Paquet économie circulaire et directive énergie renouvelable : la révolution tranquille du droit européen
L'Union européenne multiplie les textes réglementaire en faveur de la réduction des déchets et du recyclage. Décryptage des dernières évolutions.
Publié au Journal Officiel de l’Union européenne du 14 juin 2018 (directive déchets ici), le paquet économie circulaire comporte certaines dispositions marquantes pour la France. Ce texte, qui devra être transposé au plus tard en juillet 2020, produit déjà plusieurs effets juridiques. Même non transposé, les autorités des Etats Membres ne peuvent prendre aucune décision qui compromettrait la bonne mise en œuvre du texte, à terme (CE, 10 janvier 2001, n°217237). Afin de clarifier dès à présent ses implications pour la France, Zero Waste France publie ainsi une note d’analyse de Maître Faro, Avocat au Barreau de Paris. Plus récemment encore, la directive énergie renouvelable vient d’être modifiée et réduit certains soutiens financiers à l’incinération des déchets qui n’ont pas été triés.
MAJ : le décret du 27 mai 2019 a mis fin au complément de rémunération pour l’électricité des usines produites par les usines d’incinération, en modifiant le Code de l’énergie (suppression du 2° de l’article D314-23). A priori, seule demeure donc possible à terme la vente d’électricité sur le marché libre. Ce décret met donc la France en cohérence avec la position de la Commission européenne, et la directive relative aux énergies renouvelables, sur ce point.
Des objectifs de réemploi et de recyclage clarifiés
Notons tout d’abord qu’aucun objectif de prévention n’a été retenu (la Commission aura la possibilité de statuer à nouveau dans les prochaines années), sauf pour le gaspillage alimentaire (-50% d’ici 2030). Cependant, un objectif clair de réemploi et recyclage est désormais fixé (atteindre 55% des déchets municipaux en 2025, 60% en 2030 et 65% en 2035, le tout calculé en poids – article 11).
Côté déchets organiques, les institutions européennes en ont fait une priorité puisque : « les États membres veillent à ce qu’au plus tard le 31 décembre 2023 […], les biodéchets soient soit triés et recyclés à la source, soit collectés séparément et non mélangés avec d’autres types de déchets » (article 22).
Des définitions et une comptabilité des déchets plus transparentes
Plusieurs clarifications sont actées, en termes de définitions juridiques et de modalités de calcul en matière de gestion des déchets.
D’une part, la directive réaffirme la distinction claire entre réemploi et recyclage d’un côté, et « valorisation matière » de l’autre. Cette expression de « valorisation matière », quelque peu trompeuse, inclut en effet l’utilisation des déchets d’incinération tels que les mâchefers en remblai routier. La directive le rappelle : ces opérations de remblayage ne constituent pas du « recyclage ». En conséquence, les grands objectifs de la directive sont exprimés en pourcentage de déchets « réemployés et recyclés », et non sous la forme d’un indicateur de « valorisation matière ». C’est un premier choc pour la France, dont la loi de transition énergétique de 2015 retenait un objectif de 65% de « valorisation matière » en 2025.
D’autre part, la directive insiste sur le fait que « le poids des déchets municipaux recyclés est mesuré lorsque les déchets entrent dans l’opération de recyclage« . Il faudra donc clairement distinguer les déchets collectés séparément des déchets effectivement recyclés, ces deux chiffres n’étant pas identiques sur le terrain.
En outre, plusieurs pratiques qui permettaient de doper les statistiques sont écartées par le texte européen : à partir du 1er janvier 2027, seuls les déchets organiques triés à la source pourront être comptabilisés comme « recyclés ». Exit donc des statistiques du recyclage le compost produit par les usines de tri mécano biologique, ou autres composts de déchets organiques non triés à la source. Concernant les déchets issus de l’incinération, seuls pourront être comptabilisés dans le recyclage les métaux récupérés après combustion (sous condition de qualité que la Commission doit encore établir).
Enfin, c’est surtout l’apparition d’une définition des déchets « municipaux » qui change quelque peu la donne, en portant une attention particulière à ce flux. Ceux-ci sont désormais définis comme :
- les déchets en mélange et les déchets collectés séparément provenant des ménages, y compris le papier et le carton, le verre, les métaux, les matières plastiques, les biodéchets, le bois, les textiles, les emballages, les déchets d’équipements électriques et électroniques, les déchets de piles et d’accumulateurs, ainsi que les déchets encombrants, y compris les matelas et les meubles,
- les déchets en mélange et les déchets collectés séparément provenant d’autres sources lorsque ces déchets sont similaires par leur nature et leur composition aux déchets provenant des ménages.
Là où la France avait retenu un objectif de « valorisation matière » des « déchets non dangereux non inertes » (catégorie plus large que celle des déchets municipaux), le cadre européen est clair : les déchets municipaux ont désormais leur objectif spécifique.
Un petit séisme pour la France et les plans régionaux ?
