09 janvier 2025
Manon Richert

Loi Industrie Verte : Notre Affaire à Tous et Zero Waste France demandent au Conseil d’État l’annulation des décrets d’application

Notre Affaire à Tous et Zero Waste France contestent devant la justice la légalité de trois décrets d’application de la loi Industrie Verte. Ils opèrent en effet un détricotage massif du droit de l’environnement industriel, et plus généralement des principes de la démocratie environnementale.

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Pris dans l’entre deux tours des élections législatives de juin 2024, ces textes s’attaquent notamment au principe fondamental du pollueur-payeur, augmentant ainsi les risques industriels en France. Ils assouplissent aussi les possibilités pour les entreprises responsables d’accidents industriels et de pollutions de s’exonérer de leur responsabilité, et donc les risques de voir les coûts de dépollution à la charge exclusive de l’État et des collectivités. Ou pire encore, que les entreprises abandonnent leurs sites pollués sans prendre en charge la dépollution.

Devant le refus du gouvernement de modifier les décrets d’application de la loi, les deux associations portent aujourd’hui l’affaire devant le Conseil d’Etat qui devra se prononcer sur la légalité de ces décrets.

Retrouvez notre conférence de presse qui s’est tenue le 9 janvier 2025, en présence de :

  • Adeline Paradeise et Justine Ripoll de Notre Affaire à Tous
  • Bénédicte Kjaer Kahlat de Zero Waste France
  • Paul Poulain, expert indépendant et auteur de “Tout peut exploser”
  • Christophe Holleville, Porte-parole de l’Union des Victimes de Lubrizol
    Stéphanie Escoffier, habitante de la Vallée de la Chimie

Regarder la conférence de presse

Un allègement des procédures périlleux pour les écosystèmes et la santé humaine

Ces textes sont une attaque frontale du droit de l’environnement industriel et plus généralement de la démocratie environnementale. Méconnaissant le principe de non-régression en matière environnementale, ils allègent les procédures et permettent de nombreuses dérogations en matière de gestion des pollutions industrielles [1].

Le gouvernement souhaite attirer les investisseurs et les nouveaux exploitants par l’allègement de nombreuses mesures et procédures”, analyse Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. “Mais cela se fait aujourd’hui au détriment de la protection des populations et des écosystèmes. A l’heure du consensus émergent autour du scandale et du danger des polluants éternels, après les innombrables catastrophes industrielles en France et ailleurs, le gouvernement démontre une nouvelle fois son irresponsabilité en la matière.” 

« Le projet d’usine de recyclage chimique Eastman en Normandie est par exemple un cas d’école, qui illustre bien les dérives permises par la Loi Industrie Verte », alerte Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable juridique de Zero Waste France. « Alors que cette technologie coûteuse n’a jamais fait la preuve ni de son efficacité, ni de son innocuité, la qualification de projet d’intérêt national majeur – qui découle de la loi – simplifie d’un côté les procédures pour les industriels, au risque de graves atteintes pour la biodiversité. De l’autre, elle met des bâtons dans les roues des associations de protection de l’environnement, en les obligeant à multiplier les recours. »

Une remise en cause du principe pollueur-payeur lourde de conséquences

Surtout, les décrets attaquent et fragilisent le principe pollueur-payeur, principe fondamental du droit de l’environnement. Et ce à l’encontre même des préconisations des instances nationales et européennes [2]. Après l’explosion de l’usine AZF [3] en 2001, les règles  applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) avait été étendues afin de contraindre les entreprises à prendre en charge les frais de dépollution résultant de catastrophes industrielles [4]. Or, le gouvernement a décidé de supprimer les garanties financières pour ces ICPE dangereuses, à l’exception des installations Seveso seuil haut [5].

En supprimant ces garanties, le gouvernement accroît le risque qu’en cas de pollution ou de catastrophe industrielle, les frais pour couvrir la dépollution incombent exclusivement à l’Etat, ou pire, que celle-ci ne soit pas réalisée faute de moyens”, alerte Adeline Paradeise, juriste de Notre Affaire à Tous.

Concrètement l’entreprise responsable n’aurait qu’à se déclarer en faillite pour ne pas avoir à payer les frais de dépollution, qui se chiffrent rapidement en millions d’euros. Frais qui  retomberaient alors à la charge de l’Etat et des collectivités, donc des citoyens.

