ailleurs d’invoquer les vertus de l’usage unique, “maillon crucial de la chaîne de valeur, d’autant plus en temps de Covid”, entretenant par là-même la confusion entre usage unique et hygiène alors que l’usage unique ne remplace pas les règles d’hygiène de base.

Il n’est pourtant plus temps pour les industriels de rejouer le match, mais bien de montrer leur adaptabilité aux attentes de leurs clients en faisant évoluer leurs pratiques, conformément aux nouvelles obligations qui s’appliquent à eux. 

L’obligation de vaisselle réemployable, confirmée par le Conseil d’Etat en dépit des manoeuvres des lobbies

L’EPPA, accompagnée par trois sociétés d’emballages, a finalement demandé au Conseil d’Etat de saisir le Conseil constitutionnel pour obtenir la censure de l’obligation de vaisselle réemployable en restauration sur place, y compris en restauration rapide, prévue au 1er janvier 2023 par la loi anti-gaspillage. Les entreprises prétendaient que cette nouvelle obligation serait contraire au principe de prévention inscrit dans la Charte de l’environnement, ainsi qu’aux principes d’égalité et de liberté d’entreprendre de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789.

Le 6 août 2021, le Conseil d’Etat a rendu sa décision : il refuse de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, en rejetant l’ensemble des arguments soulevés par les industriels de l’emballage. En particulier, le juge retient que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre des établissements de restauration est justement proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi, à savoir la protection de l’environnement. Il estime aussi que le principe d’égalité devant la loi est bien respecté, puisque tous les établissements de restauration français sont considérés de la même manière par l’obligation, et qu’aucune interdiction générale de vente de vaisselle à usage unique n’est formulée.

Zero Waste France salue cette décision, qui fait prédominer l’intérêt général de protection de l’environnement sur les intérêts économiques et les impératifs de libre concurrence. L’association accordera toute sa vigilance à la mise en œuvre de cette obligation de passage au réemployable dans la restauration rapide sur place, cruciale au vu de l’impact environnemental des emballages du secteur.

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