Tri à la source des biodéchets : un an après l’obligation, un bilan insuffisant
Un an après l’entrée en vigueur de l’obligation de tri à la source des biodéchets, Zero Waste France a interrogé ses groupes locaux et adhérent·es à travers le pays. Notre constat : l’accès à des solutions pour trier les déchets alimentaires reste en France largement insuffisant, et les moyens mis en œuvre souvent inadaptés.
Un immense gâchis
En décembre 2023, Zero Waste France déplorait le retard des collectivités dans la mise à disposition de solutions de tri à la source des biodéchets, une obligation pourtant connue depuis 2015. L’association avait alors salué la publication d’un avis du ministère de la Transition écologique, qui définit les conditions de ce tri et rappelle que la collecte en porte-à-porte doit être “privilégiée”, lorsqu’elle est possible. Néanmoins, en l’absence de “règles contraignantes” et de financements adéquats, Zero Waste France regrettait “un manque de volonté politique”.
Au 1er juillet 2024, 6 mois après l’entrée en vigueur de l’obligation, moins de 40 % des Français·es avaient effectivement accès à un dispositif de tri à la source des biodéchets selon le ministère.
“Comme nous le craignions il y a un an, l’accès au tri à la source des biodéchets demeure minoritaire, faute de solutions concrètes et adaptées déployées sur tout le territoire”, analyse Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagnes de Zero Waste France. “C’est un immense gâchis, car concrètement ce retard représente des millions de tonnes de déchets qui auraient pu retourner aux sols. Au lieu de cela, ces matières pourrissent dans des décharges ou brûlent dans des incinérateurs, générant au passage des pollutions et émissions de gaz à effet de serre largement évitables.”
Afin d’identifier les défaillances à l’œuvre, l’association a sollicité son réseau de plus de 90 groupes locaux à travers la France. Les témoignages recueillis mettent en avant trois principaux facteurs de dysfonctionnement des dispositifs de tri à la source des biodéchets : l’insuffisance des moyens financiers alloués, le manque d’équipements et le défaut de sensibilisation.
Des moyens financiers et humains lacunaires
En premier lieu, les ressources disponibles pour implémenter le tri à la source des biodéchets s’amenuisent. En effet, le Fonds Vert, qui a permis aux collectivités d’investir dans des équipements de tri à la source des biodéchets, a été réduit de 20% en avril 2024 et doit encore être réduit pour 2025, même si le sujet reste en suspens en attendant le vote du budget. Sans ces subventions, les collectivités sont aujourd’hui dans l’incapacité de financer les dépenses de fonctionnement et d’accompagnement au tri, pourtant essentielles pour changer durablement les comportements.
Le récit de Jean-Pierre, bénévole du groupe local Zero Waste de Saint-Quentin-en-Yvelines, montre l’impact du manque de financements sur ce territoire : “Si la distribution de composteurs individuels est en cours, des difficultés significatives émergent concernant les composteurs de quartier. L’entretien de certains de ces équipements repose sur l’engagement d’associations bénévoles, mais le manque de technicien·nes pour les sites non pris en charge par ces associations est criant. Il est regrettable que la collecte séparée des biodéchets ne soit pas intégrée aux solutions proposées, ce qui limite l’efficacité du dispositif.”
Des dispositifs encore insuffisants ou inadaptés
En outre, certains territoires accusent un retard flagrant dans la mise à disposition d’équipements de tri à la source des biodéchets, ou ne proposent pas de solutions de tri à la source adaptées.
Jean-Yves, bénévole de L’Eure du Zéro Déchet, témoigne : “L’Agglomération Seine-Eure propose à ses administré·es de rembourser leur achat de composteur, lombricomposteur ou bokashi dans une limite de 150 € par foyer. Cependant, les lombricomposteurs et les bokashi ne font pas partie des solutions de tri à la source des biodéchets prévues par la loi. De plus, cette approche repose entièrement sur les citoyen·nes, qui doivent eux-mêmes choisir et acheter le matériel, avant de demander un remboursement. Ce processus peut s’avérer dissuasif pour beaucoup.”
Même son de cloche du côté de José, militant de Zéro Déchet Troyes : “Troyes Champagne Métropole a lancé en 2024 un programme de déploiement de 200 composteurs collectifs sur 5 ans, à hauteur de 40 par an. Non seulement ce programme nous semble insuffisant, mais en plus, il est déjà compromis. Pour cette première année, seulement 20 composteurs collectifs sur les 40 prévus ont été déployés”.
Un déficit de sensibilisation auprès des citoyen·nes
Enfin, même lorsque les collectivités mettent en place des solutions de tri à la source des biodéchets, leurs efforts s’arrêtent trop souvent à l’installation des dispositifs. En l’absence de communication proactive et d’un accompagnement des citoyen·nes, ces dernier·es ignorent souvent l’existence des solutions ou ne comprennent pas leur utilité. En effet, d’après un sondage mené par l’ADEME en 2024, 38% des répondant·es déclarent “ne pas être suffisamment informé.es sur le tri à la source des biodéchets”.
Clément, habitant de Clichy (commune de l’Établissement public territorial Boucle Nord de Seine) et adhérent de Zero Waste France, appuie ce constat : “Mis à part dans le journal de la ville, l’information concernant le déploiement d’une collecte en points d’apport volontaire n’a été diffusée nulle part. La demande pour obtenir un bioseau est à faire soi-même et il faut aller le récupérer dans une zone industrielle qui n’est pas du tout accessible.”
À Evron, en Mayenne, la ville a mis un terme au déploiement de composteurs collectifs, sous prétexte d’erreurs de tri trop nombreuses. Pour Noémie Brouillard, chargée de projets chez Zero Waste France : “dans un cas de figure comme celui-ci, c’est la clarté des consignes de tri qu’il faut interroger. Est-ce qu’elles ont bien été diffusées ? Les citoyen·nes savent-ils et elles comment fonctionne un composteur de quartier ? Sont-ils et elles informé·es des débouchés du compost ainsi produit ? Toutes ces informations sont essentielles pour permettre une bonne appropriation des dispositifs de tri.”
Des mesures urgentes sont nécessaires
Pour résoudre ces défaillances, Zero Waste France appelle à :
- Un renforcement urgent des financements pour les collectivités et un maintien du Fonds Vert à son niveau de 2023, pour financer non seulement les équipements, mais aussi l’accompagnement au changement de comportement (sensibilisation, communication).
- Une intensification de l’information et de la sensibilisation au niveau des collectivités territoriales et l’organisation d’une communication nationale d’ampleur, pour que l’ensemble des citoyen·nes ait connaissance de l’obligation et de ce nouveau geste de tri à la source.
- Une meilleure prise en compte des spécificités locales, afin de proposer des solutions adaptées.
- La mise en place de seuils quantitatifs pour la baisse progressive de la quantité de biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles : cette quantité doit être au maximum égale à 39 kg par habitant et par an en 2026, 25 kg en 2030 et 15 kg en 2035.