Zero Waste France soutient l’appel pour une Constitution écologique afin de pérenniser le principe de non-régression
L'inscription du principe de non-régression dans la Constitution, qui empêcherait le Parlement de revoir les ambitions environnementales à la baisse, serait un véritable progrès du droit.
En droit français, le principe de non régression a été consacré dans la loi Biodiversité du 8 août 2016, après de nombreux dialogues de la doctrine juridique et de vives oppositions entre les deux assemblées (introduit en seconde lecture à l’Assemblée nationale, le principe de non-régression avait été supprimé par le Sénat). L’opposition au principe tenait surtout à la crainte qu’il ne paralyse définitivement certaines activités ou ne rende intangibles des règles protectrices, perçues par certains acteurs socio-économiques et politiques comme des contraintes. Ce principe de valeur « légale », qui ne s’applique pour l’instant qu’aux textes inférieurs tels que les décrets pris par les Ministères, pourrait se révéler être un garde-fou juridique très intéressant s’il était inscrit dans la Constitution. C’est pourquoi Zero Waste France a décidé de rejoindre l’appel de CliMates pour une Constitution écologique.
L’apparition récente du principe de non-régression dans le droit français et son application
Le terme « régression » est issu du latin regressio, marquant un recul. La régression peut alors se définir par un retour en arrière, une réduction, un amenuisement, l’opposant ainsi par essence au progrès. Bien que ses détracteurs le voient comme un principe d’immobilisme et de conservatisme, le principe de non-régression est en réalité un principe de progrès et d’action. Il est défini dans le Code de l’environnement comme un principe « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » (L110-1 II 9°). Ce principe vise donc à interdire le recul des normes protectrices à l’occasion de modifications ou d’abrogations des textes en vigueur.
Le principe de non-régression fait surface au moment même où la volonté de « simplifier » et de « moderniser » le droit de l’environnement émerge, la « simplification » étant régulièrement une manière de réduire des obligations procédurales ou règles protectrices sur le fond. Malgré son caractère fortement polémique – puisque contesté pour des raisons économiques et politiques – le principe de non-régression est pourtant devenu un principe directeur du droit de l’environnement et en constitue une avancée notable, en ce qu’il contribue à la protection de l’environnement. Pour rendre plus effectif le droit de l’environnement, aucun retour en arrière ne serait donc envisageable.
Dans cette tension permanente entre progrès et régression, ce principe doit ainsi être compris comme l’expression d’un devoir qui s’impose aux pouvoirs publics au-delà des alternances politiques. Par suite, l’appréciation et l’interprétation des juges sera primordiale : des décisions récentes montrent qu’il s’agit d’une norme efficace et opposable juridiquement. Par exemple, le Conseil d’État a considéré que constituait une régression à censurer, en matière de droit « formel », la décision d’exempter d’évaluation environnementale certaines infrastructures auparavant soumises à une telle évaluation (en l’occurrence des pistes de courses de véhicules motorisés) : « en revanche, une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine » (CE, 8 décembre 2017, Fédération Allier nature, n°404391). Cette décision a été confirmée en substance par le Conseil d’Etat, s’agissant d’une moindres obligations de soumission à évaluation environnementale en Guyane (voir décision CE, 9 octobre 2019, n°420804).
Une autre décision du Conseil d’État semble laisser à penser qu’une réduction des soutiens financiers aux modes de traitement des déchets les plus hauts placés sur la hiérarchie des modes de traitement, pourrait constituer une régression : à tout le moins, pourrait-il en aller ainsi pour toute révision à la baisse des ambitions en matière de prévention, réemploi / réutilisation ou recyclage des déchets (CE, 30 mai 2018, n°406667, 12°).
L’analyse des juridictions, faite au cas par cas, tiendra probablement compte de la sensibilité des milieux impactés, des technologies en questions, des pollutions éventuelles, des niveaux de contrôles souhaitables ou du maintien des garanties de forme et leur efficacité.
Inscrire le principe de non-régression dans la Constitution : un progrès sur la durée
Lors de l’examen de la loi biodiversité, le Conseil constitutionnel a relevé que le « principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement […] s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (Cons. Constit., 4 août 2016, n°2016-737 DC). Il n’est donc pas dépourvu de portée normative, pas plus qu’il ne fait obstacle, pour l’instant, à la compétence du législateur pour modifier ou abroger des textes antérieurs, sous réserve que celui-ci ne prive pas « de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
A date, le fait qu’il s’impose au seul pouvoir exécutif constitue assurément une limite, justifiée par la nature législative du principe : à défaut d’une inscription au niveau constitutionnel, il ne peut réellement encadrer l’action législative, en admettant que le législateur soit disposé à se contredire lui-même (ce qui arrive fréquemment). Actuellement, le Parlement dispose en effet d’une pleine liberté pour modifier ou abroger des textes antérieurs (hormis en théorie concernant les textes issus du droit européen). Toutefois, s’il faisait l’objet d’une constitutionnalisation, le principe de non-régression pourrait s’appliquer également au Parlement et à des dispositions législatives marquant une régression de la protection de l’environnement. Ainsi par exemple de la lutte contre le plastique jetable, qui constitue une bonne illustration des risques permanents de recul : à peine votées, le Sénat souhaite revenir sur certaines interdictions prononcées ces dernières années contre des ustensiles jetables en plastique. Le Conseil constitutionnel pourrait alors censurer toute tentative de recul en la matière.
C’est pour ces raisons que Zero Waste France soutient l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution lancé par l’association CliMates. Nous appelons les parlementaires et le Gouvernement à reprendre cette proposition, ce qui marquerait une véritable volonté de doter la France d’une Constitution écologique, excellent outil de « droit dur » pérennisant ce principe ambitieux et sécurisant pour les générations futures.