La lutte écologique ne se fera pas sans une lutte féministe
A travers la démarche zéro déchet zéro gaspillage, c’est souvent l’écologie des petits gestes qui est privilégiée. Au-delà du fait que cette démarche ne peut être considérée comme l’unique et seule solution à la problématique des déchets, elle conduit aussi à la reproduction des schémas de domination patriarcale.
Les femmes encore en charge du travail domestique
Depuis quelques années, émerge une tendance laissant croire que les petits gestes écologiques individuels pourront permettre de préserver, voire sauver notre planète. Ce qui se cache derrière les petits gestes sont des actes comme acheter en vrac et local, utiliser des couches lavables, faire ses propres produits ménagers, acheter de seconde main, etc. Or l’ensemble de ces gestes fait partie du travail domestique.
En 2012, l’INSEE publie une étude [1] selon laquelle le temps quotidien dédié aux tâches domestiques (cuisine, ménage, courses, soins aux enfants, etc.) a diminué de 30 minutes en 25 ans. Ce chiffre diminue parce que les femmes y consacrent moins de temps, le temps que les hommes consacrent aux tâches domestiques n’a pas évolué en 25 ans.
Chiffres clés
En moyenne en France :
- en 2010, 3h07 sont dédiées aux tâches domestiques chaque jour contre 3h39 en 1986
- pour les femmes ce temps est de 4h01 en 2010 contre 4h36 en 1999 et 5h07 en 1986
- pour les hommes il est de 2h13 en 2010 soit une durée équivalente à 1999 de 2h13 ou encore de 1986 de 2h07
Cette étude révèle aussi que cette inégalité tend à s’accentuer avec le nombre d’enfants.
Par ailleurs, ce travail domestique est produit de manière gratuite puisqu’il n’est pas comptabilisé dans le produit intérieur brut (PIB). En 2010, l’INSEE estimait que “le temps consacré à la production domestique sur une année en France représente une à deux fois le temps de travail rémunéré”[2]. Il y a donc toute une partie du travail essentiellement produit par des femmes qui n’est ni valorisé, ni véritablement pris en compte dans l’organisation et le fonctionnement notre société.
S’il y a 25 ans cet écart pouvait s’expliquer par une moindre activité rémunérée des femmes, cette explication ne tient plus la route de nos jours. Si encore aujourd’hui ce sont essentiellement les femmes qui s’occupent des tâches domestiques, c’est parce qu’elles ont été éduquées depuis plusieurs générations à prendre soin du foyer et de la famille [3] : il n’y a encore pas si longtemps les filles apprenaient à l’école à être de bonnes mères et de bonnes épouses. Ce sont elles aussi qui se retrouvent à s’occuper des enfants dès les premiers mois de naissance, puisqu’en France, la durée du congé paternité pour un enfant est de 25 jours, contre 16 semaines pour le congé maternité ; dans ces conditions, le rééquilibrage des tâches domestiques semble difficile. Enfin, ce sont aussi elles qui se retrouvent à temps partiel pour des raisons personnelles ou familiales : 79,5% des personnes à temps partiel sont des femmes et parmi elles, 49,8% le sont pour des raisons personnelles [4]. Cerise sur le gâteau, 26% subissent ce temps partiel [5].
La charge mentale environnementale, un nouveau poids pour les femmes
La répartition inégalitaire des tâches domestiques est donc le fruit de siècles d’une répartition genrée des tâches et de stéréotypes encore ancrés, à laquelle s’ajoute une organisation de la vie professionnelle et personnelle qui se fait au détriment des femmes. À ce premier constat, s’ajoute la charge mentale. Apparue dans les années 80, cette expression a pris de l’ampleur en 2010 pour dénoncer la charge excessive du travail domestique, de gestion, d’organisation et de planification qui pèse quasi exclusivement sur des femmes dans le cadre d’un couple hétérosexuel.
Force est de constater que si ce sont les femmes qui consacrent plus de temps à ces tâches, c’est aussi sur elles que repose cette charge environnementale qui apparaît comme une énième composante de la charge mentale. Derrière la charge environnementale se cache le fait de prendre en compte l’impact environnemental de ces actions, mais aussi le temps supplémentaire que cela représente de changer ses habitudes de consommation. À titre d’exemple, les sociologues Michèle Lalanne et Nathalie Lapeyre [6] ont évalué à 202h le travail domestique supplémentaire induit par l’utilisation de couches lavables pour un enfant, de sa naissance à ses trois ans.
Des mécanismes de domination inhérents à nos modes de production
Cette fausse solution des petits gestes produit ainsi une culpabilité auprès de personnes déjà en charge de l’équilibre d’une vie professionnelle et domestique, qui plus est inégalitaire. En favorisant uniquement les pratiques individuelles, nous faisons porter la charge mentale et donc environnementale de la transition écologique sur les femmes [7]. Or une telle démarche n’est ni souhaitable ni viable puisqu’elle reproduit les mécanismes de domination et d’oppression déjà à l’œuvre.
Pour réduire nos déchets et préserver nos ressources, nous devons repenser nos modes de production dans leur ensemble. Les mécanismes de dominations qui s’exercent à l’égard des femmes et minorités de genre sont les mêmes que les mécanismes du système productiviste dont l’intérêt économique prime sur tout le reste. Avoir une approche féministe, c’est sortir de ce système productiviste. Avoir conscience des dynamiques en marche est une première étape essentielle pour visibiliser le problème. En parler, manifester, faire la grève de la production ou de la consommation en sont d’autres qui permettront à une société plus juste et plus inclusive d’advenir.
Pour aller plus loin
Sur la charge mentale et la répartition des tâches domestiques
- Emma, Ca se met où ?
- Victoire Tuaillon, Les Couilles sur la table, Des chaussettes et des hommes
- Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi, Papa où t’es?
- Titiou Lecoq, Libérées
Sur les liens entre l’écologie et le féminisme
- Charlotte Soulary, Le féminisme pour sauver la planète
Sources
[1] INSEE, Femmes et hommes – Regards sur la parité
[3] Titiou Lecoq, Libérées
[4] INSEE, Emploi, chômage, revenus du travail
[5] Observatoires des inégalités
[6] Michèle Lalanne et Nathalie Lapeyre, L’engagement écologique au quotidien a-t-il un genre ?
[7] Charlotte Soulary, Le féminisme pour sauver la planète