Plans régionaux déchets : la montagne va-t-elle accoucher d’une souris ?

2019 voit la mise à l'enquête publique de nombreux plans régionaux de prévention et de gestion des déchets. Zero Waste France a suivi depuis le départ l'élaboration de ces plans, et s'inquiète, au global, de la pauvreté de leur contenu final, à l'issue d'un processus fastidieux qui dure depuis plus de deux ans.

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Historiquement, la planification des déchets appartenait à chaque département, mais depuis 2015, chaque région doit élaborer un plan de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), pour tous les déchets hors nucléaires. La première génération de ces plans est donc en cours d’élaboration depuis 2016/2017, avec une accélération en 2019 et le passage en enquête publique de la plupart des plans métropolitains. Zero Waste France, qui s’est investie directement ou par l’intermédiaire de ses groupes locaux dans ce processus long et technique, attire l’attention des régions et de l’Etat sur le risque d’aboutir à un résultat final très décevant, voire mettant en péril la mise en œuvre de l’économie circulaire dans les territoires, alors même que ce travail de planification constituait à l’origine une véritable opportunité.

Pour mémoire, chaque plan doit contenir un état des lieux le plus précis possible des déchets produits, des flux et transports, et des installations en fonctionnement. Il doit également comporter des projections sur 6 et 12 ans permettant de scénariser la prévention des déchets, le compostage, le recyclage, l’élimination… en somme à horizon 2030. Surtout, cet état des lieux étant fait, le plan est censé mentionner « les installations qu’il apparaît nécessaire de créer, d’adapter ou de fermer afin d’atteindre ces objectifs » (décret du 17 juin 2016), point épineux s’il en est sur lequel les plans régionaux restent très silencieux, à quelques exceptions près.

La non prise en compte des directives européennes

Le 30 mai 2018, plusieurs directives ont été réformées au niveau européen, et les objectifs applicables à la gestion des déchets révisés. En particulier, la nouvelle directive déchets fixe un objectif de 60 % de réemploi et recyclage des déchets municipaux en 2030 (65 % en 2035). La gestion séparée des biodéchets y est également prévue pour le 31 décembre 2023 au plus tard, tout comme certaines exclusions statistiques d’ici quelques années (exit du recyclage les mâchefers d’incinération, exit également les biodéchets non triés à la source issus du tri mécano biologique). Bref, des modifications de fond très significatives par rapport à la loi française de 2015 qui a servi d’étalon pour la rédaction des plans. Ne pas prendre en compte cette directive dès le stade de l’élaboration des plans revient donc à élaborer des scénarios qui n’atteignent pas ces objectifs, ne calibrent pas les installations en bout de chaîne pour ce faire. Il en découle à terme un non-respect, en quelque sorte programmé, des exigences européennes, en plus d’un risque en cas de contentieux que les juridictions considèrent les plans comme non-conventionnels (contraires aux textes européens).

La jurisprudence rappelle pourtant de longue date que les directives européennes, qui doivent certes être transposées dans les lois nationales, produisent des effets juridiques dès leur adoption, en rendant notamment impossible le fait, pour les autorités locales ou nationales, pendant le délai imparti par la directive, de prendre des mesures de nature à « compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par la directive » (CE, 10 janvier 2001, n°217237).

Mais l’Etat Français semble cependant avoir décidé de « couvrir » ce renoncement à appliquer les normes européennes. Lors de la Commission consultative organisée autour du plan francilien le 13 décembre 2018, le directeur général de la DRIEE (Direction régionale et interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie – services déconcentrés de l’Etat) a ainsi annoncé un « deal » (accord) entre la France et la Commission européenne : les plans adoptés en 2019 n’auraient pas à tenir compte du Paquet économie circulaire européen. Cette position est confirmée dans le cadre du projet de nouveau plan national de gestion des déchets, qui fait l’objet d’une concertation jusqu’en mai 2019 avec la CNDP (dossier de présentation, page 4).