Loin d’être une possibilité simplement théorique, c’est exactement ce qu’il s’est passé dans le scandale Metaleurop Nord [6] (voir encadré ci-dessous).

Qui devra payer demain ?

Ces décrets augmentent le risque de voir des scandales similaires à celui de Metaleurop Nord se répéter à l’avenir. Si les accidents industriels que nous avons connus ces dernières années devaient se produire aujourd’hui, les entreprises responsables pourraient passer entre les mailles du filet et échapper à leur responsabilité” – Paul Poulain, expert indépendant

Qui devra alors payer pour un nouvel incendie « Bolloré Logistics », qui en 2023 dans la banlieue de Rouen, a vu brûler 900 tonnes de batteries au lithium, stockées à l’insu de toutes prérogatives, faute de réglementations actuelles, entraînant la contamination des eaux souterraines ?  Qui devra payer pour un nouvel incendie de l’usine SNAM à Viviez dans l’Aveyron [7] ? Enfin, qui devra payer pour un nouveau Lubrizol ? Cette usine de Rouen dont l’incendie en 2019 a brûlé 10 000 tonnes de produits chimiques et provoqué la présence d’une trentaine de “molécules marqueurs de l’incendie” dans l’air, l’eau et les sols, ainsi que la concentration de PFAS la plus importante de France [8].

Au-delà du coût de ces catastrophes, c’est bien sûr le risque pour les populations et les écosystèmes qui inquiète les associations. Comme le souligne Christophe Holleville, porte-parole de l’Union des Victimes de Lubrizol : “Obtenir justice et réparation est déjà à l’heure actuelle un parcours du combattant. Cinq ans après, nous bataillons toujours dans le dossier Lubrizol.  Pourtant, plutôt que de renforcer la protection des populations et de l’environnement, ces décrets d’application de la loi Industrie Verte vont permettre aux entreprises de se déresponsabiliser toujours davantage. Concrètement demain, ce seront potentiellement les victimes des accidents elles-mêmes qui devront payer pour la dépollution” .

Une inquiétude partagée par Stéphanie Escoffier, habitante de Oullins-Pierre-Bénite (Vallée de la Chimie, Rhône) et militante du collectif PFAS Contre terre : “La reconnaissance des pollutions chroniques est le parent pauvre du code de l’environnement, alors que ces pollutions impactent insidieusement notre santé, au quotidien. L’allègement du code de l’environnement rendra ces questions encore moins prioritaires alors que nous connaîtrons les conséquences de ces pollutions à long terme.”

Zoom – Le scandale Metaleurope Nord :

En 2003, dirigeants et actionnaires décident de la fermeture de cette usine qui aura durant 100 ans rejeté du plomb et contaminé 650 hectares autour du site. Refusant de payer les frais de dépollution – et le plan social des 850 salariés licenciés – ils déclarent alors l’entreprise en faillite. Le tribunal de commerce prononcera la liquidation trois mois plus tard. Grâce à un tour de passe-passe financier, actionnaires et dirigeants n’assumeront donc jamais leur responsabilité dans ce scandale, qui 20 ans plus tard continue encore d’avoir des conséquences sociales, sanitaires et environnementales dramatiques sur les riverains et l’environnement. Laissant ainsi l’addition de plusieurs millions d’euros à l’État [9] et la collectivité.

Sources

[1] Articles 39 et 42 du Décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement.

[2] Cour des comptes de l’UE (juillet 2021) ; Commission d’enquête sénatoriale sur les sols pollués (septembre 2020).

[3] L’explosion en 2001 à Toulouse de cette usine de fabrication d’engrais, appartenant à une filiale du groupe Total-Fina-Elf, a causé le décès de 30 personnes et plus de 8 000 personnes ont été blessées.

[4] Loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

[5] Articles 57, 58, 62 et 64 du Décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement.

[6] Metaleurop, le triomphe des « patrons voyous », France Inter, 04/01/2024

[7] Un incendie détruit 900 tonnes de batteries au lithium en Aveyron, Reporterre, 19/02/2024

[8] Cinq ans après l’incendie de Lubrizol, voici les résultats très attendus de l’étude sur les conséquences sanitaires, France 3 Normandie, 23/09/2024

[9] Pollution de Metaleurop : l’État français condamné à verser 1,2 million d’euros aux victimes, France 3 Hauts-de-France, 23/05/2024

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