Modes de traitement des déchets et climat : le biais de la comptabilité des gaz à effet de serre

Entre impacts indirects des déchets et impacts non comptabilisés, faisons le point sur le véritable impact climatique des déchets

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Les bilans climatiques des modes de traitement des déchets effectués selon la méthode ACV (Analyse du Cycle de Vie) ont de quoi surprendre. Alors que l’incinération des matières organiques est parfois considérée comme ayant impact climatique positif, les bénéfices climatiques du compost sont, quant à eux, souvent sous-estimés.

D’une part, seule une partie des émissions de CO2 issues de l’incinération, déterminée sur la base de données incertaines, est comptabilisée et, d’autre part, les émissions indirectes de l’incinération, et à l’inverse celles évitées par le compost et le stockage du carbone dans le sol qu’il permet ne sont pas pris en compte. Ces biais influencent les choix politiques en matière de gestion des déchets.

Accédez au schéma synthétique en taille réelle.

Les émissions de CO2 d’origine biogénique écartées

Le fait qu’incinérer des déchets ait parfois, selon la méthode ACV, un impact climatique bénéfique s’explique par les méthodes de comptabilisation internationales des émissions de CO2. Seule environ la moitié des émissions de CO2 issues de l’oxydation[1] du carbone contenu dans les déchets lors de l’incinération sont comptabilisées.

En effet, selon les lignes directrices du GIEC (ndlr Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) seules les émissions de CO2 provenant de l’oxydation du carbone des déchets d’origine fossile (plastiques, tissus synthétiques…) sont considérées comme des émissions nettes et doivent donc être incluses dans les estimations des émissions nationales de CO2. Les émissions de CO2 provenant de matériaux de biomasse (déchets alimentaires, bois, papier) sont des émissions biogènes[2] et ne sont pas incorporées aux estimations.

L’explication se trouve dans le cycle du carbone.  Le carbone issu des matières plastiques et synthétiques est d’origine fossile car l’homme est allé l’extraire des réserves formées dans la lithosphère qui avaient mis des millions d’années à se constituer. Etant donné la faiblesse et la lenteur des échanges entre l’atmosphère et les réservoirs fossiles, le retour vers la lithosphère de ce carbone est impossible, le carbone fossile est quasiment définitivement piégé. Il perturbe ainsi le cycle court et contribue au dérèglement climatique. En revanche, dans le cas des déchets de biomasse, le carbone provient du CO2 de l’atmosphère assimilé par les végétaux via la photosynthèse. Lorsque l’on brûle cette biomasse, le carbone émis dans l’atmosphère réintègre le cycle naturel du carbone (échanges biosphère-atmosphère). Ce CO2 s’inscrivant dans le cycle court du carbone, ses émissions sont considérées comme compensées par une assimilation préalable.

L’interprétation littérale de cette ligne directrice aboutit à la situation paradoxale où brûler des matières organiques est réputé “neutre pour le climat”. Il en va de même pour les émissions de CO2 issues de la décomposition des déchets en décharge et du brûlage à la torche.

S’ajoute à cela le fait que la chaleur qui se dégage de la combustion peut être valorisée sous forme de vapeur utilisable dans un réseau de chaleur, transformée en électricité ou les deux (cogénération). Cette énergie se substituera à une énergie produite par d’autres sources parfois plus émettrices en CO2 fossile. Ainsi, paradoxalement, s’il y a fabrication d’énergie grâce à l’incinération de biomasse, l’impact évalué de l’incinération sera positif.

Imprécision sur la proposition de déchets de biomasse incinérée

Si l’on admet que seules les émissions de CO2 d’origine fossile doivent être prises en compte, encore faut-il déterminer la part de déchets de biomasse présente dans les déchets en mélange envoyés en incinérateur. Le GIEC fournit à ce propos des données par défaut qui demeurent de son propre aveu “très incertaines”. Il encourage donc les pays à collecter et utiliser des données nationales.

Or, force est de constater le manque d’information à ce sujet. La réglementation européenne considère que 50% des déchets incinérés sont d’origine organique[3], mais cette proportion varie en fonction des différents Etats membres et de l’évolution des réglementations notamment concernant l’obligation de tri à la source.

En France par exemple, la proportion de déchets organiques dans les déchets non dangereux faisant l’objet d’une incinération n’est pas connue. La dernière caractérisation du contenu des déchets ménagers réalisées par l’ADEME date de 2009 (sur les chiffres de 2007) et les flux de déchets entrant en installation d’incinération (au-delà des déchets ménagers et assimilés) ne sont pas caractérisés précisément.

