Retours d’expériences européens et français sur le tri à la source des biodéchets
Réunissant des intervenants européens et nationaux de premier plan, la journée d’étude LIFE BIOBEST a permis le partage des meilleures pratiques sur le tri à la source des biodéchets. Organisé les 13 et 14 mars, cet événement a mis en lumière des initiatives novatrices et des succès remarquables dans la gestion des biodéchets.
État des lieux du tri à la source des biodéchets en Europe
Actuellement dans l’Union européenne, ce sont près de 2,2 milliards de tonnes de déchets qui sont générés chaque année. Plus d’un quart de ces déchets sont des déchets municipaux, principalement générés par les ménages. Parmi ces déchets, ce sont entre 118 et 138 millions de tonnes de biodéchets qui sont générés chaque année.À la lumière de la directive-cadre de l’UE sur les déchets, les États membres sont tenus de trier séparément les biodéchets depuis le 1er janvier 2024. Cependant, suite à une évaluation qui marque les 100 jours de l’entrée en vigueur de l’obligation de tri à la source des biodéchets dans l’UE, ce sont moins il a été constaté que moins de 40 millions de tonnes de ces biodéchets qui sont collectées et traitées, soit à peine 18%.
Bien que ces résultats suscitent des inquiétudes, la bonne nouvelle est que l’Europe dispose déjà de nombreuses bonnes pratiques en matière de gestion locale des biodéchets. Ces pratiques doivent être promues auprès des autorités locales et nationales qui n’ont pas encore pleinement adopté les mesures nécessaires en matière de collecte, de traitement, répondant ainsi à un besoin urgent de sensibilisation et d’action. Afin de répondre à ce besoin, cinq organisations européennes expertes du sujet (ENT foundation, Consorzio Italiano Compostatori, Zero Waste Europe, ACR+ et European Compost Network) ont initié le projet LIFE BIOBEST (financé par le programme LIFE de l’Union Européenne).
Dans le cadre de ce projet, un événement s’est déroulé à Lyon les 13 et 14 mars derniers pour partager les expériences de divers représentants européens concernant leurs systèmes de tri à la source des biodéchets. Alors que la première journée était consacrée aux retours d’expérience, la matinée du 14 était réservée à la présentation des progrès réalisés par la Métropole de Lyon dans le développement des points d’apport volontaire, suivie d’une visite sur le terrain chez Les Alchimistes, une entreprise de l’ESS dont la mission est de collecter les déchets alimentaires, puis produire et distribuer le compost.
Les pratiques européennes à retenir et répliquer
Pour développer efficacement le tri à la source des biodéchets dans son territoire, plusieurs territoires pionniers ont développé des bonnes pratiques qui ont été présentées durant l’évènement des 13 et 14 mars.
Le succès de la collecte en porte-à-porte à Milan
La ville de Milan est un exemple du genre, montrant qu’il est possible de mettre en place un système de collecte en porte-à-porte dans une métropole européenne de 1,4 millions d’habitant·es, dont près de 80% vivent en immeubles de grandes tailles. Simone Orsi, expert en communication environnementale chez Amsa Gruppo A2A, a partagé pendant l’événement l’expérience de Milan, qui célèbre cette année ses 10 ans de collecte séparée. Selon Simone, certains facteurs sont fondamentaux pour obtenir un système de collecte efficace comme la distribution gratuite de bioseaux, une fréquence de collecte des biodéchets bihebdomadaire pour collecter les biodéchets, l’utilisation de sacs compostables ainsi que la mise en place de campagnes de sensibilisation efficaces. Aujourd’hui, la ville de Milan affiche des résultats probants: 100% de la population milanaise est couverte par la collecte en porte à porte des biodéchets, avec près de 103 kg de déchets alimentaires collectés par habitant chaque année. Selon les dernières estimations, se serait donc près de 87,5 % du total des biodéchets produits par la ville qui sont aujourd’hui déviés des ordures ménagères et valorisés.
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La législation ambitieuse de la Catalogne
Mettre en place le tri à la source des biodéchets et obtenir des résultats nécessite une volonté politique forte et un arsenal juridique qui va dans le bon sens. C’est sur ce point qu’a insisté Josep Maria Tost, ancien Directeur Général de l’Agence catalane des déchets (ARC). Au niveau régional, l’ARC joue un rôle central dans la supervision, la promotion et l’amélioration de la collecte des biodéchets dans les 940 municipalités catalanes. En effet, en Catalogne, il y a un basculement en 1993 avec la promulgation de la loi 6/1993 sur les déchets, qui a rendu obligatoire le tri des biodéchets dans les municipalités de plus de 5 000 habitants. Plus tard, la « loi 9/2008 du 10 juillet », modifiant la « loi 6/1993 du 15 juillet », a étendu cette obligation à toutes les villes et à tous les villages de Catalogne.. Le deuxième point de bascule est arrivé grâce à la mise en place d’instruments juridiques permettant notamment le financement des infrastructures et la mise en œuvre de taxes élevées sur l’élimination. En 2023 ce sont près de 410 000 tonnes de biodéchets qui ont ainsi pu être valorisés.
