Portrait-robot d’une décharge : Beynon dans les Hautes-Alpes
Parmi les visites les plus marquantes de la caravane du droit, figurent évidemment les « centres de stockage de déchets non dangereux », ou moins pudiquement les décharges. Nous vous proposons un voyage au bout de la chaîne d’élimination des déchets, un portrait-robot d’une décharge.
Dans le cadre de sa caravane du droit et du « programme accès au droit » de Zero Waste France, Thibault Turchet, avocat de formation et juriste au sein de l’association, a parcouru la France pendant un mois pour aider les collectifs locaux sur le plan juridique, et faire remonter un maximum d’informations de terrain.
Parmi les visites les plus marquantes du tour, figurent évidemment les « centres de stockage de déchets non dangereux », ou moins pudiquement les décharges. Nous vous proposons un voyage au bout de la chaîne d’élimination des déchets, un portrait-robot d’une décharge (la France compte en 2018 environ 230 décharges autorisées en cours d’exploitation).
C’est dans un petit coin de paradis, entre montagnes, ciel bleu et rivières à régime alpin paisibles, à Ventavon dans les Hautes-Alpes, que se loge la décharge dite du Beynon, que nous vous présentons.
Une installation qui évolue au cours du temps…
La décharge, autorisée en 2002 sur le site d’une carrière en cours d’exploitation, comme c’est souvent le cas, accueille initialement les déchets ménagers résiduels des collectivités des Hautes Alpes, pour une capacité de 75 000 tonnes par an (l’exploitation doit au départ durer 20 ans). Cependant, la décharge devient rapidement un exécutoire pour d’autres collectivités et d’autres catégories de déchets. La capacité de la décharge passe ainsi, en 2006, à 100 000 tonnes par an, pour accueillir dès 2010 une fraction des déchets des Alpes Maritimes.
Enfin, en 2014 et comme c’est souvent le cas, ce sont d’autres gisements de déchets qui sont autorisés, petit à petit : ici les « terres polluées non dangereuses non inertes » et les « mâchefers d’incinération d’ordures ménagères » sont alors admis, provoquant l’ire des riverains et militants qui voient la décharge enfler et empester davantage.
Des nuisances que l’on pourrait réduire
La décharge, gérée par la société « Alpes assainissement » (une filiale de Véolia), présente des nuisances que l’on pourrait qualifier de classiques si elles n’étaient pas insupportables : une quantité d’insectes ou d’animaux nuisibles qui prolifèrent à proximité des habitations, un risque pour la qualité des eaux et surtout des odeurs nauséabondes qui peuvent surgir à toute heure du jour ou de la nuit, ruinant littéralement la vie des riverains.
Il en découle, face à des nuisances qui persistent mais sont absentes lors des visites officielles ou des journées portes-ouvertes, un climat de défiance à l’égard de l’exploitant ou de l’Etat dont les contrôles sont insuffisamment fréquents.
La solution, précaire, pour les militants : se relayer afin d’observer, depuis la limite du site, les apports de déchets. Ils effectuent également des contrôles des eaux qui sortent de la décharge et qui se jettent directement dans la Durance, pour alerter les services de l’Etat en cas de problème.
Des mesures fortes à prendre
Les riverains qui se battent contre les dysfonctionnements de cette installation appellent avec force une prise en compte de leurs propositions : trier séparément les déchets organiques et les valoriser avec des solutions de lombricompostage ou compostage notamment, ce qui permettrait de fortement limiter les odeurs ; développer le recyclage, des filières de valorisation adaptées (pourquoi déchets verts ou palettes en bois se retrouvent-ils dans une décharge ?) et plus globalement mettre en place une politique ambitieuse de réduction à la source des déchets. Des solutions techniques permettent également de limiter les nuisances, en particulier la création de puits de captage des biogaz, le recouvrement plus régulier du massif de déchets comme l’impose l’arrêté d’autorisation, etc. La loi elle-même dispose très clairement que ne peuvent être enfouis que des « déchets ultimes ».
Cependant, les militants font face à plusieurs inerties, que l’on peut rencontrer ailleurs en France :
- celle des élus communaux d’abord puisque toute commune qui a sur son territoire une installation d’élimination de déchets a droit, en vertu de la loi, à un maximum de 1.5€ par tonne de déchet enfouie, ce qui constitue évidemment un frein à une politique ambitieuse de réduction ;
- celle de certains élus intercommunaux en charge de la gestion des déchets, trop souvent désintéressés d’une problématique qu’ils jugent lointaine ;
- le retard des contrôles de l’Etat pourtant en charge de la police des installations classées, qui devraient être plus fréquents et systématiques (qualité des eaux, qualité des déchets enfouis, traitement des lixiviats, etc.).
Les habitants entendent profiter de la nouvelle procédure d’autorisation en cours que doit demander l’exploitant. En effet, les conditions d’exploitation ayant beaucoup évolué ces dernières années (quantités et types de déchets admis), c’est une nouvelle autorisation qu’il convient de détenir pour l’exploitant au plus vite.
Le collectif n’hésitera pas, à l’avenir, à déposer tout recours utile pour faire respecter la règlementation, qu’il s’agisse des recours administratifs, ou pour demander le respect des prescriptions devant le juge judiciaire.
En attendant, les déchets continuent d’affluer, question majeure sur laquelle les élus locaux doivent se mobiliser.