La Commission européenne semble elle-même empêtrée dans un double discours difficile à tenir à terme puisque dans son rapport du 5 avril 2019 publié pour analyser les politiques environnementales nationales (« environmental implementation review »), elle souligne, pour la France, ce point saillant : « Il devient urgent de revoir et d’adopter des plans régionaux de gestion des déchets dans le contexte de la réforme de l’administration régionale, comme l’exige la directive-cadre sur les déchets. Ces plans devraient de préférence tenir compte de la directive-cadre sur les déchets révisée, notamment de ses objectifs plus ambitieux en matière de recyclage et de mise en décharge pour l’après 2020« . Voilà une position pour le moins surprenante pour la Commission européenne, qui aura la responsabilité d’attaquer la France dans le cadre d’une procédure en manquement, si les objectifs ne sont pas atteints dans le futur…

Et les directives seront prochainement transposées, donc les plans devront être modifiés à terme, peut-être à mi-parcours, dans six ans… Dans ce cas-là, pourquoi le faire plus tard que tôt ? Il est donc urgent que les plans prennent en compte les directives, y compris par des modifications postérieures aux enquêtes publiques, et présentent des statistiques consolidées permettant d’ores et déjà de confronter l’état des lieux aux objectifs européens (et notamment l’abandon de la notion de « valorisation matière » au profit de celle de recyclage tel que défini au niveau européen). Voir par exemple le plan Grand Est qui, à date, présente un état des lieux global calé par rapport à la loi française (et non pas sur les directives) :

Un niveau d’opposabilité juridique (« prescriptibilité ») la plupart du temps très faible

C’est le cœur du plan : après ces centaines de pages d’état des lieux, il s’agit bien de savoir ce qui peut ou doit être fait sur le terrain. Quelles installations à créer, adapter ou fermer (incinérateurs, centre de tri, plateformes de compostage, etc.) ? Pour quels types de déchets ? A quel horizon ? Dans quel bassin de vie ? Voilà les questions centrales que le plan est censé trancher, ou sur lesquelles il est censé se positionner avec le plus de finesse possible. D’autant plus que les décisions prises sur le terrain, comme la réalisation de nouvelles usines, doivent être « compatibles », juridiquement, avec le plan. Encore faut-il avoir quelque éclairage, à la lecture d’un plan régional, pour donner réellement corps à ce rapport de compatibilité, au demeurant un des rares aspects juridiquement opposable et contraignant du plan.

Sujet épineux s’il en est puisque telle préconisation satisfaisante pour les uns sera contraire aux désidératas des autres. La position la plus largement adoptée par les régions a donc été de ne pas se positionner, en considérant que les plans ne devaient pas être « prescriptifs ». Selon cette analyse, il ne reviendrait pas aux plans régionaux de se positionner sur les installations à créer, adapter et fermer, et laisser cette responsabilité à l’État qui, juridiquement, délivre effectivement les autorisations d’exploiter. Un jeu de ping-pong incessant a rapidement commencé, les services de l’État répondant qu’ils sont censés autoriser les projets… à la lumière du plan régional ! Et à la lecture des avis rendus par des missions régionales de l’autorité environnementale (MRAE) ou les Préfets de région, c’est bien la copie qui était attendue de la part des Conseils régionaux… Voir par exemple l’avis de la Mission régionale de l’autorité environnementale en PACA :

Et en effet, le décret du 17 juin 2016 et la jurisprudence rendue en matière de planification des déchets, sont très clairs : les plans doivent, autant que possible, être suffisamment clairs pour permettre à une autorité inférieure, ou un porteur de projet industriel, de savoir si le projet est compatible ou non avec le plan. L’écrasante majorité des décisions de justice rendues sous l’empire des plans départementaux confirme cette analyse, détaillée et justifiée dans une note complète produite début 2018, en amont, par Zero Waste France (transmise à toutes les régions et autorités concernées – à date non contredite avec analyse à l’appui). Il est donc clair qu’un plan creux, stéréotypé, peu programmatique… est un plan ayant de fortes chances d’être annulé en cas de recours en justice.

