Préservation des ressources, réduction des déchets : pourquoi nous avons besoin d’une Europe ambitieuse
C’est généralement aux amendements d’eurodéputé·e auxquels on doit l’insertion de dispositions plus ambitieuses et protectrices de l’environnement dans les législations européennes. Il est donc primordial d’aller voter aux élections du 9 juin.
Aux origines du droit des déchets
L’Union européenne est à l’origine même du développement du droit des déchets en France. La Directive européenne relative aux déchets du 15 juillet 1975 fonde ce droit sur le principe pollueur-payeur, au terme duquel les producteurs sont responsables de la fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché, et doivent à ce titre permettre de financer le coût de la gestion et du traitement des déchets.
L’existence d’une hiérarchie des modes de traitement des déchets est également issue du droit européen. Consacrée à l’article 541-1 du Code de l’environnement, elle irrigue tout notre droit des déchets : la prévention des déchets doit être priorisée, dans l’ordre, sur le réemploi, la valorisation matière (recyclage, retour des déchets alimentaires et déchets verts à la terre), la valorisation énergétique et l’élimination.
La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 a permis de transposer plusieurs directives européennes, relatives aux plastiques à usage unique, à la responsabilité des producteurs et au traitement des déchets. Si cette loi a été l’occasion d’aller plus loin sur beaucoup de sujets, la succession de textes relatifs aux déchets et en faveur de plus de circularité au niveau européen, a permis de susciter un élan en faveur d’une loi ambitieuse.
Rappel sur le fonctionnement des institutions européennes
C’est la Commission européenne (composée d’un commissaire de chaque État membre) qui a principalement le pouvoir d’initiative des textes de loi dans les domaines de compétence de l’Union. Le Parlement amende, avec le Conseil, les textes proposés par la Commission ; le Conseil (réunissant les chefs d’État et de gouvernement) se prononce toutefois après le Parlement. C’est généralement aux amendements des eurodéputé·es, représentatif·ves de tous les bords politiques, auxquels on doit l’insertion de dispositions plus ambitieuses et protectrices de l’environnement.
L’Union légifère en adoptant des règlements, des textes dont le contenu s’impose directement aux États-membres ; ainsi que des directives, des textes plus souples, qui doivent être intégrés en droit interne via le processus législatif national, et qui laissent une certaine marge de manœuvre aux États au moment de la transposition.
2014-2019 : accroître la responsabilité des producteurs et lutter contre la pollution plastique des écosystèmes
Le renforcement de la responsabilité des producteurs (REP) dès la conception des produits
La mandature 2014-2019 a été particulièrement prolifique pour le droit des déchets. Une série de directives a notamment été adoptée en 2018 [1] , dont un texte visant à approfondir le régime des filières relevant de la REP. Cette directive constitue une avancée significative : la responsabilité des producteurs ne doit plus être cantonnée à la fin de vie de leurs produits. Le texte invite les États membres à prendre des mesures visant la mise sur le marché de “produits à usages multiples, contenant des matériaux recyclés, techniquement durables et facilement réparables et qui (…) se prêtent à la préparation en vue du réemploi et au recyclage, afin de faciliter la bonne mise en œuvre de la hiérarchie des déchets”.
Plus précisément, il résulte du texte que les contributions financières des entreprises à la gestion des déchets peuvent être modulées selon l’impact environnemental de leurs produits, en tenant compte toujours de “la durabilité, de la réparabilité, des possibilités de réemploi et de la recyclabilité de ceux-ci ainsi que de la présence de substances dangereuses”. Autrement dit, l’objectif est de pénaliser les entreprises qui mettent sur le marché des produits toxiques et polluants et d’inciter à la commercialisation de produits plus vertueux.
En transposant la directive, la loi AGEC est allée plus loin : 11 nouvelles filières REP ont été créées – certaines d’entres elles résultent cependant directement du droit de l’UE [2] – et les obligations des metteurs en marché ont été renforcées, avec par exemple, l’obligation de contribuer à des fonds de réemploi et de réparation afin de financer les alternatives à l’usage unique et à la consommation de produits neufs. La directive a également permis de faire une place à la société civile au sein des instances de gouvernance qui assurent le suivi du fonctionnement des différentes filières.
