Vote de la loi transition énergétique au Sénat: un pas en avant, trois pas en arrière pour l’économie circulaire
Le Sénat vient d’adopter la Loi de transition énergétique pour la croissance verte en procédure accélérée. Le bilan des débats sur l'Economie circulaire reste mitigé et manque d'ambition.
Le Sénat vient d’adopter la Loi de transition énergétique pour la croissance verte en procédure accélérée (une seule lecture). Les sénateurs ayant profondément modifié le texte, la prochaine étape de discussion avec l’Assemblée nationale en Commission mixte paritaire (CMP) a peu de chance de déboucher sur un accord. Ce serait alors à l’Assemblée nationale de rediscuter du texte et de l’adopter définitivement. Sur le chapitre “Economie circulaire”, le vote en Commission du Développement Durable et la séance ont amené leur lot de modifications, bonnes ou mauvaises, et de débats animés. Bilan.
Adoption d’une hiérarchie dans l’utilisation des ressources
Introduite en commission, la hiérarchie dans l’utilisation des ressources [1] a été renforcée en séance, par son ajout au code de l’environnement. L’avancée est notable, mais les sénateurs semblent déjà rencontrer quelques difficultés à l’appliquer, si l’on en juge par le reste des modifications qu’ils ont apportées au texte…
Sénateurs I- Lutte contre le jetable 0
Les sénateurs ont ainsi complètement vidé de son sens l’article 19 bis – qui prévoyait l’interdiction des sacs de caisse à usage unique en plastique et le remplacement des sacs de fruits et légumes en plastique par leur équivalent compostable domestiquement – en supprimant l’interdiction stricte des sacs plastiques de caisse à usage unique. Tous les magasins pourront quand même distribuer des sacs à usage unique pour autant qu’ils soient compostables domestiquement, pour la plus grande satisfaction du lobby des bioplastiques qui semble avoir bien fait son travail… Au-delà du gaspillage de ressources naturelles qu’elle représente, (dans le cas présent des ressources agricoles puisque ces plastiques sont constitués en partie de végétaux), cette décision est complètement inopérante. Pour être compostable domestiquement, un sac en bioplastique doit être très fin, ce qui ne permet pas de répondre aux exigences de solidité des sacs de caisse.
Concernant la vaisselle jetable, les débats en séance n’ont pas rattrapé le niveau de ceux entendus en commission pour confirmer le remplacement de l’interdiction de la vaisselle en plastique par une obligation de tri votée en commission. On a nouveau entendu les sénateurs et même la ministre invoquer l’argument selon lequel une interdiction des assiettes et couverts en plastique à usage unique viendrait pénaliser les familles les plus modestes, qui s’en serviraient et les laveraient pour les réutiliser. Le lobbyiste qui a réussi à faire passer cet argument infondé et tendancieux devrait d’ores et déjà postuler au prix du manipulateur le plus talentueux de l’année…
Allongement de la durée de vie des produits: les mesures concrètes se font attendre
Sur l’allongement de la durée de vie des produits, rien de nouveau lors du vote en séance, la Commission du développement durable s’étant déjà chargée de remplacer la définition de l’obsolescence programmée adoptée par l’Assemblée nationale par celle de l’Ademe, et de supprimer l’affichage obligatoire de la durée de vie pour les biens coûtant plus de 30% du SMIC. Le délit d’obsolescence programmée est quant à lui conservé, mais sans être assorti de propositions concrètes pour enrayer le phénomène.
Elargissement de la responsabilité du producteur
Du côté des filières de Responsabilité élargie du producteur (REP) les sénateurs ont confirmé la décision de l’Assemblée d’étendre la REP papier aux papiers de décoration, affiches, papiers à usage fiduciaire et notices d’utilisation ou modes d’emploi. Ils sont également revenus sur la suppression de la maroquinerie du champ de l’extension de la REP textiles qu’avait opérée la Commission DD et ont même supprimé les délais de mise en oeuvre de l’extension, initiale prévue lors du réagrément de l’éco-organisme en 2022. Les sénateurs ont par ailleurs inscrit l’extension des consignes de tri sur les emballages plastique dans la loi et décidé de la création d’une filière REP sur les navires de plaisance et de sport.