Focus et panorama de quelques plans

Bien sûr, les plans régionaux sont des documents très volumineux, de plusieurs centaines de pages sans compter les évaluations environnementales, les avis des collectivités et parties prenantes… leur synthèse est donc ardue ; surtout, chacun a ses qualités et ses faiblesses, et contient des objectifs ou des projections intéressantes, parmi d’autres qui le sont moins. Certaines régions ont retenu des objectifs forts sur la gestion séparée des biodéchets (Centre-Val de Loire par exemple, à l’inverse des projections peu ambitieuses en Hauts de France ou Grand Est), là où d’autres ont des focus différents (plastique en PACA par exemple). Aucun n’est parfait, mais aucun n’est également complètement délétère.

L’un des plans ayant sans aucun doute décidé de se positionner le plus fortement et de façon contraignante est celui du Centre-Val de Loire. En situation de surcapacité en mise en décharge et incinération, des restrictions fortes ont été placées pour la réalisation de nouvelles installations, y compris de tri mécano biologique. Étant un plan qui prend parti, certaines collectivités portant des projets contraires sont d’ailleurs montées au créneau et tentent de faire échec à ce plan, comme le syndicat « Touraine Propre » (plus de détail sur les avis exprimés dans l’article de Zéro déchet Touraine).

Sur cette question des usines d’incinération, d’autres plans sont restés particulièrement évasifs, à l’issue de l’état des lieux. Ainsi de la Normandie, ayant notamment de ce fait reçu un avis défavorable – fait rare, suite à l’enquête publique, dont la préconisation relative au traitement des déchets résiduels fait figure d’exemple de langue de bois (un recours a été déposé contre ce plan par Manche Nature) :

Le cas des Hauts de France est également intéressant, avec une « règle de planification », s’agissant des usines d’incinération, pour le moins obscure. Le projet de plan disponible à date utilise les termes « adapter », « en cohérence », « dans le respect »… Sous couvert de termes en apparence précis et structurants, la tournure retenue est en réalité purement elliptique et vide de sens. Tout sera dans l’exégèse, pour telle collectivité ou tel industriel, afin de se positionner par rapport à cette directive. Il est en outre fait référence à la « hiérarchie des modes de traitement » ou au « principe de proximité », qui sont certes des grands principes du droit des déchets. Rien de très nouveau donc, puisque comme tous grands principes, faut-il encore les mettre en oeuvre et les décliner concrètement :

En réalité, il s’agit de formulations fixant probablement à dessein, telle que nous les comprenons, le moins de contraintes possibles aux industriels du secteur et syndicats de traitement. Juridiquement, il s’agit d’une stratégie du pile ou face, relativement risquée puisque certes des formulations obscures peuvent toujours permettre des interprétations ambigües, et faciliter le fait de « tordre » le sens d’une phrase. Pour autant, ces formulations créent paradoxalement une véritable insécurité pour les porteurs de projets industriels. Car la prise en compte de l’environnement progresse au sein des juridictions administratives, et les normes environnementales sont régulièrement interprétées de plus en plus strictement. Il n’est pas dit qu’un.e magistrat.e pointilleux.se se satisfasse d’une formulation abstraite pour valider sans sourciller un projet d’installation dont la compatibilité à un vague plan serait en définitive peu discernable.

