Un rapport révèle l’ampleur des pollutions causées par l’exportation de déchets plastique en Asie
Avec la mise en place du programme "Epée Nationale", le gouvernement chinois a interdit l'importation de nombreux déchets plastique sur son territoire. Cette décision a plongé l'industrie du recyclage dans le chaos, nous invitant ainsi à repenser notre système basé sur le tout-jetable.
Depuis le refus chinois d’importer les déchets plastiques du monde entier pour les traiter sur son territoire, l’industrie mondiale du recyclage a plongé dans le chaos. L’exportation de déchets a été détournée vers d’autres États d’Asie du Sud-Est, tels que la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie, dont les infrastructures sont loin d’être suffisamment développées pour faire face à cette arrivée massive de déchets.
Cette surexploitation favorise l’émergence de solutions de traitement illégales, non régulées et extrêmement polluantes (incinération à ciel ouvert, décharges sauvages, etc.).
Dans son rapport intitulé « Déchets : les communautés en première ligne de la crise mondiale du plastique », le Global Alliance for Incinerator Alternatives (GAIA), un réseau d’associations mondial dont fait partie Zero Waste France, révèle l’impact sidérant de ces exportations de plastiques dans les pays d’Asie : réserves d’eau contaminées, récoltes perdues, maladies respiratoires, installation de mafias du plastique, etc.
Ces pays et leurs populations assument les coûts économiques, sociaux et environnementaux de cette pollution exportée, peut-être sur plusieurs générations. Cette situation dramatique met en lumière les véritables coûts de notre consommation effrénée de plastique, les limites du recyclage et la nécessité de changer notre rapport au plastique à grande échelle.
L’interdiction de la Chine : l’illustration des limites de l’industrie du recyclage
Face à des exportations massives de déchets, le gouvernement chinois a mis en place, en janvier 2018, le programme « National Sword » (Epée nationale). Cette mesure interdit l’entrée de 24 types de déchets sur le territoire chinois, pour des raisons aussi bien sanitaires qu’environnementales.
Pendant de nombreuses années, la Chine était au centre du commerce mondial des déchets plastiques : les cargos transportant des biens manufacturés depuis la Chine vers l’Amérique du Nord ou l’Europe revenaient avec des déchets plastiques, qu’elle acceptait sans distinction. L’Union Européenne exportait ainsi près de 50% de ses déchets plastiques triés vers la Chine. Cela lui permettait d’alimenter ses industries et débarrassait les États exportateurs de ces déchets considérés comme recyclables, mais de mauvaise qualité et à faible valeur.
La réalité de ce commerce est néanmoins toute autre : parmi ces produits recyclables exportés, beaucoup sont non-recyclables et ne peuvent être traités. Du fait de standards environnementaux moins stricts que dans les États exportateurs, ces déchets ont ainsi été enfouis, empilés dans des décharges ou encore incinérés à l’air libre. Des villages entiers se sont retrouvés submergés par le plastique et ont subi une grave pollution, liée notamment aux additifs chimiques associés aux plastiques, impactant les réserves d’eau, les productions agricoles et la santé des communautés environnantes.
Il existe un véritable problème de transparence : les consommateurs et gestionnaires de déchets municipaux, malgré leurs efforts pour trier correctement leurs déchets recyclables, savent rarement où ils sont acheminés et s’ils sont réellement recyclés. Ces déchets sont toutefois inclus dans les taux de recyclage des États exportateurs, ce qui remet en cause la fiabilité de ces taux.
Pourquoi le plastique est-il si peu recyclé ?
Depuis 1950, seulement 9 % du plastique produit a été recyclé dans le monde. Cela s’explique par les coûts élevés du recyclage comparés aux coûts de production de plastique vierge. En effet, pour être recyclé, le plastique doit avoir une valeur sur le marché, or les prix bas du gaz et le faible coût des nouveaux matériaux rendent plus intéressante la production de plastique plutôt que le recyclage de celui déjà existant. Ainsi, d’ici 2050, la production totale de plastique en volume devrait atteindre 34 000 millions de tonnes, soit 4 fois plus que tout ce qui a déjà été produit depuis 1950.