Sur le sujet des incitations, la Catalogne a décidé d’allouer des ressources financières importantes pour développer un modèle durable de tri à la source des biodéchets. L’ARC a investi 1.200 millions d’euros entre 2004 et 2024 dans des infrastructures de gestion des déchets et a en parallèle soutenu les collectivités locales à hauteur de 340 millions d’euros sur cette période. Une taxe a été instaurée sur la décharge et l’incinération. Les collectivités doivent désormais payer une taxe de 65,30 €/T 2023 (décharge publique) et une taxe de 32,70 €/T 2023 (incinérateur). Une partie de ces deux taxes est allouée au traitement des biodéchets (34 €/T) et à la collecte des biodéchets (10 €/T).Ce système permet à la fois de récompenser les collectivités qui mettent en place des solutions de collecte et de traitement, et de pénaliser celles qui envoient le plus de tonnages en incinération ou en décharge.
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Des stratégies de communication innovantes en Allemagne
Parmi les autres facteurs de succès, les intervenant.es ont bien évidemment cité la communication et la sensibilisation, permettant d’embarquer la population dans la démarche et de leur partager le plus d’informations possibles.
Katharina Schulenborg, responsable des relations publiques chez Entorgungsgesellschaft Westmünsterland (société municipale du district de Borken qui est responsable du recyclage et de l’élimination des déchets depuis 1994) à Kreis Borken en Allemagne a présenté différentes pratiques mise en oeuvre afin de lutter contre la présence d’impuretés dans les biodéchets, et d’autres permettant d’améliorer les performances générale de collecte. A Borken, plus de 90 % des ménages disposent d’une poubelle pour les biodéchets (pour les déchets alimentaires et les déchets verts), collectés en porte à porte. Le service de déchets verts est gratuit dans les centres de recyclage locaux de chaque municipalité. La proportion de biodéchets dans les déchets résiduels a varié entre 8 et 19 % dans des analyses récentes portant sur 6 municipalités. Cela correspond à une moyenne de 5 à 13 kg par habitant et par an.
Grâce au lancement d’une intense campagne de communication auprès des usagers et à l’exécution de contrôles visuels réguliers du contenu des bacs marrons, soutenus par un système de pénalité en cas de dépôts incorrects, la qualité des biodéchets collectés a progressé de manière sensible. En effet, la collectivité a décidé de développer une application destinée à identifier et localiser les bacs à biodéchets contenant des impuretés. La documentation des poubelles est réalisée par un inspecteur à l’aide de coordonnées GPS et de photos. Les employés administratifs obtiennent des informations en temps réel pour la gestion des plaintes et l’ouverture de dossiers. Les étiquettes de la poubelle contiennent des informations sur le type d’impuretés trouvées dans la poubelle. Par ailleurs, les bacs qui contiennent des impuretés de façon répétée, reçoivent des autocollants rouges.
Ce système de contrôle a permis de diminuer considérablement la quantité d’impuretés visuellement identifiables de 61 %, soulignant la nécessité d’effectuer des contrôles fréquents.
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La prise en compte du tourisme en Croatie
De façon générale, si les habitant.es d’une commune sont plutôt informé.es, des pratiques de tri des biodéchets, c’est rarement le cas des touristes venant dans la commune pour une courte durée. Sur l’île de Krk en Croatie, une solution a été trouvée pour y remédier. Tous les ménages de l’ile, qu’ils soient permanents ou de passages, sont équipés de 5 bacs : poubelle marron pour les biodéchets, bac vert pour le résiduel, poubelle jaune pour le plastique et le métal, poubelle bleue pour le papier et le carton et enfin une poubelle grise pour le verre. Il y a une signalétique dans tous les logements en 5 langues différentes pour expliquer le système de tri. Par ailleurs, une patrouille écologique est présente dans les rues tous les jours pour aider les utilisateur·ices en leur donnant des conseils et des informations sur le système de collecte des déchets en porte-à-porte. Une distribution gratuite de compost est également effectuée chaque année auprès des habitant·es.
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En France, où en est-on ?
