Projet

Mettre la fast-déco au placard

Entre 2017 et 2022, le nombre d'éléments d'ameublement commercialisés en France a quasiment été multiplié par 2, s’élevant désormais à 505 millions d’unités. Il est temps d’encadrer la surproduction de meubles et d’objets de décoration !

L’explosion du marché de l’ameublement et de la décoration

Entre 2017 et 2022, le nombre d’éléments d’ameublement mis sur le marché en France a augmenté de 88%, passant de 269 à 505 millions d’unités vendues [1]. L’année 2021 a même été une année record, où le marché de l’ameublement a dépassé les 14 milliards d’euros [2]. Certains types d’éléments d’ameublement ont vu leur production s’envoler : c’est  le cas des meubles d’appoint – tables basses, porte-manteaux, tables d’appoint ou plateaux de tables – dont la commercialisation a augmenté de 57% entre 2019 et 2021 [3].

“Depuis les confinements liés au Covid, la maison a été surinvestie par ses habitant·es : lieu d’enfermement subi, mais aussi espace refuge, elle a été transformée et personnalisée de façon encore plus forte qu’auparavant”, Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes de Zero Waste France.

Aujourd’hui, une enseigne milieu de gamme comme Maisons du Monde commercialise chaque année 3 000 nouvelles références, parmi les 15 000 proposées [4]. Depuis les années 2000, de nouveaux acteurs ont fait irruption sur le marché de la déco low-cost : acteurs du e-commerce (tels qu’Alibaba, Amazon ou CDiscount) ou de la fast-fashion (comme H&M ou Zara). Plus récemment, les acteurs de l’ultra-fast-fashion – Shein, Temu –  et certains acteurs du destockage – Action – ont surinvesti le marché de la décoration et du petit mobilier, en s’appuyant sur des communautés très actives sur les réseaux sociaux, friandes de “hauls” et d’”unboxing”.

Résultat : 46 % des acheteur·ses de produits de décoration renouvellent au moins une fois par an des éléments de leur pièce à vivre. Plus de la moitié des Français·es en achètent plusieurs fois par an, et plus de 10 % tous les mois [5].

Fast-fashion, fast-déco : même combat et mêmes impacts

Au-delà des quantités astronomiques de meubles et d’éléments de décoration mis sur le marché, d’autres facteurs attestent de l’émergence d’un système de fast-déco reposant sur les mêmes pratiques que la fast-fashion : renouvellement rapide des collections, délocalisation de la production, conditions de travail parfois contraires à la dignité humaine, prix très bas et promotions permanentes, utilisation des réseaux sociaux, création de nouveaux besoins, incitations inconscientes à l’achat (nudge) et “gamification” des applications de vente…

Cette explosion de la fast-déco a de nombreux impacts environnementaux :

  • Sur nos ressources : la phase de production représente selon l’Ademe entre 50% et 80% de l’impact environnemental des meubles [6]. Les forêts et leur biodiversité subissent cette pression sur la ressource en bois, aujourd’hui encore matériau le plus fréquemment utilisé. Par exemple, 20 millions de mètres cubes de bois sont utilisés chaque année pour fabriquer des meubles IKEA, soit un arbre coupé toutes les deux secondes [7].
  • Sur nos émissions carbone : la phase de distribution peut également avoir des impacts environnementaux importants, en particulier pour les produits fabriqués en Asie à partir de matière première elle-même importée.
  • Sur notre santé : les meubles et les objets de décoration neufs émettent des composés organiques volatils (COV), dont certains sont irritants, cancérogènes, mutagènes, ou toxiques pour la reproduction [8]. Les produits d’ignifugation peintures, vernis ou colles contribuent à ces émissions dans notre intérieur.
    Sur la production de déchets : près de 1,3 million de tonnes de déchets d’ameublement ont été collectés en France en 2022, soit 18,7 kg par habitant·e sur une année [9]. Selon l’Ademe, les quantités de déchets d’ameublement collectées ont été multipliées par deux entre 2014 et 2020. 45% de ces déchets sont envoyés au recyclage, 36% à l’incinération ou transformés en combustibles solides de récupération (CSR), et seulement 3% sont réemployés ou réutilisés.