Le recyclage entraîne, de plus, une perte de qualité du polymère d’origine et fait donc perdre de la valeur au produit. Ainsi, le plastique n’est pas recyclable à l’infini et finit forcément par être jeté. Les plastiques recyclables qui se retrouvent en Asie du Sud-Est sont généralement les plastiques les plus difficiles et chers à recycler, ce qui présente peu d’intérêt économique pour ces États.
Un problème environnemental et sanitaire déporté dans les autres Etats d’Asie du Sud-Est
Le programme « National Sword » de la Chine a poussé les Etats exportateurs (Etats européens, Amérique du Nord, Arabie Saoudite, Japon, Australie…) à trouver de nouveaux lieux où envoyer leurs déchets. Ce sont notamment la Malaisie, la Thaïlande et plus récemment l’Indonésie, qui sont devenues les nouveaux ports d’importation. Les problèmes générés en Chine par l’importation des déchets ont simplement été déplacés dans d’autres États.
Des infrastructures illégales et non régulées, créées par des hommes d’affaires chinois, se sont développées pour faire face à l’arrivée en masse de déchets plastiques. Dans chacun de ces trois pays, cette importation a favorisé le développement de solutions de traitement extrêmement polluantes, la principale étant l’incinération en plein air. Tous les déchets qui ne peuvent être recyclés par les infrastructures sont incinérés sur place, y compris les déchets électroniques. Cela présente des risques importants pour les travailleurs puisque l’incinération libère des substances toxiques qui contaminent les eaux, les sols et l’air.
L’exemple de Kuchon Umsawat, paysan thaïlandais de 49 ans
Relaté dans le rapport de GAIA, l’exemple de ce paysan thaïlandais est édifiant : la source d’eau qu’il utilisait pour arroser ses arbres fruitiers et l’herbe servant de nourriture à son élevage bovin a été contaminée par l’une de ces installations de recyclage. L’un de ses étangs à poissons a pris une couleur orange, du fait de sa contamination par 14 sortes de métaux lourds et autres polluants. Unsawat ne peut plus vendre ses récoltes et doit désormais acheter l’eau pour nourrir son élevage. Il estime perdre l’équivalent de 3000 $ par an et a déjà dû vendre deux de ses six vaches car il n’avait plus les moyens de subvenir à leurs besoins en eau.
De même, en Malaisie, de graves dommages environnementaux ont été constatés dans les campagnes à proximité de centres de traitement : l’habitat marin disparaît et les plantations agricoles, comme les bananiers, pourrissent avant même d’être arrivées à maturation. Les populations locales voient donc non seulement leur santé et leur environnement affectés, mais perdent également leurs principales sources de revenu.
Au-delà de l’impact environnemental, cette pollution plastique a également un impact sanitaire désastreux sur les communautés environnantes : la simple inhalation des fumées et émanations produites par l’incinération provoquent des maladies respiratoires, des éruptions cutanées, des vomissements et toux. Des conséquences plus pernicieuses apparaissent également : cancers, impacts sur le système reproducteur (stérilité, fausses couches à répétition), affaiblissement du système immunitaire, perturbations endocriniennes…
Les personnes les plus touchées sont les ramasseurs informels de déchets (“waste pickers”) c’est-à-dire les travailleurs qui récupèrent, parmi les déchets, le matériel recyclable pouvant avoir une valeur, même minime. Ceux-ci sont en contact constant avec les déchets plastiques et respirent quotidiennement les vapeurs toxiques émises par les incinérations en plein air des déchets non utilisables.
L’exemple de Suri, une Indonésienne de 50 ans
Le corps recouvert d’éruptions cutanées irritantes, Suri souffre de maux de tête de plus en plus intenses et de difficultés à respirer. En un an, elle s’est rendue trois fois à l’hôpital et le médecin a diagnostiqué, à tort, une crise cardiaque. Elle a désormais besoin de bouteilles d’oxygène et d’un inhalateur pour respirer.
