Moins 30% d’ordures ménagères avec la mise en place d’une tarification incitative
L’Ademe a publié en janvier deux études sur les collectivités ayant adopté une tarification incitative, montrant leurs meilleures performances en matière de réduction des ordures ménagères, et relativisant l’impact des dépôts sauvages. Zero Waste France fait le bilan de ces enseignements.
Rappel : de quoi parle-t-on ?
La tarification incitative est un mode de facturation du service de gestion des déchets où le montant de la facture varie en fonction de la quantité de déchets produite par les ménages. Ce système repose sur l’introduction dans la facturation d’une part variable, dite “incitative” car elle a pour objectif d’inciter les citoyen·nes à réduire leur production de déchets, et par conséquent, le montant de leur facturation. Il existe en France deux systèmes de facturation des déchets, qui peuvent tous les deux exister de façon incitative : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), fondée sur la valeur foncière de l’habitat, et la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM), qui repose sur la facturation des coûts du service rendu.
Des collectivités plus performantes que la moyenne nationale
Au 1ᵉʳ janvier 2021, 200 collectivités financent leur service public de gestion des déchets par une tarification incitative, couvrant au total 6,6 millions d’habitant·es [1]. Si depuis 2016, la population couverte par une tarification incitative a progressé de 44%, on est encore très loin de l’objectif fixé par la loi de transition énergétique pour une croissance verte, de 15 millions d’habitant·es couvert·es en 2020, et de 25 millions en 2025.
Si elles ne sont pas aussi nombreuses qu’attendu, c’est regrettable, car les collectivités en tarification incitative sont plus performantes que la moyenne nationale. Elles collectent en moyenne 132 kg/hab/an d’ordures ménagères résiduelles (OMR) contre 249 kg/hab/an à l’échelle nationale, soit 47% de moins. Leurs performances sont également meilleures sur le tri sélectif : 105 kg/hab/an d’emballages, verre ou papier collectés, contre 82 kg/hab/an seulement en moyenne nationale, soit 28% de plus.
Ces chiffres de performance cachent cependant de grandes disparités entre collectivités ayant mis en place la tarification incitative :
- Les collectivités en redevance incitative sont plus performantes que celles en TEOMi (taxe d’enlèvement des ordures ménagères incitative) et elles produisent en moyenne 31% moins d’OMR par hab/an que celles en TEOMi. Les collectivités en TEOMi sont toutefois encore peu nombreuses (25 seulement) et celles ayant adopté la TEOMi après 2019 semblent obtenir de meilleurs résultats, parfois proches de ceux des collectivités en redevance incitative.
- On observe également une corrélation forte entre la production d’OMR et la typologie d’habitat : les territoires ruraux ou mixtes (à dominante rurale) ont de meilleures performances (130 kg/hab/an d’OMR en moyenne) que les territoires situés en milieu urbain (177 kg/hab/an d’OMR en moyenne). Pour les territoires urbains, l’étude de l’Ademe montre d’ailleurs qu’au-delà de 30% d’habitat collectif, il apparaît plus difficile d’avoir de très bonnes performances.
30% d’ordures ménagères en moins grâce à la tarification incitative
Selon le bilan de l’Ademe, lors du passage en tarification incitative, les ordures ménagères résiduelles baissent de 30% en moyenne sur le territoire. Ce passage a également un impact direct sur le tri, avec une augmentation des flux emballages/papier (+17% après passage en TI) et verre (+10%).
Plusieurs critères jouent dans cette baisse des OMR :
- Le type de part variable : les collectivités qui tarifient au poids collectent moins d’OMR que celles qui tarifient à la levée.
- Pour les collectivités qui tarifient à la levée, le nombre minimum de levées facturées est l’un des paramètres qui influent le plus sur le comportement des habitant·es : la majorité des habitant·es utilise les levées imposées et évite de présenter son bac plus souvent à la collecte.
- L’incitativité n’est que partiellement liée aux tarifs pratiqués : les collectivités ayant un tarif élevé pour la levée unitaire n’ont pas automatiquement de meilleures performances.
- La mise en place de la collecte séparée des biodéchets en parallèle de la tarification incitative renforce les effets de réduction des OMR : les collectivités ayant mis en place les deux collectent en moyenne 10 kg/hab./an en moins par rapport aux collectivités ayant uniquement mis en place la tarification incitative.
- Les collectivités ayant adapté la fréquence de collecte des OMR (une fois toutes les deux semaines) sont celles qui présentent les meilleurs ratios de collecte (40 kg/hab/an de moins que les autres collectivités en tarification incitative).