Plus généralement, le texte invite les États à prendre un socle de mesures minimales afin de réduire leur production de déchets : encourager la fabrication de produits durables, le réemploi et la réparation, la disponibilité des pièces détachés, les dons alimentaires pour éviter le gaspillage ; autant d’incitations qui se sont traduites par des mesures concrètes au travers de la loi AGEC.
Nota bene : c’est cette même directive qui a accéléré le déploiement du tri à la source des biodéchets en appelant les États à mettre en place le tri ou la collecte séparée des biodéchets au 31 décembre 2023.
Un premier pas vers l’interdiction des plastiques à usage unique
La fin de la mandature avait surtout été marquée par l’adoption d’une Directive [3] sur les plastiques à usage unique (Single Use Plastics – SUP). C’est la prise de conscience d’une pollution plastique grandissante dans les milieux marins qui a encouragé à limiter la mise en marché de produits en plastique à usage unique. Pour cause : 80 à 85% des déchets sauvages dans les milieux marins de l’Union sont en plastique. Ce texte était très attendu par Zero Waste France dans un contexte où la France, pionnière sur le plastique en 2015 avec l’adoption d’une première série d’interdictions [4], n’avait pas beaucoup progressé depuis.
Ainsi, la Directive SUP a permis d’interdire au sein des États membres un certain nombre de produits en plastique à usage unique comme les couverts, les assiettes, les pailles, le plastique oxo fragmentable [5], ainsi que les contenants en polystyrène expansé, fléau des milieux marins en raison de la forte dispersion de ce matériau. La Directive encourage également les États à prendre des mesures ambitieuses pour réduire certains produits en plastique, comme les gobelets et les récipients alimentaires [6].
Là encore, la transposition de cette directive en droit interne via la loi AGEC a permis d’aller plus loin :
- en prévoyant un plus grand nombre d’interdictions sur les plastiques à usage unique, comme la fin de la vente des fruits et légumes frais sous emballages composés en partie de plastique ;
- en fixant des objectifs et des trajectoires de déplastification : fin des emballages plastiques à usage unique d’ici 2040, réduction de 20% d’ici 2020, division par deux du nombre de bouteilles en plastiques mises sur le marché d’ici 2030 ;
- en allant au-delà de la réglementation de l’usage unique, avec des mesures visant à limiter les pollutions issues du processus de fabrication du plastique, les sites de production et de transport de granulés de plastique devant désormais être équipés pour prévenir les pertes et fuites dans l’environnement, entre autres.
2019-2024 : restrictions sur les emballages à usages uniques et promotion des produits éco-conçus
Vers la fin des emballages à usage unique ?
Le règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages [7] illustre la nécessité d’avoir des règles ambitieuses harmonisées au sein des États membres, et révèle parfaitement ce qui se joue au sein des institutions européennes, dont au Parlement.
Fin 2022, dans le cadre du Pacte Vert [8], la Commission avait dévoilé une proposition de règlement dont l’objectif était de poser de nouvelles exigences en matière de collecte, recyclage et de réemploi des déchets d’emballages. Le texte initial visait à fixer un objectif de réduction sur les déchets d’emballages par habitant, de 37%, d’ici à 2040. Le Parlement européen avait cependant voté sur une version du texte comprenant un objectif de réduction distinct sur les emballages plastiques, le plastique risquant sinon d’être favorisé, eu égard à sa légèreté, les objectifs étant calculés en poids plutôt qu’en unités. Le texte est toutefois ressorti affaibli du Trilogue, en prévoyant seulement que les États membres doivent “s’efforcer” de réduire le plastique.
S’agissant de l’interdiction de certains emballages, les lobbies n’ont pas hésité à remettre en cause certains acquis français comme l’interdiction de vente des fruits et légumes frais non transformés sous emballage composé en partie de plastique, ou encore l’interdiction pour les établissements de restauration de servir leur clientèle consommant sur place dans de la vaisselle et des emballages à usage unique, quel que soit le matériau utilisé. La position de certains parlementaires a conduit à la suppression de ces emballages de la liste des produits à interdire. La version finale du texte consacre toutefois la possibilité pour les États membres de conserver leurs acquis.