Des infrastructures illégales difficiles à contrôler
En Thaïlande, les contestations des populations locales sont difficilement entendues du fait de la présence d’une mafia puissante qui recourt à la violence pour intimider les personnes contestant ces sites illégaux. En Malaisie, les gouvernements locaux sont parvenus à faire fermer 8 structures illégales, grâce à un membre de la population locale qui a constitué un dossier révélant l’ampleur de la situation. Celui-ci avait comptabilisé 37 usines de traitement illégales dans son district. Néanmoins, les différents gouvernements ont des difficultés à contrôler ces structures. Ils ne perçoivent aucun revenu sur cette activité mais assument ensuite le coût de la dissolution et le contrôle des mesures d’interdiction.
Ainsi, lorsque les infrastructures illégales disparaissent, elles laissent derrière elles des piles de déchets que les gouvernements et populations locales doivent ensuite gérer. L’une des usines de recyclage du plastique, fermée fin 2018 dans la campagne malaisienne, a ainsi laissé 4 000 tonnes de plastique.
De plus, les recycleurs illégaux parviennent facilement à contourner les interdictions, par exemple en déplaçant simplement leurs sites d’une région à l’autre : des journalistes ont ainsi découvert en Malaisie une décharge représentant l’équivalent de six terrains de footballs, constituée principalement de déchets plastiques, dans une zone où le contrôle du gouvernement était moins intense.
Tout comme la Chine, la Thaïlande et la Malaisie ont fini par adopter des mesures d’interdiction d’importation dès 2018, ce qui a de nouveau déporté l’exportation, cette fois-ci vers l’Indonésie ou la Turquie.
Face à ces différentes mesures, les exportations totales de plastique ont été divisées par deux entre 2016 et 2018 : dans les Etats exportateurs, les infrastructures de recyclage se sont développées pour pouvoir y traiter localement les déchets produits. L’industrie du recyclage seule ne peut néanmoins pas absorber les quantités toujours croissantes de plastique à usage unique et sans valeur qui sont produites, mises en rayon… puis jetées rapidement.
Ce surplus de déchets, autrefois exporté, a donc contribué à perturber les systèmes locaux de recyclage qui doivent faire face à des défaillances : erreurs dans les collectes, mise en décharge ou incinération de déchets recyclables par manque de moyens etc. Le recyclage montre donc des limites face à une production qui devient hors de contrôle : il doit être complété par une transformation à grande échelle de notre consommation de plastique.
Une opportunité pour changer de paradigme : du tout-jetable à la réutilisation
Cette crise du recyclage représente l’opportunité de changer un système fondé sur le tout-jetable, de prendre des mesures pour réduire la consommation à la source du plastique, de développer le recyclage local dans les États exportateurs et éliminer les produits et emballages particulièrement problématiques car non recyclables et/ou toxiques.
GAIA émet plusieurs recommandations pour mettre fin à ce problème planétaire :
- Adopter des accords internationaux contraignants et prendre des mesures collectives au sein des Nations Unies pour répondre aux enjeux de production, recyclage et traitement du plastique.
- Inciter les Etats d’Asie du Sud-Est à interdire les importations de déchets sur leurs territoires. Les mesures d’interdiction doivent être accompagnées d’une surveillance et d’un contrôle efficaces pour assurer leur respect.
- Encourager le secteur privé à repenser la production, l’emballage et la distribution du plastique pour éliminer les produits et emballages en plastique à usage unique
- Prioriser la réduction à la source au sein des gouvernements locaux et nationaux, par des interdictions des plastiques problématiques, notamment des additifs qui complexifient la recyclabilité du plastique, et par l’extension des filières de Responsabilité Élargie du Producteur. Les mesures récentes prises par la ville de Berkeley ou encore par les Îles Baléares sont des exemples concrets des initiatives que peuvent prendre les gouvernements locaux et nationaux.
- Protéger les ramasseurs de déchets et les travailleurs des usines de recyclage en reconnaissant leurs droits
- Interdire l’incinération du plastique à l’échelle gouvernementale, que ce soit en plein air, dans des incinérateurs, dans des fours à ciment, dans des opérations de transformation du plastique en combustible ou dans des incendies de décharges.
- Responsabiliser les Etats exportateurs de plastique en réduisant la consommation de plastique et en développant des industries de recyclage locales.