Point curieux, les sénateurs ont supprimé la demande d’un rapport du gouvernement sur les produits non soumis à REP pouvant faire l’objet d’un réemploi, arguant que cela faisait partie des missions de l’Institut de l’économie circulaire. Madame Jouanno, sénatrice et co-fondactrice de l’Institut, n’a pas démenti, alors même que cette structure ne bénéficie (pour l’instant) d’aucun mandat officiel et qu’en aucun cas son action ne saurait se substituer à celle des pouvoirs publics sur des sujets comme les REP et le réemploi.
Des progrès sur le gaspillage alimentaire
L’une des véritables avancées introduites par les sénateurs, réside dans la suppression de la Date Limite d’Utilisation Optimale (DLUO) apposée sur les denrées non périssables et qui est souvent source de gaspillage alimentaire. Mais dans le même temps, ils ont supprimé l’inscription obligatoire d’objectifs de réduction du gaspillage alimentaire dans les plans départementaux (et bientôt régionaux) de prévention et de gestion des déchets. Allez comprendre…
Tri à la source des biodéchets: objectif maintenu mais ambition réduite
Sur la généralisation du tri à la source des biodéchets, le pire a été évité, les sénateurs ayant maintenu l’objectif pour 2025. Une précision apportée par le groupe socialiste cantonne en revanche cette généralisation du tri à la source des biodéchets aux seuls ménages. Cela limite considérablement l’impact de la mesure et introduit une inéquité de traitement entre les collectivités et les acteurs économiques qui ne tomberaient pas sous le seuil du décret gros producteur. Il est indispensable, pour ancrer le principe au niveau national, que ce tri s’opère à tous les niveaux de la vie quotidienne (au restaurant, au travail, à la maison, lorsqu’on fait ses courses, etc.).
Sur les biodéchets, le principe recul des sénateurs réside dans la suppression de la phrase de l’article 19 qui précisait la nécessité d’éviter le déploiement de nouvelles installations de tri mécano-biologique. Les sénateurs ont argué, pour justifier leur choix, qu’il ne fallait pas condamner une technologie en tant que telle et que ce serait handicapant pour les collectivités qui s’étaient déjà dotées de ce type d’outils. Sur le premier point, la phrase aurait effectivement pu être plus précise en parlant d’éviter le TMB pour valorisation organique (compostage et méthanisation), pratique que seule la France met en œuvre en Europe. Ces installations peuvent en effet aussi être utilisées pour la stabilisation des déchets résiduels avant mise en décharge. Cette mesure du texte ne visait en revanche pas les collectivités ayant déjà des installations, puisqu’il s’agissait d’un moratoire tacite sur la construction et non l’utilisation. Cette phrase permettait surtout de donner un signal clair et indispensable aux collectivités qui s’interrogeraient aujourd’hui sur la marche à suivre pour atteindre leurs objectifs de recyclage et gérer la question de l’organique. De nombreux projets de nouvelles installations de TMB, qui n’auront plus de raison d’exister en 2025 lorsque le tri à la source sera généralisé, pourraient ainsi être évités.
Le bilan des débats au Sénat sur le chapitre “Economie circulaire” est donc très mitigé. Quelques avancées mais surtout des reculs. Alors que l’économie circulaire est de tous les discours, la hiérarchie européenne des déchets, qui donne la priorité à la prévention et au réemploi, semble encore loin d’être intégrée par les élus eux-mêmes.
[1] Article 19 “promouvoir une consommation sobre et responsable des ressources, puis d’assurer une hiérarchie dans l’utilisation des ressources, privilégiant les ressources issues du recyclage ou de sources renouvelables, puis les ressources recyclables, puis les autres ressources, en tenant compte du bilan global de leur cycle de vie”