Les démarches zéro déchet créent davantage d’emplois que l’élimination des déchets

Selon un rapport de l’ONG Gaïa, le secteur de la réparation crée 3 fois plus d’emplois que le secteur du recyclage, qui crée lui-même 50 fois plus d’emplois que l’élimination des déchets. Un rapport qui rappelle que les investissements dans la réduction des déchets peuvent aussi renforcer la résilience économique mondiale et locale.

source : Pim Chu - Unsplash
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Des estimations selon les modes de gestion et de prévention des déchets

L’ONG internationale Gaïa (Global Alliance for Incinerator Alternatives) dont Zero Waste France est adhérente, a lancé début 2021 une grande campagne intitulée “Beyond recovery” : dans le contexte de la crise sanitaire et de ses bouleversements écologiques, économiques et sociaux, Gaïa encourage à aller “au-delà” de la reconstruction du modèle existant et de développer des systèmes économiques compatibles avec les enjeux environnementaux et sociaux actuels.

Dans le cadre de cette campagne, Gaïa a publié un rapport sur la création d’emplois générée par les solutions zéro déchet, zéro gaspillage, intitulé “Zero Waste and economic recovery : the job creation potential of zero waste solutions”. Pour réaliser ce rapport, l’équipe de Gaïa s’est basée sur des données collectées dans 36 études et articles scientifiques, complétés notamment par des rapports gouvernementaux et publications d’ONG de 16 pays différents. En croisant les sources (chiffres concernant les tonnages produits et chiffres sur les emplois créés) et en réalisant un travail de catégorisation des données selon la méthode de gestion ou de traitement des déchets décrite (l’utilisation des termes pouvant varier), l’équipe de Gaïa a pu réaliser des estimations d’emplois créés pour 10 000 tonnes de déchets traités en fonction de 6 modes de gestion des déchets : la réparation, le recyclage, l’utilisation industrielle de matériaux recyclés, le compostage, la mise en décharge et l’incinération. Pour les solutions relevant de la réduction et de la réutilisation (réemploi, éco-conception, etc.), les données limitées ont conduit à ne pas faire une estimation chiffrée, mais le rapport précise toutefois que les données disponibles soulignent l’ampleur de croissance potentielle de l’emploi dans ces secteurs.

Lire le rapport complet (en anglais)

Un potentiel de création d’emplois très élevé pour les démarches zéro déchet

Malgré la diversité des spécificités locales, géographiques ou économiques, les résultats de ce rapport sont clairs : les démarches zéro déchet créent davantage d’emplois que l’élimination des déchets (incinération et enfouissement). Si l’on classe les modes de gestion des déchets selon leur potentiel de création d’emplois, ce classement est le reflet exact de la hiérarchie des modes de traitement des déchets en fonction de leurs impacts environnementaux :

