04 février 2019
Thibault Turchet

Zero Waste France soutient l’appel pour une Constitution écologique afin de pérenniser le principe de non-régression

L'inscription du principe de non-régression dans la Constitution, qui empêcherait le Parlement de revoir les ambitions environnementales à la baisse, serait un véritable progrès du droit.

Newsletter
Partager

En droit français, le principe de non régression a été consacré dans la loi Biodiversité du 8 août 2016, après de nombreux dialogues de la doctrine juridique et de vives oppositions entre les deux assemblées (introduit en seconde lecture à l’Assemblée nationale, le principe de non-régression avait été supprimé par le Sénat). L’opposition au principe tenait surtout à la crainte qu’il ne paralyse définitivement certaines activités ou ne rende intangibles des règles protectrices, perçues par certains acteurs socio-économiques et politiques comme des contraintes. Ce principe de valeur « légale », qui ne s’applique pour l’instant qu’aux textes inférieurs tels que les décrets pris par les Ministères, pourrait se révéler être un garde-fou juridique très intéressant s’il était inscrit dans la Constitution. C’est pourquoi Zero Waste France a décidé de rejoindre l’appel de CliMates pour une Constitution écologique.

L’apparition récente du principe de non-régression dans le droit français et son application

Le terme « régression » est issu du latin regressio, marquant un recul. La régression peut alors se définir par un retour en arrière, une réduction, un amenuisement, l’opposant ainsi par essence au progrès. Bien que ses détracteurs le voient comme un principe d’immobilisme et de conservatisme, le principe de non-régression est en réalité un principe de progrès et d’action. Il est défini dans le Code de l’environnement comme un principe « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » (L110-1 II 9°). Ce principe vise donc à interdire le recul des normes protectrices à l’occasion de modifications ou d’abrogations des textes en vigueur.

Le principe de non-régression fait surface au moment même où la volonté de « simplifier » et de « moderniser » le droit de l’environnement émerge, la « simplification » étant régulièrement une manière de réduire des obligations procédurales ou règles protectrices sur le fond. Malgré son caractère fortement polémique – puisque contesté pour des raisons économiques et politiques – le principe de non-régression est pourtant devenu un principe directeur du droit de l’environnement et en constitue une avancée notable, en ce qu’il contribue à la protection de l’environnement. Pour rendre plus effectif le droit de l’environnement, aucun retour en arrière ne serait donc envisageable.

Dans cette tension permanente entre progrès et régression, ce principe doit ainsi être compris comme l’expression d’un devoir qui s’impose aux pouvoirs publics au-delà des alternances politiques. Par suite, l’appréciation et l’interprétation des juges sera primordiale : des décisions récentes montrent qu’il s’agit d’une norme efficace et opposable juridiquement. Par exemple, le Conseil d’État a considéré que constituait une régression à censurer, en matière de droit « formel », la décision d’exempter d’évaluation environnementale certaines infrastructures auparavant soumises à une telle évaluation (en l’occurrence des pistes de courses de véhicules motorisés) : « en revanche, une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine » (CE, 8 décembre 2017, Fédération Allier nature, n°404391). Cette décision a été confirmée en substance par le Conseil d’Etat, s’agissant d’une moindres obligations de soumission à évaluation environnementale en Guyane (voir décision CE, 9 octobre 2019, n°420804).

Une autre décision du Conseil d’État semble laisser à penser qu’une réduction des soutiens financiers aux modes de traitement des déchets les plus hauts placés sur la hiérarchie des modes de traitement, pourrait constituer une régression : à tout le moins, pourrait-il en aller ainsi pour toute révision à la baisse des ambitions en matière de prévention, réemploi / réutilisation ou recyclage des déchets (CE, 30 mai 2018, n°406667, 12°).

L’analyse des juridictions, faite au cas par cas, tiendra probablement compte de la sensibilité des milieux impactés, des technologies en questions, des pollutions éventuelles, des niveaux de contrôles souhaitables ou du maintien des garanties de forme et leur efficacité.