Outre les interdictions, le texte était surtout attendu sur l’instauration d’objectifs de réemploi dans l’ensemble des secteurs. Or, le texte est truffé de dérogations, qui font du réemploi une exception, plutôt qu’un principe. Pourtant, seul le développement d’alternatives aux emballages jetables permettra un changement de paradigme.
Plusieurs textes ont également été adoptés durant la dernière mandature pour limiter la pollution plastique. En 2020, l’Union européenne a notamment adopté un règlement visant à modifier ses règles en vigueur sur le transfert des déchets, conformément à la convention de Bâle que ledit règlement permettait d’intégrer dans le droit de l’Union. Il en résulte notamment que :
- depuis le 1er janvier 2021, les pays de l’Union ne peuvent plus envoyer leurs déchets plastiques impropres au recyclage dans les pays extérieurs à l’OCDE ;
- S’agissant des transferts de déchets entre les pays membres de l’UE et de l’OCDE, l’accord du pays destinataire doit désormais être systématiquement requis avant importation pour les déchets plastiques contaminés, en mélange ou présentant un danger.
Un règlement du 27 février dernier va plus loin, en prohibant l’exportation de déchets plastiques non dangereux vers des pays non membres de l’OCDE. Des règles plus contraignantes sont également imposées entre les Etats membres, comme l’interdiction d’exporter des déchets destinées à l’élimination (sauf circonstances exceptionnelles).
L’allongement de la durée de vie des produits, un levier essentiel pour réduire la pression sur les ressources et les déchets
Deux textes majeurs ont également été adoptés lors de la dernière session du Parlement qui vise à sortir d’une logique du tout-jetable. Tout d’abord, la directive sur le droit à la réparation [11], oblige les Etats membre à introduire dans leur arsenal juridique, au moins une mesure visant à inciter les consommateur·ices à se tourner vers la réparation (mise en place de fonds réparation par exemple pour financer la réparation des biens détenus par les consommateur·ices, ou TVA réduite sur les actes de réparation). Elle prohibe le recours à des pratiques logicielles empêchant le recours à des pièces génériques, les pièces détachées devant par ailleurs être proposées à un “prix raisonnable” de manière à ne pas faire obstacle à la réparation. Enfin, en cas de réparation d’un produit dans le cadre de la garantie légale, celle-ci doit être prolongée d’une année.
Ensuite, le règlement européen sur l’éco-conception [12] a été définitivement adopté le 27 mai dernier. Le texte vise à établir des garanties minimales sur l’éco-conception de tous les produits : concrètement, assurer que l’ensemble des produits mis sur le marché européen répondent à des normes de durabilité. L’objectif principal était d’étendre le champ d’application de l’ancienne directive, qui ne visait que les produits énergétiques (comme l’équipement électroménager). Il concerne désormais tous types de produits (avec des exceptions).
Le texte fixe un cadre général ; il reviendra à la Commission, par le biais d’acte délégués [13], d’adopter des critères [14] sur chaque catégorie de produit. Le Parlement a obtenu l’introduction d’une liste de catégories à traiter en priorité, en raison de leur fort impact environnemental comme les produits textiles ou les éléments d’ameublement. Lors de l’élaboration des critères d’éco-conception, la Commission devra s’assurer que les fabricants n’ont pas recours à des pratiques relevant de l’obsolescence programmée.
Le texte contient surtout une mesure phare sur l’interdiction de la destruction des produits textiles et chaussures invendus, et autorise la Commission à introduire une interdiction similaire sur les autres catégories de produits invendus.
Que dit le droit interne ?
La loi AGEC visait déjà à mettre un terme à cette pratique. Or, à l’exception des produits d’hygiène et de puériculture, la loi n’exclut pas la possibilité de recycler les autres produits non-alimentaires invendus, là où il s’agirait uniquement d’autoriser le réemploi.