Pourtant, certains plans régionaux faisant l’impasse sur le destin de tel type d’usine, sont tout à fait capables d’énoncer des règles prescriptives plus claires pour d’autres types d’installations, quand elles le veulent. Tel est le cas de la région Hauts de France précitée qui a développé des règles élaborées pour la création ou l’extension des décharges. On appréciera la « règle de planification », en la matière, particulièrement soignée et créative (comme quoi…) :

On notera également que la région PACA a décidé, de façon intéressante, de diviser son territoire en quatre bassins de vie, en essayant de formuler des préconisations opérationnelles, par exemple sur la capacité de traitement des biodéchets triés à la source. Constatant, sur un des bassins de vie, des déficits à terme en la matière, la région s’est appropriée son pouvoir juridique de planificatrice et donne sens, sur ce point, à la notion de « compatibilité » :

Pour sa part, la région Occitanie s’est très clairement positionnée pour un plan non prescriptif (déclarations d’Agnès Lanvegine, VP de région, à une conférence organisée à l’Assemblée nationale le 19 février 2018). Bien que listant des projets industriels en cours de réflexion avancée, elle s’abstient nettement de prendre position, par exemple sur le projet « Solena » en Aveyron incluant, en plus d’une décharge, une usine de tri mécano biologique (non-pertinente de part la loi, interdite selon la jurisprudence actuelle) :

Du côté des combustibles solides de récupération (CSR), si la plupart des régions se positionnent favorablement à ce mode de traitement des déchets, certaines proposent des fourchettes plus ou moins précises aux différentes échéances du plan, ce qui a le mérite de cadrer le débat. Nous avons d’ailleurs noté que les plans ayant fait l’objet d’une assistance par des bureaux d’études privés contiennent des informations plus circonstanciées sur cette filière (Ile-de-France, Grand Est, Pays de la Loire notamment), témoignant aussi probablement des affinités et centres d’intérêt de ces sociétés.

Les exemples pourraient être multipliés, pour chaque plan, des préconisations prescriptives ou non retenues pour chaque type d’usine. Si parfois les recommandations sont claires et se situent clairement dans le concept de « compatibilité » et de prescriptions permettant aux acteurs de terrain de se positionner « à la lumière » du plan, la majorité des préconisations et autres « règles de planification » sont en réalité assez vides de sens, de date, de chiffres

Ce constat est particulièrement alarmant : la planification des déchets est un processus qui s’est avéré long et fastidieux pour toutes les parties prenantes, mais dont le résultat final pouvait valoir le temps passé. Aujourd’hui, le constat est sinistre, l’abandon de responsabilité généralisé, et le dossier « plans régionaux » fait ainsi l’objet d’un jeu de ping-pong entre autorités administratives, les unes se défaussant sur les autres, malgré les interpellations régulières des associations (incluant également France Nature Environnement). La plupart des plans constituent ainsi des chantiers inachevés, contenant très peu d’éléments juridiquement opposables, ne tranchant aucun débat, pour le meilleur et pour le pire. On escomptait une décennie 2020/2030 avec des plans structurants, une vision claire, nette et précise en faveur de l’économie circulaire. Pour l’instant, cette ambition reste très lointaine.

Des moyens pour passer à l’action

Les plans régionaux doivent également contenir un « plan d’action en faveur de l’économie circulaire ». Non défini par le décret du 17 juin 2016, nous constatons que la plupart des régions ont procédé à des inventaires d’actions, de définitions, de listes d’acteurs intéressés… sans néanmoins verser dans le concret. Or aujourd’hui beaucoup des solutions pour développer l’économie circulaire sont connues. La formation des acheteurs publics, la sensibilisation des citoyens à la sobriété, l’investissement dans des capacités de traitement nécessaires comme pour le compostage, etc. : autant de projets urgents qui appellent des besoins de financement.

Nous préconisons que, à tout le moins jusqu’à la prochaine échéance électorale des conseils régionaux, les plans d’action s’accompagnent d’une budgétisation claire, soit des fonds alloués à l’économie circulaire, soit des lignes pouvant y contribuer au sein des compétences déjà confiées aux régions (développement économique, aménagement du territoire, etc.).

Pour toute sollicitation sur les plans régionaux, vous pouvez contacter le service juridique de Zero Waste France (juridique[at]zerowastefrance[point]org).

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