Tendances maison : un nouveau rapport dénonce les dérives de la fast-déco
Dans un nouveau rapport, Zero Waste France, le Réseau National des Ressourceries et Recycleries et les Amis de la Terre France pointent l’emballement de la production dans l’ameublement et la décoration. Les associations demandent aux ministres Bruno Le Maire et Christophe Béchu de prendre des mesures.
Un surinvestissement de la maison désastreux pour l’environnement
Entre 2017 et 2022, le nombre d’éléments d’ameublement mis sur le marché en France a augmenté de 88%, passant de 269 à 505 millions d’unités mises sur le marché. Le nombre de déchets d’éléments d’ameublement (DEA) collectés a quant à lui été multiplié par un peu plus de 2 entre 2014 et 2020, selon l’Ademe [1].
“Depuis les confinements liés au Covid, la maison a été surinvestie par ses habitant·es : lieu d’enfermement subi, mais aussi espace refuge, elle a été transformée et personnalisée de façon encore plus forte qu’auparavant”, analyse Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes de Zero Waste France. “Évidemment, les géants de la fast-fashion, de l’e-commerce et de la grande distribution, mais aussi les acteurs émergents du déstockage et du e-commerce, ont tout fait pour renforcer cette tendance afin d’en tirer un maximum de profit, avec des conséquences désastreuses pour la planète”.
Aujourd’hui, les éco-organismes dédiés collectent 1,3 million de tonnes de déchets d’ameublement [2], soit seulement 42% en tonnage des éléments mis sur le marché. Près de la moitié de ces déchets [3] collectés sont non-réutilisables, non-réparables et non recyclables. Ainsi, ils sont purement et simplement brûlés en incinérateur et en cimenterie, ou enfouis en décharge.
Fast-fashion, fast-déco : même combat
Au-delà des quantités astronomiques de meubles et d’éléments de décoration mis sur le marché, d’autres facteurs attestent de l’émergence d’un système de fast-déco reposant sur les mêmes pratiques que la fast-fashion : renouvellement rapide des collections, conditions de travail parfois contraires à la dignité humaine, dumping environnemental et social, prix très bas et promotions permanentes, utilisation des réseaux sociaux et “gamification”…
Aujourd’hui, une enseigne milieu de gamme comme Maisons du Monde commercialise chaque année 3 000 nouvelles références, parmi les 15 000 proposées [4]. De nouveaux acteurs, comme Shein et Action, ont fait irruption sur le marché de la déco low-cost, en s’appuyant sur des communautés très actives sur les réseaux sociaux, friandes de “hauls” et d’”unboxing” [5]. Résultat : 46 % des acheteur·ses de produits de décoration renouvellent au moins une fois par an des éléments de leur pièce à vivre [6].
“Face à une saturation de biens, le secteur de la décoration fait le choix d’accélérer son rythme de production vers des niveaux insoutenables pour la planète. Avec toujours le même objectif : donner envie en créant de toute pièce un besoin superficiel”, note Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre France. “A l’heure du dépassement des limites planétaires, il est urgent d’encadrer le secteur afin de limiter sa consommation démesurée de ressources.”
Le réemploi et la réparation, des alternatives qui ont besoin de soutien
Il existe des alternatives efficaces pour limiter l’impact des meubles et de la décoration, comme le réemploi et la réparation. Selon une estimation de RREUSE [7], réseau européen des entreprises sociales du réemploi, les activités de ses membres ont permis en 2022 de détourner environ 1 million de tonnes de marchandises et de matériaux de sites d’enfouissement où ils auraient dû finir leur vie, et d’étendre la durée de vie d’environ 214 500 tonnes d’objets grâce au réemploi. Cette activité compense ainsi chaque année les émissions annuelles de CO2 de plus de 108 000 citoyen·nes européen·nes.
Mais bien que le réemploi et la réparation soient légalement prioritaires sur le recyclage et l’incinération, ces activités restent marginales. Par exemple, le taux de meubles réemployés, parmi ceux collectés par les éco-organismes, est en baisse constante depuis 2017 et n’a jamais dépassé 3% [8].
En particulier, le réemploi des meubles se heurte à de nombreuses difficultés, du fait de la baisse de qualité des objets collectés, du manque de foncier pour gérer ce flux particulièrement consommateur d’espace, du risque de détérioration des objets pendant la collecte, mais aussi du manque de financement du réemploi et de la réparation.
“L’explosion de la production de meubles de faible qualité a des impacts très négatifs sur le taux de réemploi dans les Ressourceries et Recycleries”, déplore Catherine Mechkour Di Maria, Secrétaire générale du Réseau National des Ressourceries et Recycleries. “Plus de la moitié des meubles que nous recevons vont directement en benne pour recyclage, alors que celui-ci est non-prioritaire par rapport au réemploi. Quand on rajoute à cela le coût important du foncier pour le stockage et la vente dans cette filière, on débouche sur un problème structurel : le réemploi des meubles est complètement sous-financé en France”.
Les propositions des associations pour mettre la fast-déco au placard
Zero Waste France, Les Amis de la Terre France et le Réseau National des Ressourceries et Recycleries demandent des mesures contraignantes pour :
- réduire les quantités de meubles et éléments de décoration commercialisées en France, afin de respecter la limite de +1,5°C fixée par l’Accord de Paris.
- doubler les montants investis pour le développement du réemploi dans le secteur de l’ameublement et de la décoration, sous l’impulsion de l’Etat.
- soumettre les éléments de décoration au principe du pollueur-payeur à travers la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) dédiée, au même titre que les éléments d’ameublement.
- limiter et encadrer les pratiques marketing et la publicité incitant à la surconsommation.
- faire baisser le coût de la réparation des meubles et éléments de décoration sous le seuil psychologique de 33% du prix neuf, grâce à des aides adaptées (“bonus réparation”).
- interdire ou a minima mettre en place des pénalités fortement dissuasives dès 2025 pour les produits non recyclables ou fabriqués avec des ressources non gérées durablement, comme les fleurs en plastique.
Sources :
[1] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022.
[2] Ademe, Déchets chiffres-clés, 2023.
[3] Ademe, Éléments d’ameublement, données 2021, rapport publié en 2022.
[4] France 5, “Déco pour tous, l’envers du décor”, diffusé le 09/04/2024
[5] Exemple de vidéo d’unboxing d’objets de décoration sur TikTok
[6] Les Echos Études, Le marché de la décoration et de l’aménagement intérieur, août 2022.
[7] RREUSE, Activity report 2022
[8] Ademe, Tableau des filières REP