Inscrire le principe de non-régression dans la Constitution : un progrès sur la durée

Lors de l’examen de la loi biodiversité, le Conseil constitutionnel a relevé que le « principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement […] s’impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire » (Cons. Constit., 4 août 2016, n°2016-737 DC). Il n’est donc pas dépourvu de portée normative, pas plus qu’il ne fait obstacle, pour l’instant, à la compétence du législateur pour modifier ou abroger des textes antérieurs, sous réserve que celui-ci ne prive pas « de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

A date, le fait qu’il s’impose au seul pouvoir exécutif constitue assurément une limite, justifiée par la nature législative du principe : à défaut d’une inscription au niveau constitutionnel, il ne peut réellement encadrer l’action législative, en admettant que le législateur soit disposé à se contredire lui-même (ce qui arrive fréquemment). Actuellement, le Parlement dispose en effet d’une pleine liberté pour modifier ou abroger des textes antérieurs (hormis en théorie concernant les textes issus du droit européen). Toutefois, s’il faisait l’objet d’une constitutionnalisation, le principe de non-régression pourrait s’appliquer également au Parlement et à des dispositions législatives marquant une régression de la protection de l’environnement. Ainsi par exemple de la lutte contre le plastique jetable, qui constitue une bonne illustration des risques permanents de recul : à peine votées, le Sénat souhaite revenir sur certaines interdictions prononcées ces dernières années contre des ustensiles jetables en plastique. Le Conseil constitutionnel pourrait alors censurer toute tentative de recul en la matière.

C’est pour ces raisons que Zero Waste France soutient l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution lancé par l’association CliMates. Nous appelons les parlementaires et le Gouvernement à reprendre cette proposition, ce qui marquerait une véritable volonté de doter la France d’une Constitution écologique, excellent outil de « droit dur » pérennisant ce principe ambitieux et sécurisant pour les générations futures.

L’action juridique a besoin de votre soutien !

Faites un don en ligne

Actualités

13 novembre 2024

SERD 2024 : Le réseau se mobilise pour une alimentation sans emballage ni gaspillage

La Semaine européenne de la réduction des déchets se déroule du 16 au 24 novembre 2024. Cette année, c’est l’alimentation qui est mise à l’honneur, et le réseau Zero Waste a concocté un programme [...]

à la une
07 novembre 2024

Traité plastique : les associations appellent la France à maintenir son leadership pour une réduction drastique de la production

Alors que la COP 29 s’ouvre ce lundi à Bakou, Zero Waste France, No Plastic In My Sea et Surfrider Foundation rappellent qu’un autre temps fort pour l’action internationale en faveur de l’environn[...]

07 novembre 2024

Régulation des plastiques à usage unique : où en est vraiment la France ?

Pionnière dès 2015 avec l’interdiction de certains produits en plastique à usage unique, la France s’est particulièrement fait remarquer en se fixant un horizon, via la loi AGEC, de la sortie des [...]

04 novembre 2024

Eau en bouteille plastique : une aberration sanitaire et environnementale

Présence massive de microplastiques dans l’eau en bouteille, scandales à répétition, accaparement d’un bien commun… L’embouteillage de l’eau est sous le feu des critiques. Mais que mettre en place[...]

14 octobre 2024

Interdiction des bouteilles en plastique de petit format : une nécessité pour combattre la pollution plastique

En pleine controverse sur les eaux embouteillées et à quelques semaines de la reprise des négociations internationales sur la pollution plastique, une proposition de loi visant à interdire les pet[...]

09 septembre 2024

Loi Industrie Verte : Notre Affaire à Tous et Zero Waste France demandent l’annulation des décrets

Alors que le gouvernement a pris, dans l’entre-deux-tours des législatives, plusieurs décrets [1] liés à la loi Industrie Verte, Notre Affaire à Tous, Zero Waste France et leurs antennes locales o[...]

17 juillet 2024

JOP de Paris 2024 : faux départ pour le réemploi des emballages

Alors que les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) ont été annoncés comme un immense événement “zéro déchet” et “zéro plastique à usage unique”, les modalités de distribution des boissons par le[...]

11 juillet 2024

Plastique : en Normandie, le projet de recyclage chimique Eastman suscite l’inquiétude

A Saint-Jean-de-Folleville (76), le projet Eastman pourrait être l'un des plus grands projets de recyclage chimique au monde. Problèmes : ce procédé n’a jamais fait ses preuves, ses impacts enviro[...]

26 juin 2024

Élections législatives : soutenir une transition écologique juste

Les 30 juin et 7 juillet prochains, tous·tes les Français·es seront appelé·es aux urnes pour élire leurs représentant·es à l’Assemblée nationale. Face à la menace de l’extrême droite, Zero Waste F[...]

17 juin 2024

Recyclage du polystyrène : une « impasse » pour Zero Waste France

Une enquête du Monde et Franceinfo indique que le gouvernement a investi des centaines de millions d’euros, sans succès, pour développer le recyclage du polystyrène. Zero Waste France demande le m[...]