En France, l’obligation est entrée en vigueur au 1er janvier 2024 et l’objectif affiché était de couvrir 27 millions de Français.es en 2024. Seulement, comme le souligne Stéphane Duru, responsable du pôle déchets à AMORCE, au 1er janvier 2024, ce n’est qu’un tiers de la population qui a accès à une solution de tri à la source de ses biodéchets. Le tri à la source des biodéchets pourrait par ailleurs coûter selon lui aux collectivités locales, jusqu’à 700 millions €/an sur 5 ans. Pour y parvenir, la pérennisation des aides publiques aux collectivités est indispensable, et l’enveloppe devrait selon AMORCE atteindre 450 millions d’euros par an sur 5 ans contre 100 millions actuellement.
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Dans l’optique de généraliser le tri à la source des biodéchets, l’un des aspects importants soulevés durant cet évènement a été la pluralité et la complémentarité des solutions. Les collectivités sont en première ligne pour permettre la généralisation du tri à la source, et doivent proposer à leurs habitant·es des solutions adaptées aux différentes typologies d’habitat, et dimensionnées au nombre et à la densité de population.
Tandis que la communauté d’agglomération de Lorient a fait le choix d’un système en porte-à-porte, la communauté de communes du Pays Voironnais a mis en place à la fois du porte-à-porte et du point d’apport volontaire, là où le SMICTOM Alsace Centrale a choisi de ne faire que du point d’apport volontaire. Grenoble Alpes Métropole est aussi un exemple, avec le choix de développer la collecte en porte-à-porte pour l’habitat collectif, des composteurs partagés pour les zones plus urbaines et une collecte en point d’apport volontaire pour les zones qui le demandent. La complémentarité des solutions et l’adaptation aux différents habitats du territoire est donc essentielle.
L’exemple du Grand Chambéry
Marie Bénévise, Présidente de Savoie Déchets et Vice-Présidente en charge de la gestion des déchets du Grand Chambéry, a partagé les solutions innovantes mises en place par la communauté d’agglomération du Grand Chambéry. Pour rappel, le Grand Chambéry est un territoire hétérogène de 38 communes pour environ 140 000 habitant·es : zones urbaines plus ou moins denses, pavillonnaires, rurales, touristiques (centre historique Chambéry et stations de ski) avec donc de nombreux défis à relever. Après une expérimentation d’un an, la collectivité a décidé de l’installation de composteurs grutables (collectables par camion grues) en parallèle au déploiement du compostage partagé. Concrètement, les habitant·es déposent leurs biodéchets dans une borne où un stock de matières sèches est mis à disposition, dans l’objectif de ne collecter les composteurs qu’une fois par mois. Le Grand Chambéry a par ailleurs déployé le compostage partagé depuis 2011 en partenariat avec la SCOP Les Épigées pour favoriser la gestion domestique et collective du compost.
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L’exemple de Grenoble Alpes Métropole
Lionel Coiffard, vice-président de Grenoble Alpes Métropole, et Véronique Berger, cheffe de projet du déploiement du tri des déchets alimentaires, ont également présenté les efforts de Grenoble Alpes Métropole dans la gestion durable des biodéchets. Il faut le rappeler : trier ses biodéchets à la source, c’est avant tout un gain économique. Selon Grenoble Alpes Métropole, il y a un effet majeur du Schéma directeur 2020-2030 avec l’incinération qui a été revue à la baisse en parallèle de l’ouverture d’un méthaniseur. La collectivité a ainsi réalisé un calcul économique : moins de déchets à incinérer représente une économie de 1 million d’euros, tandis que la production de gaz en méthaniseur permet de générer 1 million d’euros, en complément des plateformes de compostage qui produisent pour l’agriculture maraîchère.
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Recommandations de Zero Waste France
Cet événement a permis de recueillir des témoignages riches en solutions et exemples éclairants à l’échelle européenne qui ont prouvé qu’un tri à la source efficace des biodéchets était possible, et ce, dans n’ importe quel contexte – qu’il soit urbain, rural ou touristique. Il est désormais temps de passer à l’action pour un déploiement du tri à la source des biodéchets à grande échelle dans toutes les collectivités. Pour Zero Waste France, cela implique :
- L’établissement d’un plan dédié
- La promotion de la complémentarité des solutions
- La définition d’objectifs quantitatifs de détournement
- La réalisation d’études de caractérisation
- Une communication continue sur les actions engagées
L’État doit également assumer pleinement son rôle en accompagnant concrètement les collectivités dans cette démarche. L’enjeu pour la France est désormais de rattraper son retard.