Des émissions indirectes non comptabilisées

Par ailleurs, à ces émissions directes s’ajoutent les émissions qu’ont généré les produits avant de devenir des déchets. Les produits avant de devenir des déchets ont été sources d’émissions de GES notamment lors des phases d’extraction, de transport, de transformation des matières premières, de fabrication et de diffusion. Brûler un produit qui pourrait faire l’objet d’une valorisation matière et fabriquer d’autres produits à partir de matières premières vierges revient donc à gaspiller ces émissions de GES et plus globalement ce que l’on appelle “l’énergie grise” des déchets.

Or les ACV de l’incinération de déchets ne prennent pas en compte ces émissions car ces analyses s’intéressent au mode de traitement en lui-même, quelle que soit la matière incinérée et non au flux de matières. Cette énergie grise gaspillée représente autant d’émissions de CO2 fossile non comptabilisées dans ces ACV.

Autre biais, cette méthode ne prend ainsi pas en compte le fait que la partie humide des déchets organiques, qui peut contenir jusqu’à 80% d’eau, brûle difficilement sans le concours de combustibles fossiles (déchets plastiques, carburant d’appoint) qui seront ajoutés aux déchets à éliminer.

Le compost, un double bénéfice climatique sous-évalué

De nombreuses études (WRAP 2010, PNUE 2010, Hogg et Favoino 2008) mais aussi des expériences menées sur le terrain (voir notre article) montrent en outre que l’épandage de compost ou de digestats issus de la méthanisation permet de stocker dans le sol le carbone contenu dans les déchets organiques, et il améliore globalement la capacité du sol à fixer le carbone de l’air via la photosynthèse des végétaux.

Les estimations dont on dispose vont de 2 kg CO2 équivalent à 79 kg CO2-e par tonne de compost épandue (Smith et al 2001, Boldrin et al 2009, ROU 2006). Ce large éventail de valeur réside dans le fait que la capacité globale des sols à stocker du carbone dépend aussi de leur nature. Il est également difficile de disposer de chiffres précis pour évaluer les émissions indirectes évitées grâce à la non production d’engrais minéraux, émettrice de GES.

Au total, l’impact net du compostage en termes de réduction de GES a été estimé selon certaines études à 35 kg CO2-e par tonne de déchets organiques humides (Smith et al 2001, Boldrin et al 2009).

Ces bénéfices climatiques du compostage, notamment les émissions évitées, parce qu’ils sont difficiles à évaluer, lui sont rarement alloués dans les ACV, et notamment celles sur lesquelles se basent le rapport du WRAP de 2010. On peut donc considérer que les bénéfices climatiques du compostage sont globalement sous-estimés.

Des méthodes à parfaire pour des choix politiques plus cohérents

Ainsi, les méthodes de calcul des bilans climatiques des modes de traitement des déchets sont loin d’être parfaites. Elles ne font pas la différence entre l’incinération de déchets en mélange et la méthanisation à partir de biodéchets triés à la source, sous-estiment les bénéfices climatiques du compost et font croire à un impact positif de l’incinération sur le climat. En découle une vision partielle et biaisée qui conduit les politiques publiques à encourager l’incinération et négliger le compostage et la méthanisatisation, allant ainsi à l’encontre de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

[1] Réaction chimique transformant le carbone en gaz (CO2)
[2] Issu de la biomasse
[3] dégradables par des micro-organismes c’est-à-dire alimentaires et papiers et cartons sous certaines conditions

Sources

  • GIEC 2006, Lignes directrices 2006 du GIEC pour les inventaires nationaux des gaz à effet de serre, préparées par le Programme pour les inventaires nationaux des gaz à effet de serre, Eggleston H.S., Buendia L., Miwa K., Ngara T. et Tanabe K. (éds). Publié par l’IGES (Japon)
  • European environmental agency, Waste opportunities : Past and future climate benefits from better municipal waste management in Europe, 2011- WRAP, Environmental benefits of recycling – 2010 update, 2010
  • United Nations Environmental Program (UNEP) Division of Technology, Industry and Economics, Waste and Climate Change, Global Trends and Strategy Framework, 2010
  • United States Environmental Protection Agency, Office of Solid Waste and Emergency Response, Opportunities to Reduce Greenhouse Gas Emissions through Materials and Land Management Practices, 2009
  • Smith et al (AEA Technology), Waste Management Options and Climate Change, Final report to the European Commission, DG Environment, 2001- Boldrin et al Composting and compost utilization: accounting of greenhouse gases and global warming contributions, 2009
  • Hogg et Favoino, The potential role of compost in reducing greenhouse gases, 2008

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