Recyclage des meubles : récit de 18 mois de lobbying citoyen
Que deviennent nos meubles, une fois collectés par le service des encombrants : déposés en déchetterie ou, dans le meilleur des cas, donnés à Emmaüs ? Décryptage des négociations et des nouveaux objectifs pour la filière.
Chaque année, quelques 2,2 millions de tonnes de meubles sont vendues en France, ce qui correspond à plus de 260 millions d’unités diverses : meubles de cuisine, meubles de chambre, de bureau… (voir statistiques détaillées).
La question de leur mise au rebus se jouait ces derniers mois dans les salles de réunion du ministère de la transition écologique et solidaire. En effet, depuis juin 2016, les négociations vont bon train entre les acteurs de la filière autour de l’agrément 2018-2023 des éco-organismes (Eco-mobilier, Valdélia et Ecologic). Au cœur des discussions : les objectifs de réemploi et de recyclage pour les meubles, la couverture des coûts de collecte, de tri et de traitement de ces déchets et les politiques d’incitation à l’éco-conception. Zero Waste France a pris une part active depuis le début des discussions, jusqu’aux auditions des éco-organismes qui ont eu lieu le 5 décembre 2017, et un constat s’impose : la présence d’associations demeure fondamentale d’une part pour faire des propositions, et d’autre part pour contrer les velléités de régression de certains industriels.
A l’origine des discussion : les filières de « Responsabilité élargies des producteurs »
Les meubles font l’objet d’une filière « REP ». REP signifie « responsabilité élargie du producteur » et renvoie au principe du pollueur-payeur. La logique est simple : une entreprise qui met sur le marché un produit qui deviendra plus tard un déchet doit payer pour sa prise en charge ou organiser elle-même les conditions de sa réutilisation, son recyclage ou son élimination. Pour exercer cette responsabilité, les entreprises d’un même secteur peuvent se réunir au sein d’éco-organismes, chargés de mettre sur pied des filières facilitant et finançant le tri, la collecte et le traitement d’un type de déchet spécifique. C’est le cas pour les entreprises qui vendent des meubles, organisées au sein de deux éco-organismes (Eco-mobilier et Valdelia). L’action de ces éco-organismes qui récoltent près de 200 millions d’euros par an dans cette filière, est encadrée par un cahier des charges élaboré par l’État avec les parties prenantes (fabricants, collectivités, recycleurs,…). Il fixe pour les années suivantes les grandes lignes de l’action des éco-organismes : objectif de réemploi et de recyclage, politique d’éco-conception, organisation de la collecte et du traitement des déchets…
Evidemment pour Zero Waste France qui siège dans ces réunions, l’objectif est d’obtenir un cahier des charges le plus ambitieux possible, en demandant l’augmentation des objectifs de réemploi et de recyclage et la généralisation du système d’éco-modulation, qui fait varier la contribution versée par les fabricants de meuble en fonction de la durabilité ou de la recyclabilité de leur produit, et s’attaque ainsi à la source du problème : la mauvaise conception de certains meubles.
Un déploiement progressif du dispositif
Du côté de la REP meubles, la première période d’agrément (2013 / 2017) a permis de mettre en place progressivement la filière : en 2016, les éco-organismes ont pris en charge près d’un million de tonnes de déchets de meubles, collectés séparément ou bien gérés dans le tout-venant. L’enjeu était notamment le déploiement de bennes en déchetteries, l’identification des gros détenteurs de mobiliers, et la signature des contrats avec les collectivités.
Côté recyclage, les objectifs initiaux sont globalement atteints : 45% de recyclage des mobiliers « ménagers », et 75% pour les mobiliers « professionnels », le reste allant soit en incinération, soit en décharge. La réutilisation des meubles atteint par ailleurs environ 32 000 tonnes par an.
Des parties-prenantes qui freinent les propositions environnementales
Les discussions autour du contenu du cahier des charges ont lieu dans des groupes de travail qui réunissent les différentes parties prenantes, représentant différents intérêts. Sans surprise, tout le monde ne marche pas dans le même sens.
Ainsi, la FNADE (fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement) par exemple regroupe de nombreux industriels du traitement des déchets (installations de recyclage, décharges, incinérateurs). Dans les discussions, la position de la fédération était celle d’une baisse des objectifs de recyclage qui serait justifiée par des tensions sur les débouchés du bois, traditionnellement repris par l’industrie des panneaux de particules. En parallèle, la FNADE proposait également de créer un indicateur de « valorisation matière » (c’est-à-dire de recyclage) intégrant les cendres issues de la combustion des déchets de meubles (ces cendres pouvant être réintégrées dans certains produits tels que le béton…). Heureusement, cette proposition qui aurait flouté les statistiques a été rejetée.