Pour une vraie économie circulaire : la nécessité d’une Europe ambitieuse
La route est toujours longue. Aujourd’hui encore, une vision économique des déchets prédomine, ceux-ci étant principalement perçus comme une ressource valorisable, sous forme de matière ou d’énergie, là où la priorité devrait être à la réduction. Malgré la reconnaissance de la nocivité des plastiques, qui s’accumulent dans l’environnement avec des effets catastrophiques sur les écosystèmes et le corps humain, le focus sur le recyclage continue à éclipser les alternatives à l’usage unique.
La réglementation doit aller plus loin, pour soutenir le développement d’une économie réellement circulaire, fondée sur le réemploi et la réparation, et qui se passe de substances toxiques et de produits jetables. Des règles toujours plus strictes sur l’exportation des déchets hors de nos frontières permettraient de responsabiliser les États sur leur production de déchets et les inciter à les réduire.
Alors que la planète fait face à une triple crise environnementale, nous ne pouvons plus continuer à gaspiller les ressources pour fabriquer toujours plus de produits qui finiront à la poubelle. Aller voter aux élections européennes du 9 juin pour des listes engagées en faveur de la justice environnementale et sociale, c’est se donner les moyens de changer la donne.
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[1] Directive (UE) 2018/850 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets ; Directive (UE) 2018/851 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets ; Directive (UE) 2018/852 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d’emballages.
[2] La Directive « Single Use Plastics » ou « SUP » crée notamment les filières suivantes : produits du tabac, engins de pêches contenant du plastique et textiles sanitaires.
[3] Directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 Juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement (Directive « Single Use Plastics » ou SUP)
[4] Les sacs en plastique d’une épaisseur inférieure à 50 microns (0,05 millimètres), gobelets, verres et assiettes jetables “pour la table”, les produits compostables en compostage domestique et constitués en tout ou partie de plastique biosourcé sont toutefois exemptés de l’interdiction, ainsi que les sacs et emballages plastiques composés en tout ou partie de plastique oxofragmentable (ou « oxodégradable »).
[5] L’article 3 de la Directive « SUP » définit le plastique oxofragmentable comme des « matières plastiques renfermant des additifs qui, sous l’effet de l’oxydation conduisent à la fragmentation de la matière plastique en micro-fragments ou à une décomposition chimique ».
[6] Dans une décision du 26 avril 2024 (req. n° 458966), le Conseil d’État a validé l’interdiction progressive de la présence de plastique dans les gobelets. Depuis 2024, les gobelets ne peuvent pas être composés de plus de 8 % de plastique.
[7] Version provisoire du texte arrêté le 4 mars dernier.
[8] Le Pacte vert (Green Deal), décliné dans divers stratégies et plans d’actions, constitue la feuille de route de la Commission européenne en matière environnementale, et vise notamment la neutralité climatique de l’Union d’ici 2050.
[9] Règlement délégué (UE) 2020/2174 de la Commission du 19 octobre 2020 modifiant les annexes I C, III, III A, IV, V, VII et VIII du règlement (CE) no 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant les transferts de déchets.
[10] Parlement Européen, Communiqué de Presse du 27 février 2024, « Transferts de déchets: les députés adoptent des règles plus strictes ».
[11] Parlement Européen, Communiqué de Presse du 23 avril 2024, « Rendre la réparation plus simple et plus intéressante pour les consommateurs ».
[12] European Parliament, Briefing. EU Legislation in progress, « Ecodesign for sustainable products » ; Parlement Européen, « Règles d’écoconception: garantir des produits durables dans l’UE », article du 5 juillet 2023 mis à jour le 26 avril 2024.
[13] Après l’adoption d’un acte législatif de l’UE, il peut être nécessaire de le mettre à jour pour tenir compte de l’évolution d’un secteur particulier ou pour garantir une mise en œuvre adéquate. Pour ce faire, le Parlement et le Conseil peuvent habiliter la Commission à adopter, respectivement, des actes délégués ou des actes d’exécution (source : Commission européenne).
[14] Il peut s’agir de la durabilité, la fiabilité, la possibilité de réemploi et d’amélioration, la réparabilité, la possibilité d’entretien et de reconditionnement, la présence de substances préoccupantes, l’efficacité énergétique et l’efficacité des ressources, le contenu recyclé, la recyclabilité, l’empreinte carbone et environnementale.