Tarification incitative et incivilités : stop aux amalgames !
L’Ademe a également publié en janvier 2024 une étude [2] sur les liens entre tarification incitative et déchets sauvages, c’est-à-dire abandonnés au pied des points d’apport volontaire, au portail des déchetteries, ou encore déposés dans la nature de façon isolée ou concentrée. Parmi les craintes des collectivités, revient souvent le risque d’augmentation des déchets sauvages lors de la mise en place d’une tarification incitative, dans le but de limiter les facturations.
Cette étude porte sur un échantillon limité de collectivités – 18 collectivités en tarification incitative et 10 collectivités “témoin” sans tarification incitative – mais elle permet malgré tout de tirer un certain nombre d’enseignements.
On observe effectivement environ 3 à 4 fois plus de dépôts sauvages d’OMR dans les territoires en tarification incitative que dans les territoires témoins, mais compte tenu des faibles quantités en jeu, ce constat ne remet pas en cause le bénéfice global de la tarification incitative sur ces territoires. Dans l’hypothèse où une collectivité subirait le scénario le plus défavorable (2 kg/hab/an de dépôts sauvages), au vu des performances de collecte des territoires en tarification incitative, ces dépôts représenteraient moins de 1,3% du poids des OMR collectées. Ces estimations de l’Ademe montrent ainsi que la tarification incitative reste bénéfique, même dans un scénario défavorable de dépôts sauvages, au regard de la réduction des quantités d’OMR observée grâce à la TI.
L’Ademe relativise ainsi la place du facteur “tarification” dans la présence de dépôts sauvages, impactée plutôt par plusieurs facteurs :
- Le mode de collecte : on retrouve davantage de dépôts sauvages dans les territoires où la collecte des OMR et/ou des emballages et papiers est effectuée en points d’apport volontaire. Que ce soit sur des territoires en tarification incitative ou non, c’est plutôt la présence de points d’apport volontaire qui accroît les quantités de dépôts sauvages retrouvés.
- La typologie d’habitat : on constate environ deux fois plus de dépôts sauvages (rapporté à l’habitant) lorsque le dépôt a été effectué en zone rurale par rapport aux zones urbaines et périurbaines.
- Le mode de tarification : comme dit précédemment, on observe davantage de dépôts sauvages sur les territoires en tarification incitative. Toutefois, certains territoires en TI étudiés semblent faire face à nettement moins de dépôts sauvages que d’autres : la tarification incitative ne systématise donc pas le geste d’abandon de déchets.
Zero Waste France se réjouit de la publication de ces deux études, montrant les impacts concrets de la réduction des OMR dans les collectivités ayant mis en place la tarification incitative, et les effets très réduits des dépôts sauvages considérés – à tort – comme un effet obligé de la mise en place de la tarification incitative.
L’association rappelle que ce mode de tarification est un élément clé d’une politique de prévention efficace, dès lors que des solutions pour réduire les déchets sont proposées aux habitants, et d’autant plus lorsqu’y est combinée une stratégie plus large et la mise en œuvre de programmes de prévention ambitieux. La mise en œuvre du tri à la source des biodéchets, notamment, en est un élément clé. La mise en place de la tarification incitative doit s’accompagner d’actions de prévention – soutien aux initiatives de réemploi, réparation, sensibilisation du grand public… – et donc de moyens humains et financiers investis dans ces actions. Or, la prévention des déchets ne concentre toujours en 2018 que 1% des investissements liés au service public de gestion des déchets [3]…
Pour aller encore plus loin, Zero Waste France rappelle que la tarification actuelle de l’enlèvement des ordures ménagères repose dans sa majeure partie sur la taxe foncière pour la TEOM et TEOMi), et qu’aucune différenciation selon les revenus des foyers n’est possible dans les grilles tarifaires des taxes ou redevances incitatives. Pour que tous les ménages puissent agir activement sur la réduction de leurs déchets, la loi doit permettre une meilleure prise en compte des critères sociaux dans la facturation du service public de gestion des déchets, notamment via l’introduction d’une tarification dégressive selon les niveaux de revenus et le nombre de personnes composant le foyer. La transition écologique ne pourra s’accomplir en laissant une partie de la population de côté, et doit intégrer une dimension essentielle de justice sociale.
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[1] Ademe, Bilan des collectivités en tarification incitative au 1ᵉʳ janvier 2021, 2024
[2] Ademe, Tarification incitative et incivilités, 2024
[3] Ademe, Chiffres clés déchets 2023.