Première conséquence d’importance dans le contexte actuel : la planification régionale des déchets va devoir être conforme à ces textes européens (en discussion depuis 2015). La première génération des plans, qui planifie la politique locale des déchets à horizon 6 et 12 ans (donc 2030 environ) ne peut compromettre la bonne mise en œuvre du texte européen. Or, à ce stade des projets de plan publiés, la plupart des régions ne tiennent pas compte des textes européens. Leur atteinte en 2025 et 2030 n’est donc nullement garantie. Notamment, une projection spécifique aux « déchets municipaux » devrait être nécessaire, afin de se conformer à la directive, en appliquant un objectif spécifique aux collectivités locales et en particulier aux grands syndicats de traitement dans le cadre de leurs « déchets municipaux ».
Deuxième conséquence : les projections faites dans le cadre de ces plans ne devraient plus être faites à l’aune de l’objectif français (65% de valorisation matière en 2025) mais au regard de l’objectif européen, plus contraignant, et notamment concernant l’échéance 2030 fixée par la directive (60% de réemploi / recyclage des déchets municipaux en 2030, puis 65% en 2035).
Une transposition dans les délais les meilleurs est nécessaire en France pour s’assurer que les plans régionaux en cours intègrent cette réglementation, ainsi que pour clarifier certaines dispositions de la loi française et ses décrets d’application (notamment le décret du 17 juin 2016). En outre, la directive devient un texte clé dans l’analyse des capacités de traitement des déchets nécessaire dans les territoires, notamment par incinération, dans le cadre des politiques locales. L’usine d’incinération d’Ivry-Paris XIII, dont la reconstruction est en projet, est ainsi clairement non conforme avec la directive.
Dès ce jour, Zero Waste France entend ainsi alerter le Ministère de la transition écologique et solidaire, les conseils régionaux et les collectivités locales sur le bon respect de ce nouveau texte européen. L’Union européenne a, dans son second rapport « environmnental implementation review » d’avril 2019, interpellé la France à ce sujet en préconisant de « mettre à jour et adopter d’urgence des plans régionaux de gestion des déchets; éventuellement, tenir compte des exigences de la directive-cadre sur les déchets révisée« . En ne les planifiant pas convenablement, les objectifs européens ne seront probablement pas atteints, et la France et les Conseils régionaux pourraient ainsi être poursuivis en manquement.
Consultez la note juridique de Me FaroLa réduction des subventions à l’incinération au titre des soutiens à l’énergie « renouvelable »
Côté énergie, l’Union européenne a adopté une directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. La réduction des soutiens financiers alloués à l’incinération des déchets en mélange y est fixée comme une obligation claire. Cette disposition aura un effet au niveau français, notamment dans le cadre des mécanismes d’aide aux énergies dites renouvelables. Depuis de nombreuses années, l’incinération bénéficie en effet d’un tarif d’achat préférentiel de l’électricité produite, transformé en « complément de rémunération » : les exploitants d’usines vendent l’électricité sur le marché, des subventions venant compléter le manque entre ce prix de marché et un prix fixé par l’État. Ce qui peut générer des recettes importantes pour les exploitants d’usines.
Malgré un cadre réglementaire favorable, l’énergie issue de l’incinération des déchets peut cependant difficilement être considérée comme une énergie renouvelable : présence de carbone fossile dans les déchets, destruction de ressources précieuses qui pourraient être recyclées ou compostées, absence de bilan carbone complet incluant « l’énergie grise » des déchets, etc.
L’Union européenne a donc acté que les incinérateurs recevant des déchets non triés en vertu de la réglementation (et notamment la directive cadre relative aux déchets) ne pourront plus à l’avenir bénéficier de tels soutiens. Une décision cohérente, structurelle et vertueuse, qui accompagnera utilement le tri à la source des biodéchets par exemple (obligatoire d’ici le 31 décembre 2023). Le Code de l’énergie devra être modifié en conséquence, tout comme le système de complément de rémunération, en cours de révision depuis plusieurs années pour l’incinération, qui devra être adapté voire définitivement abandonné en France.
« Article 3-3 – Les États membres veillent à ce que leurs politiques nationales, y compris les obligations découlant des articles 25 à 28 de la présente directive, et leurs régimes d’aide soient définies en tenant dûment compte de la hiérarchie des déchets établie à l’article 4 de la directive 2008/98/CE pour s’efforcer d’éviter des distorsions indues sur les marchés des matières premières. Les États membres n’accordent pas d’aide à l’énergie renouvelable produite par incinération de déchets si les obligations de collecte séparée énoncées dans ladite directive ne sont pas satisfaites.
MAJ : le décret du 27 mai 2019 a mis fin au complément de rémunération en modifiant le Code de l’énergie (suppression du 2° de l’article D314-23). A priori, seule demeure donc possible à terme la vente d’électricité sur le marché libre. Ce décret met donc la France en cohérence avec la position de la Commission européenne, et la directive précitée, sur ce point.