Zero Waste France, en partenariat avec le Réseau National des Ressourceries et Recycleries et les Amis de la Terre France, ont publié en mai 2024 un rapport destiné à mettre en lumière ces pratiques de fast-déco et leurs impacts à la fois sociaux et environnementaux.

Le réemploi et la réparation, des alternatives qui ont besoin de soutien

Il existe des alternatives efficaces pour limiter l’impact des meubles et de la décoration, comme le réemploi et la réparation. Selon une estimation de RREUSE [10], réseau européen des entreprises sociales du réemploi, les activités de ses membres ont permis en 2022 de détourner environ 1 million de tonnes de marchandises et de matériaux des sites d’enfouissement où ils auraient dû finir leur vie, et d’étendre la durée de vie d’environ 214 500 tonnes d’objets grâce au réemploi.

Zero Waste France et les groupes locaux Zero Waste font partie des acteurs qui se mobilisent sur le terrain, à travers le défi Rien de neuf et des actions de réemploi, pour faciliter l’émergence de projets de réemploi des meubles au niveau local.

Mais bien que le réemploi et la réparation soient légalement prioritaires sur le recyclage et l’incinération, ces activités restent encore trop marginales. Le taux de meubles réemployés, parmi ceux collectés par les éco-organismes, est en baisse constante depuis 2017 et n’a jamais dépassé 3% [11]. En particulier, le réemploi des meubles se heurte à de nombreuses difficultés, du fait de la baisse de qualité des objets collectés, du manque de foncier pour gérer ce flux particulièrement consommateur d’espace, du risque de détérioration des objets pendant la collecte, mais aussi du manque de financement du coût du réemploi et de la réparation.

Nos demandes pour enrayer la fast-déco

Zero Waste France, Les Amis de la Terre France et le Réseau National des Ressourceries et Recycleries demandent au gouvernement des mesures contraignantes pour :

  • Réduire les quantités de meubles et éléments de décoration commercialisées en France, afin de respecter la limite de +1,5°C fixée par l’Accord de Paris.
  • Doubler les montants investis pour le développement du réemploi dans le secteur de l’ameublement et de la décoration, sous l’impulsion de l’Etat.
  • Soumettre l’ensemble des éléments de décoration au principe du pollueur-payeur à travers la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) dédiée, au même titre que les éléments d’ameublement.
  • Limiter et encadrer les pratiques marketing et la publicité incitant à la surconsommation.
  • Faire baisser le coût de la réparation des meubles et éléments de décoration sous le seuil psychologique de 33% du prix neuf, grâce à des aides adaptées (“bonus réparation”).
  • Interdire ou a minima mettre en place des pénalités fortement dissuasives dès 2025 pour les produits non recyclables ou fabriqués avec des ressources non gérées durablement, comme les fleurs en plastique.

Alors que les pratiques de la fast-fashion sont sur le point d’être encadrées en France, il est nécessaire de suivre la même voie sur le secteur de l’ameublement et de la décoration. Meubles et objets de décoration mobilisent des ressources précieuses, notamment en bois, et sont désormais appréhendés comme des produits remplaçables, voire jetables.

Rejoignez le mouvement !

Vous voulez dénoncer la surconsommation de ressources dans l’ameublement et la décoration dans les enseignes et sur les réseaux sociaux ?

Téléchargez le kit d’action

[1] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022

[2] Le Monde, Quand la décoration vole au secours d’un prêt-à-porter en pleine remise en question, Véronique Richebois, 3 décembre 2023

[3] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022

[4] France 5, “Déco pour tous, l’envers du décor”, diffusé le 09/04/2024

[5] Les Echos Études, Le marché de la décoration et de l’aménagement intérieur, août 2022

[6] Ademe, Modélisation et évaluation des impacts environnementaux de produits de consommation et biens d’équipement, 2018

[7] Xavier Deleu et Marianne Kerfriden pour Arte, “IKEA, le seigneur des forêts”, 2023

[8] Zero Waste France, dossier Améliorer la qualité de l’air intérieur grâce au zéro déchet, 2017

[9] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022

[10] RREUSE, Activity report 2022

[11] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022, et Ademe, tableau de bord REP – Eléments d’ameublement, 2023

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