  • La réparation crée en moyenne 404 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an, soit 200 fois plus d’emplois que l’élimination des déchets. Il s’agit ici des emplois créés par la collecte, la remise à neuf et la revente des biens réparés. Au-delà du nombre d’emplois créés, le rapport insiste également sur le fait que le secteur de la réparation offre d’importants avantages sociaux (opportunités de développement des compétences, faibles barrières économiques et techniques à l’entrée…).
  • Le recyclage crée en moyenne 115 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an, soit 50 fois plus que l’élimination. Les emplois relevant du recyclage sont liés à la collecte, au tri, au nettoyage et autres étapes de traitement (comme la mise en balles du plastique) et, moins fréquemment, aux traitements supplémentaires pour transformer les matières recyclables en matières premières pour le reconditionnement (par exemple, granulation de plastiques). Dans les faits, le rapport observe d’importantes variations des données de l’emploi selon les types de matériaux manipulés et surtout selon le degré de mécanisation des opérations de recyclage : les opérations dépendant plus fortement des machines pour la collecte et le traitement des matières recyclables nécessitent moins d’emplois (seulement 17 emplois pour 10 000 tonnes traitées par an) que les opérations semi-mécanisées, qui impliquent davantage de travail manuel. Dans ces systèmes semi-mécanisés, l’étude cherche à comptabiliser l’emploi informel du secteur des déchets (et le rôle des biffins, travailleurs informels des déchets). Certaines villes parviennent à reconnaître formellement voire contractuellement des coopératives de ramassage de déchets ; ailleurs, les entreprises embauchent d’anciens biffins, reconnaissant leur expertise.
  • L’utilisation industrielle de matériaux recyclés crée en moyenne 55 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an, près de 30 fois plus que l’élimination. Là encore, selon le types de matériaux et de techniques employés, les chiffres varient beaucoup : une étude portant sur le Royaume-Uni et citée dans le rapport estime que l’utilisation des déchets de journaux dans les usines de papeterie crée seulement 8 emplois pour 10 000 tonnes par an, contre 160 emplois créés par la réutilisation de textiles issus de recyclage.
  • Le compostage crée en moyenne 7 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an : les données récoltées sur le compostage ne comprennent généralement que le travail direct dans les établissements produisant du compost. Lorsque ces établissements réalisent d’autres missions (collecte des déchets organiques, vente de compost…), le nombre d’emplois induits est plus élevé : c’est le cas d’une installation de compostage à Bali (Indonésie), citée par l’étude, qui compte 14 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an.
  • La mise en décharge a un potentiel moyen de création d’emplois de 1,8 emploi pour 10 000 tonnes de déchets traités par an. L’incinération, de son côté, crée en moyenne 1,7 emploi pour 10 000 tonnes de déchets traités par an. Ce sont donc les deux secteurs les moins créateurs d’emplois de tous les processus de gestion des déchets existants (sans oublier les plus polluants et les plus coûteux financièrement, tout particulièrement l’incinération).
La hiérarchie des modes de traitement des déchets, précisant le nombre d’emplois nécessaires pour la gestion de 10 000 tonnes de déchets / an (pour chaque mode de traitement).

Des projections pour plusieurs grandes agglomérations mondiales

A partir de ces analyses et croisements de données issues de 16 pays, Gaïa a également réalisé des projections de création d’emplois dans plusieurs grandes villes mondiales si elles atteignaient des taux de recyclage et de compostage plus élevés. Ce scénario alternatif repose sur l’hypothèse selon laquelle chaque ville collecterait séparément 80% des matières recyclables et organiques (c’est-à-dire hors du flux d’ordures résiduelles). Loin d’être impossible à atteindre, cet objectif de 80% se fonde sur des taux de détournement déjà observés dans des villes pionnières, notamment à Canberra (Australie), Capannori (Italie), Toronto (Canada), Taguig (Philippines) ou San Francisco (États-Unis).

A noter : ce scénario comptabilise uniquement les emplois qui seraient créés dans les secteurs du recyclage, de l’utilisation industrielle de matériaux recyclés, et du compostage. Les emplois qui seraient induits par le développement de la réparation, de la réutilisation et du réemploi n’ont pas été inclus dans ces estimations, en raison du manque de données détaillées sur la composition des déchets (et sur les taux de déchets pouvant être détournés dans ces directions). Il s’agit donc de chiffres sous-estimés de création d’emplois, auxquels il faudrait donc ajouter les emplois créés par les solutions zéro déchet telles que le réemploi et la réparation. Le secteur informel est également exclu des estimations, en raison de l’absence de données.