Les fabricants et vendeurs de meubles sont également représentés. Ceux-ci se positionnent par exemple contre une éco-modulation “punitive” (un “malus”) pour les meubles mal conçus (à faible durée de vie, non recyclables, non réparables, utilisant des colles problématiques, etc.). La loi de transition énergétique prévoit pourtant depuis 2015 que « les contributions financières sont modulées en fonction de critères environnementaux liés à la conception, à la durée de vie et à la fin de vie du produit ». L’ameublement français, l’UNIFA (union nationale des industries françaises de l’ameublement), la FMBAM (fédération des magasins de bricolage et de l’aménagement de la maison) ou encore la FFNAEM (fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison) ont ainsi fait reculer le Ministère de l’environnement, qui avait mis sur la table la proposition de majorer de 30% les contributions pour les meubles n’intégrant pas suffisamment de matériaux recyclés. Les arguments invoqués sont souvent stéréotypés et visent notamment à « gagner du temps » : pas « d’écologie punitive » (donc uniquement des « bonus », c’est-à-dire des réductions de cotisation), nécessité de « réaliser des études d’impacts », inefficacité de la mesure au regard du caractère européen du marché, etc. Résultat: pas de malus pour l’instant pour les meubles mal conçus : les éco-organismes devront seulement proposer un barème complet d’ici au 1er novembre 2018.
L’heure du bilan : les demandes de Zero Waste France ont-elles été entendues ?
Au cours de la deuxième période d’agrément à venir, entre 2018 et 2023, la filière devrait continuer de progresser. D’une part, ce seront environ 1.2 million de tonnes de déchets d’ameublement qui seront opérationnellement ou financièrement soutenus chaque année. En outre, le cahier des charges prévoit un passage à 50% de recyclage en 2022, hausse que Zero Waste France demandait. Les éco-organismes devront également s’implanter, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, dans les régions et collectivités d’outre-mer n’ayant pas encore toutes accès à ce service.
De nouveaux “bonus” devraient être mis en œuvre pour inciter à l’éco-conception, par exemple pour les meubles évolutifs, ou disposant d’un écolabel européen. En revanche, les meubles mal-conçus ne se verront pas imposer de malus. Il est simplement demandé à l’éco-organisme de présenter de propositions d’éco-modulation pour l’année suivante, et de prévoir un « accompagnement » de certains fabricants. Le progrès reste donc trop faible par rapport aux enjeux environnementaux actuels urgents.
Enfin, la réutilisation dispose d’une place plus importante et sécurisée dans le cahier des charges, ce que nous soutenions, en lien notamment avec Emmaüs et le réseau des ressourceries. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire étaient certes déjà en relation avec les éco-organismes ; ils devraient désormais bénéficier d’un accès facilité au gisement de meubles, de préférence de qualité, et d’un soutien financier pour ceux effectivement réutilisés (le montant n’a pas été fixé dans le cahier des charges ; les propositions communiquées par les éco-organismes et en particulier Eco-mobilier semblent cependant notoirement insuffisantes).
Ce nouveau cahier des charges confirme donc globalement le blocage dans lequel se trouvent aujourd’hui les filières REP, qui permettent des avancées certaines sur le terrain, du point de vue de la captation des déchets, mais bloquent rapidement sur les enjeux fondamentaux : faire progresser la réduction des déchets à la source et l’éco-conception (réparabilité et recyclabilité des produits). La gouvernance des éco-organismes, dont les actionnaires sont les fabricants de produits, est clairement un écueil. Les avancées dans la filière meubles sont donc malheureusement a minima, là où il devient urgent de réduire les déchets et les recycler bien davantage.
En attendant un changement profond de gouvernance que nous appelons de nos vœux, ces discussions démontrent l’importance que les associations environnementales soient représentées et actives dans de telles instances où se décident des politiques importantes. Elles sont de véritables contre-pouvoirs qui défendent les enjeux fondamentaux que sont la réduction des déchets, le réemploi et le recyclage. Le consommateur n’est quant à lui pas sans pouvoir non plus, notamment en favorisant la seconde main dans ses achats, ce qui permet de réduire la pression sur les ressources et de soutenir l’économie du réemploi !