14 avril 2021
Pauline Debrabandere

La tarification incitative, un outil clé pour une politique ambitieuse de prévention

L’Ademe a publié en mars 2020 une synthèse du projet de recherche TI AMO (“Tarification incitative : acteurs, modalités et obstacles”), ayant pour objectif de mieux comprendre les enjeux du déploiement de la tarification incitative en France. Zero Waste France revient sur les principaux enseignements de ce projet.

Crédits Pauline Debrabandere
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Une “incitation” qui modifie le rapport des usagers à leur service public

La tarification incitative désigne les dispositifs de facturation de la gestion des déchets où le montant de la facture varie en fonction de la quantité de déchets produite par chaque habitant.e. Ce système repose sur l’introduction dans la facturation d’une part variable, dite “incitative” car elle a pour objectif d’inciter les citoyen·nes à réduire leur production de déchets (permettant ainsi de réduire le montant de cette facturation).

L’idée d’incitation implique une forme de responsabilisation des usager·ères : il s’agit de les pousser à respecter les consignes de tri à la source, voire à “corriger” des pratiques jugées inappropriées. L’incitation induit également une forme d’individualisation du service public de gestion des déchets, ce que cherchent parfois à éviter certain·es élu·es locaux. Pour compenser cette perception, l’étude TI AMO [1] recommande aux collectivités de développer, en parallèle de la facturation individuelle, des dimensions collectives à la démarche : retour d’information à l’échelle du quartier, etc.

Si la tarification incitative cherche à appliquer un principe d’égalité devant les charges, dans les faits, les situations sont plus complexes. Suivant ses modalités et le type de tarification (redevance ou TEOM, voir encadré plus bas), le passage à la TI peut avoir des impacts pour certains publics (familles nombreuses produisant inévitablement plus de déchets, personne seule dans une grande maison et donc assujettie à une taxe foncière élevée…). La question de l’équité entre ménages et professionnels contribuant au service public de gestion des déchets se pose également (quelle contribution des professionnels au service ?). Différentes représentations de l’équité peuvent ainsi s’affronter, c’est pourquoi l’une des recommandations de l’étude est de permettre aux collectivités d’inclure des critères sociaux dans l’élaboration de leurs grilles tarifaires (ce qui est pour l’heure actuelle contraire au principe d’égalité devant la loi).

TEOM, REOM, de quoi parle-t-on ?

Historiquement, il existe en France deux systèmes de facturation des déchets :

  • la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), système le plus répandu, qui repose sur la valeur foncière de l’habitat (taxe foncière). Elle est prélevée une fois par an par le Trésor public auprès des propriétaires de logement et n’a donc aucun lien avec la quantité de déchets produite par les ménages.
  • la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM), qui est directement gérée par la collectivité locale en charge de la gestion des déchets, et qui à l’inverse repose sur la facturation de l’ensemble des coûts du service rendu.

Ces deux systèmes peuvent évoluer vers une version incitative, avec d’un côté une part fixe, et de l’autre une part variable (selon le poids et / ou le volume de déchets produits). Pour la TEOM incitative, il s’agit d’une cogestion entre la collectivité (pour la part variable) et le Trésor public (pour la part fixe, toujours facturée une fois par an auprès des propriétaires des logements, qui ne sont pas toujours les habitant‧e‧s produisant les déchets).

Une mesure d’autant plus efficace si elle est combinée avec d’autres mesures de réduction

Comme le rappelle l’étude TI AMO, la littérature scientifique est unanime sur les résultats de la tarification incitative : celle-ci a pour effet de diminuer les ordures ménagères résiduelles (OMR) et d’augmenter le tri. Selon une autre étude de l’Ademe [2], en 2015, près de la moitié des collectivités qui sont passées en tarification incitative ont connu une réduction des OMR comprise entre 30 % et 50 %.

Au regard de l’ensemble des déchets gérés par les collectivités locales (les déchets ménagers et assimilés, DMA), les effets, s’ils sont moins importants, restent visibles : l’ADEME a ainsi observé que 88 % des collectivités ayant mis en place la tarification incitative (sur un échantillon de 75 collectivités) avaient vu leur production de DMA diminuer. En moyenne, selon l’étude du Commissariat général au développement durable [3], la collecte de l’ensemble des DMA recule de 50 kg par habitant l’année suivant la mise en place de la tarification incitative.

Au-delà de ces effets sur la réduction des OMR et l’augmentation du tri, l’étude TI AMO revient toutefois sur la difficulté à prouver que la TI puisse engendrer des changements significatifs en termes de consommation (inciter à des achats sans emballages, par exemple). C’est pourquoi elle insiste particulièrement sur la nécessité de concevoir la tarification incitative comme un outil complémentaire mais non substituable à d’autres mesures visant à faire évoluer plus profondément les comportements de consommation (rendre accessibles des alternatives, comme le réemploi, mettre en oeuvre des actions de sensibilisation, mieux afficher le coût environnemental d’un produit…).

C’est pour Zero Waste France l’élément central à garder en tête : comme le montrait déjà l’étude des territoires pionniers de la réduction des déchets, publiée par l’Ademe en 2020, la TI est un élément incontournable d’une politique de prévention efficace, mais est d’autant plus efficace lorsqu’elle est combinée à une stratégie plus large, prenant en compte les enjeux en termes de collecte et de traitement. Les politiques publiques visant le compostage des déchets organiques, les mesures de prévention (soutien aux ressourceries, sensibilisation aux alternatives au jetable, soutien aux initiatives de réparation, vrac ou consigne…), ou encore la réduction des fréquences de collecte des déchets non recyclés, contribuent également fortement aux bonnes performances des territoires. Et c’est ce que l’Ademe observe [4] : c’est lorsque les programmes de prévention des déchets se doublent de la mise en place d’une tarification incitative qu’on observe une plus forte réduction des ordures ménagères et assimilés (-22 %).