Ce scénario alternatif a été appliqué à 9 agglomérations : Addis Abeba (Ethiopie), Bruxelles (Belgique), Dakar (Sénégal), Dar es Salam (Tanzanie), Dhaka (Bangladesh), Durban (Afrique du Sud), Ho Chi Minh Ville (Vietnam), Londres (Royaume-Uni) et Sao Paulo (Brésil). La croissance de l’emploi dans ce scénario est notable pour chacune de ces villes, selon leur taille et leurs spécificités (solutions déjà mises en œuvre, recyclage semi-mécanisé ou entièrement mécanisé, etc.) : près de 350 emplois seraient créés à Bruxelles, 4 500 à Dakar et à Durban, 5 000 à Londres. La création d’emplois est particulièrement spectaculaire dans les villes où les taux de recyclage actuels sont faibles et où le recyclage est semi-mécanisé : près de 18 000 emplois seraient ainsi créés à Dar es Salam, près de 19 000 à Ho Chi Minh Ville, et plus de 35 000 à Sao Paulo. La transition vers un tel scénario engendrerait certes une réduction des emplois liés à la mise en décharge et  à l’incinération, mais l’analyse montre que pour chaque emploi perdu dans les processus d’élimination, entre 10 et 60 emplois seraient créés dans les secteurs du compostage, du recyclage et de l’utilisation industrielle des matériaux recyclés.

Les impacts sociaux de cette création d’emplois

Les résultats du rapport reviennent également sur l’idée préconçue selon laquelle la gestion des déchets n’offre que des bas salaires et des emplois peu qualifiés. En effet, plusieurs études de cas citées par le rapport de Gaïa montrent que la mise en place de démarches ambitieuses de réduction des déchets implique la création d’emplois diversifiés, non délocalisables, et de niveaux de qualification et de salaire très différents, y compris des emplois hautement qualifiés. Le développement des secteurs de la réparation et du réemploi, par exemple, contribue à créer à la fois des emplois de collecte, tri, nettoyage, diagnostic, réparation, reconditionnement, revente d’objets, mais aussi des emplois liés à l’analyse des données, à l’utilisation de machines complexes (pour la réparation électronique et la remise à neuf), ou encore à la sensibilisation des habitant·es.

Le rapport insiste également sur les opportunités sociales induites par la création d’emplois liés à la réduction des déchets : les secteurs de la réparation et du réemploi offrent notamment d’importantes opportunités de développement des compétences pour les salariés en raison des faibles barrières économiques et techniques requise et des possibilités de formation professionnelle existantes (via les nombreuses organisations caritatives impliquées dans le secteur). Le moindre coût en aval des produits réparés a aussi un impact pour les consommateur·trices.

Les opportunités sociales sont également importantes pour les travailleurs informels des déchets (biffins) lorsque ceux-ci sont intégrés à l’économie formelle et que leur contribution au recyclage et au réemploi est reconnue. Cette reconnaissance leur apporte des avantages en matière de sécurité et de qualité de vie (équipements de protection, salaires fixes plus élevés, perspectives pour leurs enfants, qui ne sont plus contraints de participer à cette activité, etc.). Loin d’être un enjeu réservé aux pays en développement, cette question de la reconnaissance du travail des biffins se pose aussi en France et en Europe.

Ce rapport réalisé par Gaïa démontre ainsi de manière chiffrée le potentiel de création d’emplois liés aux démarches de réduction des déchets. S’il présente quelques limites (difficulté à estimer les emplois créés par les solutions de réemploi, estimation fondées avant tout sur la création d’emplois dans le secteur du recyclage), ce rapport assume d’être une sous-estimation : le potentiel de création d’emplois des démarches zéro déchet est encore plus important que les projections avancées ici !

Plus encore, ce travail insiste sur la corrélation entre objectifs environnementaux, économiques et sociaux : les solutions les plus bénéfiques sur le plan environnemental sont aussi celles qui créent le plus d’emplois. A l’opposé du discours économique dominant, les objectifs environnementaux, économiques et sociaux sont donc bel et bien compatibles. C’est pourquoi il est plus qu’urgent que les investissements se concentrent sur les solutions de réduction des déchets, qui offrent une voie concrète pour une relance juste et viable sur les plans financier, social et environnemental.

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