Des modalités techniques importantes

L’étude TI AMO pointe également le fait que la TI cible uniquement (sauf quelques exceptions) le flux des ordures ménagères résiduelles (OMR), alors que l’enjeu est de réduire l’ensemble des quantités de déchets produits (y compris ceux triés). La TI envoie donc un signal contradictoire aux usagers sur les déchets de la collecte sélective et ceux des déchèteries, en ne facilitant pas la prise de conscience que la gestion de ceux-ci a également un coût élevé et des impacts environnementaux. C’est pourquoi, selon l’étude TI AMO, il est essentiel d’introduire sur ces autres flux un signal incitatif visant la prévention, et donc d’explorer de nouvelles formes de TI.

Les modalités techniques de mise en œuvre de la TI ont également des répercussions sur la manière dont le signal est perçu par les usager·ères. Ainsi, la pesée des déchets semble plus intuitive que la prise en compte du nombre de levées (compte tenu des effets de seuils et des levées forfaitaires incluses dans le tarif). La TI au poids (pesées) tend aussi à inciter davantage au tri des biodéchets (relativement lourds) tandis que la TI basée sur le volume (nombre de levées) attire davantage l’attention sur le tri des recyclables (plus légers mais volumineux).

Transparence et communication, les clés du succès de mise en oeuvre de la TI

L’étude TI AMO insiste également sur les enjeux de communication pour faciliter le bon déroulement des projets de TI. L’une des remarques le plus souvent émises par les acteur·trices interrogé·es est que le passage à la TI “n’est pas quelque chose qui va de soi”, que ce soit pour les élu·es, les technicien·nes, les associations ou les usager·ères. La communication peut notamment contribuer à ce que ces changements ne soient pas vécus comme une réduction du service mais plutôt comme une évolution maîtrisée, voire proposant des améliorations (plus d’accompagnement à la prévention, un lien renforcé avec les usager·ères). Il est important de ne pas donner aux usager·ères l’impression que la TI  est un objectif en soi, mais mettre plutôt l’accent sur les effets attendus.

En amont, le fait d’assurer une concertation avec les usager·ères facilite également la mise en place des ces changements (au moment des études de faisabilité, pour prendre en compte leurs attentes et questionnements dans l’élaboration des modalités). L’étude TI AMO souligne qu’opter pour des grilles tarifaires les plus simples et lisibles possibles permet de limiter un grand nombre d’incompréhensions et de tensions.

L’étude recommande aussi de maintenir une communication dans le temps pour pérenniser les effets de la TI, via des bilans réguliers de l’évolution de la production de déchets sur le territoire, et la mise en place d’outils de retour d’information individualisé aux usager·ères. Ce retour d’information est un réel enjeu pour les territoires en TEOMI, qui, en tant que taxe, est facturée annuellement aux propriétaires fonciers et apparaît de manière très peu détaillée parmi les charges que payent les locataires. Il est donc essentiel que tous·tes les habitant·es puissent avoir accès à ce retour d’information sur les déchets, de façon régulière, pour prendre conscience de leur production et adapter leur consommation et gestes de tri en fonction.

Lire le rapport détaillé de l’étude

Zero Waste France salue les recommandations de l’étude TI AMO et insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des stratégies globales de réduction des déchets sur les territoires, dont fait partie la TI. A l’heure où le tri à la source des biodéchets devient incontournable pour les collectivités territoriales (car bientôt obligatoire, d’ici décembre 2023), la mise en œuvre de la TI doit justement devenir un outil complémentaire, incitant à davantage de réduction et de tri à la source, et doit s’inscrire dans une politique globale de prévention des déchets, fondée à la fois sur la sensibilisation des différents acteurs locaux, le soutien aux alternatives, et la planification de la fermeture de capacités de traitement (incinération et mise en décharge). Il est aussi important de rappeler que si les citoyen·nes ont un rôle à jouer, notamment via les changements de comportement, la réduction des déchets relève de l’ensemble des acteurs, locaux et nationaux : entreprises et metteurs sur le marché pour proposer des solutions de réemploi, consigne, vrac, et supprimer définitivement l’usage unique ; décideurs politiques, pour créer le cadre juridique nécessaire ; et collectivités territoriales, pour révolutionner la gestion locale des déchets.

[1] Zero Waste France a participé à la réalisation du projet de recherche TI AMO, en tant qu’expert au sein du comité de suivi de l’étude, en compagnie de chercheurs et universitaires de l’INRAE, du laboratoire S2HEP (Lyon 2) et du bureau d’étude ECOGEOS. Le projet a été coordonné par l’UMR Triangle (ENS Lyon) et supervisé par l’Ademe.

[2] Bilan des collectivités en tarification incitative au 1er janvier 2016, Ademe, 2018. Les chiffres de performance cités ici reposent sur un échantillon de 75 collectivités ayant mis en place la tarification incitative au 1er janvier 2015.

[3] Déchets ménagers : efficacité de la tarification incitative, Commissariat général au développement durable, septembre 2016, étude portant sur les collectivités ayant mis en place la tarification incitative en 2013. Étude citée dans les Chiffres clés 2020, Ademe.

[4] Coûts et performances des plans et programmes de prévention, Ademe, 2018, référentiel.

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